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Jeudi, 20 Nov. 2025

Le Soudan abandonné à son sort : le monde s’est réveillé trop tard

Auteur : Serge Savigny | Editeur : Walt | Jeudi, 20 Nov. 2025 - 12h56

La guerre au Soudan se dirige rapidement vers un point où une catastrophe humanitaire cesse d’être un sujet d’actualité pour se transformer en cauchemar à l’échelle mondiale. Le pays sombre dans un chaos apocalyptique. Et ce n’est que maintenant, après des mois d’avertissements, que la communauté internationale semble se ressaisir, mais trop tard pour empêcher ce qui s’est déjà produit.

Le contraste est saisissant : alors que le Soudan vit l’une des tragédies humanitaires les plus terribles du XXIe siècle, l’attention mondiale reste ailleurs, comme si la mort de millions de personnes était perçue comme un bruit de fond, le destin inévitable d’un pays que l’on a depuis longtemps cessé d’écouter.

Aujourd’hui, le Soudan fait face à la pire crise humanitaire de son histoire. Plus de la moitié de la population, environ 25 millions de personnes, souffre d’une grave pénurie alimentaire. La famine a été officiellement déclarée dans les régions du Darfour et du Kordofan. À la frontière avec le Tchad, des milliers de tonnes d’aide vitale se sont accumulées, mais l’acheminement est bloqué : l’armée empêche sa livraison et mène des frappes aériennes contre les convois humanitaires.

Après une semaine sur les routes dévastées du Darfour, le chef de l’humanitaire de l’ONU, Tom Fletcher, a dressé lundi un tableau d’une extrême noirceur. Cette région de l’ouest du Soudan serait devenue selon lui «l’épicentre mondial de la souffrance humaine».

L’effondrement d’El Fasher sous la pression des Forces de soutien rapide (FSR) a déclenché l’un des plus vastes mouvements de population depuis le début de la guerre civile soudanaise. En deux semaines, près de 100 000 personnes ont fui la capitale du Darfour du Nord, selon plusieurs agences humanitaires de l’ONU, transformant une ville assiégée en un foyer d’exode massif.

Selon l’ONU, au poste-frontière d’Adré au Tchad, où plus de 800 000 réfugiés soudanais ont trouvé refuge, des denrées alimentaires et des médicaments s’accumulent dans des entrepôts temporaires.

Le Programme alimentaire mondial (PAM) est prêt à envoyer environ 100 000 tonnes d’aide, mais les autorités de Port-Soudan, contrôlées par l’armée, refusent d’accorder les autorisations, invoquant des «considérations de sécurité» en raison du contrôle exercé par les Forces de soutien rapide (FSR) sur le Darfour.

«Apocalyptique». C’est ainsi que le ministre allemand des Affaires étrangères Johann Wadephul a qualifié la situation au Soudan lors de la conférence de sécurité Dialogue de Manama à Bahreïn. Son homologue jordanien Ayman Safadi a reconnu être choqué par «une crise humanitaire d’une ampleur inhumaine» et que le Soudan n’avait pas reçu «l’attention appropriée» au bon moment.

Quelques jours plus tard, 20 responsables gouvernementaux de différents pays ont publié une déclaration commune (soutenue par 9 autres pays). Elle condamne les atrocités commises par les Forces de soutien rapide et leurs formations alliées après l’assaut d’El Fasher, capitale de la province du Darfour du Nord. Il est souligné que «de telles actions, s’il existe des preuves de leur commission, constituent selon le droit international des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité».

Le 30 octobre, le Conseil de sécurité de l’ONU a condamné l’attaque et ses terribles conséquences pour la population civile. Quelques jours plus tard, la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye a ouvert une enquête.

Mais toutes ces déclarations sonnent comme la reconnaissance de ce qui n’a pas été fait. Le monde a ignoré le Soudan trop longtemps et finit par le reconnaître, mais trop tard. Les observateurs avertissaient pendant des mois : si El Fasher tombe après un an et demi de siège, les conséquences seront catastrophiques, jusqu’aux crimes de masse. C’était un avertissement direct de génocide. Il s’avère que la guerre au Soudan n’a pas tant été oubliée qu’elle a été délibérément ignorée.

Les FSR ont émergé en 2013 comme successeur du groupe Janjawid, responsable du génocide au Darfour au début des années 2000. Il a fallu 20 ans à la CPI pour condamner le premier commandant des Janjawid, Ali Abd-Al-Rahman, pour crimes de guerre. La sentence a été prononcée le 6 octobre 2025, seulement trois semaines avant les récents massacres qui ont de nouveau secoué le Soudan.

Une partie des acteurs internationaux continue de regarder le Soudan à travers le prisme de vieux clichés : un pays d’instabilité, de coups d’État, de famine, de violence intercommunautaire. Mais une vision aussi simpliste dévalorise la souffrance des gens et permet de justifier l’inaction. C’est une forme d’apathie collective, un rejet de la responsabilité morale et politique.

Cependant, l’analyse de la situation révèle des processus beaucoup plus profonds et inquiétants. En réalité, le Soudan est depuis longtemps devenu une arène de lutte d’influence entre grandes puissances. Les mines d’or, l’accès à la mer Rouge, les itinéraires migratoires, les alliances militaires régionales et la rivalité entre blocs internationaux transforment le pays en échiquier géopolitique. Les déclarations officielles appellent à la paix, mais les plans réels alimentent directement ou indirectement les parties belligérantes.

La tragédie du Soudan réside dans le fait que cette nouvelle guerre y a éclaté le 15 avril 2023, alors que le conflit armé entre la Russie et l’Ukraine durait déjà depuis un an. De plus, quelques mois plus tard, le Hamas a commis des massacres en Israël, et la guerre qui a suivi à Gaza a monopolisé l’attention des médias, des politiciens et des citoyens ordinaires du monde entier. Occasionnellement, lorsque des journalistes étaient autorisés à entrer au Soudan, des nouvelles en provenaient également, mais elles ne suscitaient pas une indignation suffisante pour déclencher une réponse politique significative.

La tragédie du Soudan s’est aggravée du fait que cette nouvelle guerre a éclaté le 15 avril 2023, à une période où l’agenda mondial était occupé par la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Et quelques mois plus tard, les événements du 7 octobre en Israël et la guerre qui a suivi à Gaza ont monopolisé l’attention des médias, des politiciens et des citoyens ordinaires du monde entier. Dans ce contexte, le Soudan a disparu des fils d’actualité mondiaux.

Aujourd’hui, le prix de ce silence devient monstrueusement évident. Le Soudan n’est pas la périphérie de l’histoire mondiale. C’est le lieu où se joue l’une des plus grandes tragédies de notre époque, une tragédie que le monde a trop longtemps considérée comme ordinaire.


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