Le piège des négociations, va-t-il se refermer sur la Russie ?

Quand Poutine a renvoyé la balle en proposant une rencontre bilatérale avec l'Ukraine à Istanbul le 15 mai, afin d'éviter de répondre directement par la négative à l'ultimatum d'un cessez-le-feu général à compter du 12 mai, il a ouvert une autre brèche sans fermer la précédente. De la rencontre bilatérale il ne reste rien. Quant à la question de la résolution des sources du conflit, évidemment cela n'intéresse pas les Atlantistes, qui ne veulent qu'un cessez-le-feu généralisé pour arrêter l'armée russe. La délégation ukrainienne n'est pas venue, mais la délégation russe attend docilement. Et maintenant, les Américains entrent en jeu avec les Turcs. Comme le dit la chanson, il faut savoir quitter la table avant qu'elle ne soit desservie. Manifestement, la Russie ne le sait pas, n'ose pas. Ce qui l'affaiblit stratégiquement. Va-t-elle tomber dans le piège de ces négociations en faisant le pas de trop? Le risque augmente.
Négocier est un art, qui a ses propres règles. Notamment ne pas faire preuve de faiblesse, ne pas jouer selon les règles de l'autre et ne jamais laisser entendre ce que l'on veut réellement. Comme l'histoire l'a montrée, ce n'est pas le point fort de la Russie et l'Occident le sait parfaitement.
Ainsi, en proposant une rencontre bilatérale, Poutine a simplement fait un geste de plus dans le sens des Atlantistes, en jouant leur jeu selon leurs règles. Evidemment, la délégation ukrainienne n'est pas venue et la Russie n'a eu ni le courage, ni le bon sens politique de plier bagage et de rentrer à Moscou. Ce qui aurait fait réfléchir ses ennemis / "partenaires" / "arbitres" - on s'y perd.
Au lieu de cela, en fin de journée, Medinsky est venu faire une déclaration pathétique à l'ambassade de Russie, avant de repartir attendre les Ukrainiens. En substance, il se justifie, expliquant pitoyablement qu'il est compétent pour négocier, donc Zelensky n'a aucune raison d'être déçu, et qu'ils sont prêts à attendre et à négocier, quand la partie adverse aura la grandeur d'âme de leur faire signe. Car ils veulent la paix, la paix, la paix. Amen !
Si l'on regarde ce pas du point de la négociation, il est difficile de donner plus de signaux de faiblesse en dévoilant son jeu. Il est impossible d'avoir une chance de remporter quelque chose avec cette stratégie.
Evidemment, le signal a été parfaitement perçu par les "partenaires". Hier soir la Turquie s'est rendue vers la délégation russe et pour la divertir (certainement) a en fait entamé les négociations "bilatérales", en la faisant préciser ce qu'elle attend des "Ukrainiens". Suite à quoi, la Turquie a annoncé une rencontre tripartite aujourd'hui 16 mai. Et s'est ainsi autoproclamée intermédiaire, puis partie prenante aux négociations.
Adieu, la bilatéralité. Le premier piège s'est refermé sur la Russie, qui attend toujours gentiment.
Entre-temps, un conseiller britannique a fait son apparition, pour que les Ukrainiens n'oublient pas la ligne atlantiste. Les Etats-Unis ont imposé la présence d'un représentant américain lors de la rencontre entre la Russie et l'Ukraine. Il s'agit de Michael Anton, politologue, directeur de la planification politique des Etats-Unis. Et la Turquie annonce une rencontre ce matin à 10h45 entre les Etats-Unis, la Turquie et l'Ukraine et seulement après à 12h30, la rencontre tripartite entre la Russie, l'Ukraine et la Turquie. Plus de mépris ouvert est difficilement démontrable, mais la Russie continue à avaler les couleuvres en tentant de les faire passer pour des grives.
Le seul point de discussion prévu par les Atlantistes est l'arrêt des combats, c'est-à-dire l'arrêt de l'armée russe. Et la Russie attend encore et toujours son tour - pour en parler ?
Quand on participe à des négociations, aussi banal que cela paraisse, on négocie. Que va donc négocier la Russie ? Qu'espère-t-elle pour attendre aussi longtemps, dans de telles conditions dégradantes ?
De son côté, après "consultation", Zelensky a publié la composition de la délégation ukrainienne. Selon l'oukaze, il ne s'agit pas de pourparlers bilatéraux, mais d'une rencontre avec les Etats-Unis, la Turquie et aussi la Russie :
"Créer une délégation ukrainienne pour participer aux négociations avec ses partenaires internationaux, à savoir les délégations de la République de Turquie et des États-Unis d'Amérique, ainsi qu'avec les représentants de la Fédération de Russie, prévues les 15 et 16 mai 2025 (Istanbul, République de Turquie), afin de parvenir à une paix juste et durable".
Et la Russie ne bouge pas.
Dans cette délégation de 12 personnes, dirigée par le ministre de la Défense Oumerov, doivent entrer, notamment :
"le premier vice-ministre des Affaires étrangères Sergueï Kislitsya, le vice-président du Service de sécurité de l'Ukraine Aleksandre Poklad, le premier vice-président du Service de renseignement extérieur Oleg Lougovsky, le chef adjoint de l'état-major général des forces armées d'Ukraine Alexeï Chevchenko, le chef adjoint de la direction principale du renseignement du ministère de la Défense Vadim Skibitsky".
Beaucoup de questions se posent, quant à l'attitude de la Russie.
Que veut-elle démontrer ainsi et à qui ? Elle veut démontrer sa volonté de "paix" à ses ennemis ? Depuis quand dans une guerre, doit-on montrer à ses ennemis sa volonté de paix et non pas de victoire ? Ou bien les élites russes, n'arrivent-elles toujours pas à considérer ceux qui se battent contre elles comme des ennemis ?
Elle veut démontrer à quel point elle est pacifiste à ses partenaires et alliés, comme les pays africains ou les BRICS ? Mais des "alliés" doivent soutenir la position de la Russie, sinon ce ne sont pas des alliés. Et, à ce que nous voyons, ils ne soutiennent pas la position de la Russie, ils ne soutiennent pas la victoire de la Russie, mais la "paix", la paix atlantiste. Sont-ils réellement des alliés? On peut sérieusement en douter.
La stratégie atlantiste est claire : faire accepter à chaque fois un compromis de plus à la Russie, sans rien céder en échange, pour la conduire au pas de trop et in fine obtenir l'arrêt total de l'armée russe, sans évidemment offrir sur un plateau une victoire à la Russie, sans chercher à résoudre le conflit à la source puisque ce n'est pas dans l'intérêt atlantiste. A un moment donné, il faut que la Russie ait le courage politique de dire non. Sinon, un pas après l'autre la conduira à la faute de trop. Et il ne sera pas possible de dire, "Oh, on nous a trompés !".
- Source : Russie politics