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Lundi, 11 Août 2025

Le charbon Ibbenbüren : l’écologisme contre le bon sens (épisode 1)

Auteur : Serge Van Cutsem | Editeur : Walt | Lundi, 11 Août 2025 - 13h51

Charbon vert, absurdité noire : la tragédie silencieuse d’Ibbenbüren

C’est une histoire à peine croyable, et pourtant, elle est vraie, vérifiable, et symbolique de ce qu’est devenu l’écologisme politique (1) : une succession de décisions absurdes prises au nom d’une idéologie déconnectée de la réalité physique, énergétique et industrielle. Elle est d’autant moins contestable qu’elle ne provient pas d’un blog ou d’un militant, mais directement d’un client et ami belge de longue date. Cette entreprise belge, qui importe du charbon depuis un siècle, m’a révélé ce que je n’avais jamais pris le temps d’observer : que le charbon que je pensais encore allemand ne venait plus d’Allemagne.

Mais revenons d’abord au à l’origine de cette histoire. La ville d’Ibbenbüren, située en Rhénanie-du-Nord Westphalie (Allemagne), est depuis longtemps associée à l’exploitation du charbon. Sa mine d’anthracite était l’une des plus modernes d’Europe. À elle seule, elle produisait annuellement près de 1,5 million de tonnes de charbon de très haute qualité (2), avec un fort pouvoir calorifique et un faible taux de matières volatiles. Mieux encore, cette mine était entièrement mécanisée, automatisée, et directement connectée à la centrale électrique voisine, exploitée par RWE Power AG. L’ensemble était local, efficace, stable, fiable, et permettait d’alimenter le réseau allemand sans importations ni transports inutiles.

Mais en 2018, dans le cadre du programme politique de sortie du charbon (Kohleausstieg) (3), l’Allemagne a officiellement mis fin à l’exploitation charbonnière nationale. La mine d’Ibbenbüren a été fermée avec tambours et trompettes. C’était censé être un acte historique, une grande victoire de la transition énergétique allemande. Une cérémonie a eu lieu, où des ministres et des représentants syndicaux ont symboliquement remis le dernier morceau de charbon extrait. Les médias mainstream allemands et européens ont salué ce geste écologiste.

Sauf que… La centrale électrique d’Ibbenbüren n’a pas été fermée simultanément et elle a continué à fonctionner jusqu’en 2021 et avec quel charbon ? Avec du charbon importé depuis l’étranger, transporté par bateaux sur des milliers de kilomètres, notamment depuis l’Afrique du Sud, l’Australie, la Colombie ou le Kazakhstan (4). Ces cargaisons étaient acheminées vers les ports allemands ou hollandais (Rotterdam, Hambourg, Wilhelmshaven) (5) puis transportées jusqu’à la centrale par voie ferroviaire. En résumé, on a remplacé une exploitation locale propre et optimisée par une importation énergivore, coûteuse et à empreinte carbone très nettement plus élevée que celle de la centrale.

Le paradoxe est là et il est total : la mine ferme au nom du climat et la centrale continue à tourner avec du charbon encore plus polluant.

Après que cette centrale ait fermé ses portes, en juillet 2021 alors qu’elle disposait d’un permis d’exploitation jusqu’en 2025 (6), on aurait pu s’attendre à ce qu’un système de production équivalent, pilotable, fiable et local, prenne le relais mais il n’en a rien été. Au contraire, le site a été démoli en 2025, dans un geste aussi symbolique que idéologique, et racheté par Amprion, un gestionnaire de réseau, pour y implanter une station de conversion baptisée BalWin2. Cette installation n’est pas une centrale, elle ne produit rien par elle-même. Elle est censée injecter dans le réseau l’électricité issue des éoliennes offshore situées en mer du Nord, quand il y a du vent. Mais quand le vent tombe, ce qui arrive régulièrement en hiver (les fameux épisodes de dunkelflaute), la station reste muette. Aucune production locale, aucun stockage, aucun secours, juste une coquille vide en attente d’énergie lointaine et aléatoire. Ainsi, à la place d’une centrale capable de produire 794 MW à la demande, jour et nuit, on installe une structure qui dépend totalement de conditions climatiques instables et de câbles sous-marins de plusieurs centaines de kilomètres. En d’autres termes : on n’a pas remplacé la centrale, on l’a effacée et on a prié pour que le vent souffle.

Mais cette absurdité n’est pas isolée. En France, la centrale nucléaire de Fessenheim (zéro CO₂) a été fermée en 2020 (7) sous pression politique, mais EDF a réactivé des centrales à charbon et gasoil pour compenser, tout en important de l’électricité allemande issue du lignite. En Belgique, la sortie anticipée du nucléaire a entraîné la réouverture de centrales à gaz et des discussions sur l’achat de capacité nucléaire française. En Italie, depuis l’embargo sur le gaz russe, des centrales thermiques au charbon indonésien ont été remises en service.

Le cas d’Ibbenbüren est donc un symbole. Il illustre ce que devient l’Europe quand elle confond écologie et écologisme, science et croyance, pragmatisme et morale. On préfère le geste spectaculaire à la cohérence technique. On saborde des outils efficaces au nom de dogmes. On externalise la pollution pour mieux prétendre à la vertu.

Ceux qui paient l’addition

L’histoire ne s’arrête pas à ce scandale Ibbenbüren. En Belgique, certains citoyens, souvent parmi les plus modestes, se chauffent encore au charbon par nécessité. Cette même société importatrice et fournisseur de ces clients modestes, devait continuer à les approvisionner tant bien que mal. Mais depuis la disparition du charbon allemand, elle a dû chercher un combustible équivalent, le plus proche possible en qualité. C’est aujourd’hui du charbon… vietnamien (8). Oui, du Vietnam. Il traverse la planète pour atterrir dans des caves wallonnes. Et comme si cela ne suffisait pas, le gouvernement belge a choisi d’augmenter la TVA sur le charbon domestique de 12% à 21% (9), pénalisant un peu plus ceux qui n’ont ni pompe à chaleur, ni isolation passive, ni Tesla dans un parking chauffé.

Conclusion ? L’idéologie écologiste n’a tué que le charbon local car elle l’a simplement rendu plus cher, plus lointain, plus polluant et plus injuste.

Cette anecdote révèle que le bon sens a disparu des décisions publiques et que la logique industrielle, la proximité et la cohérence écologique sont aujourd’hui sacrifiées sur l’autel d’une pensée magique et qu’à force de vouloir paraître verts, nous sommes en train de devenir gris et idiots.

Et le plus grave, c’est peut-être que cette folie est encore présentée comme un modèle. (10)

Conclusion, mais pas fin

Le charbon Ibbenbüren n’a pas réellement disparu, il a juste changé de nom et de provenance. Ce n’est pas une exception, c’est un symptôme. Un exemple frappant d’un monde où l’on détruit ce qui fonctionne pour faire semblant de bâtir du neuf, où l’on sacrifie la logique industrielle et la proximité énergétique, au profit d’un dogme injustifié, très rentable pour certains, ruineux pour les autres.

En effet, pourquoi fermer une mine automatisée et moderne, pour importer du charbon sale depuis l’autre bout du monde ? Pourquoi saboter sa propre souveraineté énergétique tout en prétendant sauver le climat ?  Pourquoi pénaliser les plus modestes pendant qu’on subventionne les grands groupes du «green deal» ?

La réponse est aussi claire qu’elle est dérangeante et elle ne tient pas dans les discours des écologistes qui sont les idiots utiles. Elle tient dans les flux d’argent, les rapports de force, et les récits officiels soigneusement entretenus.

C’est précisément ce que j’aborderai dans le second chapitre : Aller jusqu’au bout de ce voyage en Absurdie et expliquer à qui profite ce sabotage suicidaire.

Notes:

  1. Ne pas confondre l’écologie, science sérieuse étudiant les interactions entre les êtres vivants et leur milieu, avec l’écologisme, qui consiste à transformer cette science en catéchisme politique, avec ses dogmes, ses hérésies, et ses indulgences carbone. L’un observe la nature, l’autre s’en réclame pour mieux la réglementer… voire la trahir au nom du bien.
  2. Production annuelle et modernité de la mine d’Ibbenbüren. Selon le rapport 2018 de la RAG-Stiftung (fondation de transition énergétique allemande), la mine d’Ibbenbüren produisait en moyenne 1,4 à 1,5 million de tonnes d’anthracite par an, avec un pouvoir calorifique élevé (plus de 30 MJ/kg) et un faible taux de cendres. Elle faisait partie des dernières mines entièrement mécanisées d’Europe, avec une connexion directe à la centrale RWE Power AG située à proximité immédiate. Source technique : «AG-Stiftung Geschäftsbericht 2018», pages 14-16.
  3. Programme «Kohleausstieg» et calendrier de sortie du charbon. Le Kohleausstiegsgesetz (Loi de sortie du charbon) a été adopté par le Bundestag le 3 juillet 2020, actant l’arrêt progressif des centrales à charbon d’ici 2038 au plus tard, avec possibilité d’une révision à 2035. Cette loi prévoit une indemnisation de 4,35 milliards d’euros pour les exploitants comme RWE ou LEAG. Texte officiel : Bundestag-Drucksache 19/20730.
  4. Origines géographiques du charbon importé en Allemagne
    D’après les données Eurostat 2022 (nrg_bal_c), l’Allemagne a importé principalement du charbon thermique depuis : Russie (jusqu’à l’embargo), Afrique du Sud : +71% augmentation en 2022, Colombie : +210%, Australie et Kazakhstan : stabilisés ou en hausse. Le coût carbone de ce transport est très supérieur à celui du charbon local, annulant tout gain «écologique».
  5. Ports européens d’acheminement du charbon vers l’Allemagne.  Les principaux points d’entrée sont Rotterdam (NL), Hambourg (DE) et Wilhelmshaven (DE). Ce dernier dispose d’un terminal spécialisé pour les vracs charbonniers, avec des liaisons ferroviaires directes vers les centrales. Le Port of Rotterdam reste le premier hub charbonnier d’Europe avec environ 18 millions de tonnes de vrac charbon en 2022, selon son rapport annuel.
  6. La centrale d’Ibbenbüren disposait encore d’un permis d’exploitation valable jusqu’en 2025. Son arrêt anticipé en juillet 2021 s’expliquerait par une combinaison de facteurs politiques, financiers (compensations fédérales) et stratégiques (libération du site pour le projet BalWin2). Aucune contrainte technique ne justifiait sa fermeture à cette date. Et si cette centrale avait été arrêtée non pas parce qu’elle était obsolète, mais parce qu’elle fonctionnait encore trop bien pour qu’on puisse justifier sa destruction ?
  7. Fermeture politique de la centrale nucléaire de Fessenheim (Alsace), inaugurée en 1977, elle a été arrêtée définitivement le 29 juin 2020, bien qu’elle ait été jugée techniquement apte à continuer. Le décret officiel est le n°2020-434 du 17 avril 2020, publié au Journal Officiel. La fermeture s’inscrivait dans une volonté politique de «verdissement» du mix énergétique, au prix d’un recours accru à des énergies fossiles importée.
  8. Hausse de la TVA belge sur le charbon domestique. L’Arrêté royal du 1er janvier 2022 a aligné la TVA du charbon sur celle des autres combustibles fossiles à usage domestique, la faisant passer de 12% à 21%. Justifiée comme mesure de «cohérence écologique», cette hausse pénalise cependant les ménages précaires n’ayant pas d’alternative financièrement viable. Source : Moniteur belge – AR 01/01/2022, rubrique Finances
  9. Remplacement du charbon allemand par du charbon vietnamien. Suite à l’arrêt des mines allemandes, certaines sociétés belges ont dû se tourner vers le charbon vietnamien, réputé pour sa qualité énergétique relativement proche. Le Vietnam a exporté plus de 500 000 tonnes vers l’Europe en 2023, selon UN Comtrade. Ce charbon transite souvent par containers maritimes via Haiphong, puis ports européens. Ce choix est imposé par nécessité, non par choix stratégique.
  10. Données globales d’importation de charbon en Allemagne. D’après Eurostat, l’Allemagne a importé 44,4 millions de tonnes de charbon en 2022, un niveau en hausse par rapport aux années précédentes. Cela représente une dépendance aux importations de près de 100% depuis la fermeture de ses dernières mines en 2018. Le charbon reste nécessaire pour stabiliser le réseau électrique, surtout en hiver, malgré l’essor annoncé des renouvelables.

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