La France reprend ses exportations d'uranium de retraitement vers la Russie, dénonce GreenPeace
Trois ans après la dernière opération constatée, la France a repris l’exportation de son uranium vers la Russie. L’information a été révélée par GreenPeace, qui a publié samedi des images de cette cargaison à Dunkerque. L’ONG dénonce une “intensification” du commerce nucléaire entre Paris et Moscou, un mois après avoir révélé l’importation d’uranium enrichi depuis la Russie.
Le contrat entre EDF et Rosatom, signé en 2018, portait sur le recyclage et l'enrichissement de l'uranium de retraitement (URT) issu des combustibles usés des réacteurs français. Ce contrat, d'un montant d'environ 600 millions d'euros, impliquait la filiale de Rosatom, Tenex, qui devait transformer cet uranium recyclé pour produire de nouveaux combustibles destinés aux centrales d'EDF. Ce partenariat s'inscrivait dans une logique économique et environnementale visant à améliorer les conditions d'EDF, économiser les ressources naturelles et diversifier les sources d'approvisionnement, tout en s'appuyant sur une expertise russe unique capable de recycler l'uranium déchargé des réacteurs français.
Trois ans après, EDF se (re)tourne vers la Rosatom
Cependant, à partir de 2022, avec le déclenchement de la guerre en Ukraine, cette collaboration a été fortement remise en question. La France, engagée contre l'invasion russe, a ordonné à EDF de suspendre ses exportations d'uranium de retraitement vers la Russie, avait appris l’ONG GreenPeace, lors d’une réunion de l’Association Nationale des Comités et Commissions Locales d'Information (ANCCLI).
Par la suite, bien que les livraisons d'uranium enrichi depuis la Russie aient été officiellement arrêtées depuis février 2022, une livraison en provenance de Russie a été confirmée fin novembre 2022, soit une dizaine de jours après la réunion de l’ANCCLI. EDF a alors engagé des discussions avec d'autres acteurs européens, comme Orano et Westinghouse, pour essayer de mettre en place une chaîne d'approvisionnement alternative afin de réduire cette dépendance à la Russie. En mars 2024, le gouvernement français a annoncé examiner “sérieusement” la possibilité de construire dans l’Hexagone un site de conversion et d’enrichissement de l’uranium de retraitement.
Malgré la guerre en Ukraine, Rosatom a de son côté poursuivi ces dernières années l’exportation de l’uranium enrichi vers l’Europe et les États-Unis. En 2023, les importations russes, pas directement ciblées par les sanctions occidentales, ont même augmenté en Europe, notamment pour stocker des réserves face à l’incertitude. Aux États-Unis, des licences spéciales prévues par la loi “Prohibiting Russian Uranium Imports Act”, signée par l’ancien président Joe Biden, permettaient à Rosatom de poursuivre ses livraisons jusqu’à fin 2025, bien qu’une interdiction totale soit prévue en 2028.
GreenPeace affirme que Rosatom possède aussi le seul site dans le monde pour convertir l’uranium de retraitement, avant son réenrichissement, vers de l’URE (uranium de retraitement enrichi). “Seulement 10 % de l’uranium réenrichi est renvoyé depuis la Russie vers la France pour être utilisé dans la centrale nucléaire de Cruas, la seule à pouvoir fonctionner avec des combustibles URE”, affirme-t-on.
“C’est immoral”
EDF a-t-elle respecté l’ordre du gouvernement ? Certains médias en déduisaient que oui, faute d’informations sur les opérations d’import-export entre la fin 2022 et octobre 2025. GreenPeace révélait cependant que le cargo Mikhaïl Dudin, en provenance de Saint-Pétersbourg, “avait déchargé 12 fûts d’uranium enrichi russe dans le port de Dunkerque en présence de plusieurs gendarmes français du PSMP, le Peloton de sûreté maritime et portuaire”.
Samedi, l’organisation a affirmé avoir filmé cette fois-ci une exportation, c’est-à-dire le chargement d’une dizaine de conteneurs d’uranium étiquetés radioactifs à destination de la Russie depuis le même port de Dunkerque. L’ONG dénonce une “intensification” du commerce nucléaire entre les deux pays.
C’est une fois de plus le cargo Mikhaïl Dudin, “immatriculé sous un pavillon de complaisance (Panama)”, qui effectuait cette première exportation d'uranium de retraitement (URT) observée par GreenPeace depuis plus de trois ans. “Ce n’est pas illégal, mais c’est immoral”, a déclaré Pauline Boyer, chargée de campagne nucléaire pour Greenpeace France. “La France devrait stopper ses contrats avec Rosatom".
Ni le ministère français de l’Energie, ni EDF ou Orano n’ont répondu aux questions de l’AFP. Cette révélation intervient le jour où la France, qui affiche un soutien ferme à Kiev, a signé avec l’Ukraine une déclaration d'intention pour la fourniture d'environ 100 avions de chasse Rafale, accompagnés de systèmes de défense aérienne modernes. Parallèlement, Paris maintient une collaboration nucléaire avec Rosatom, la société russe détenant l'exclusivité du traitement de l'uranium de retraitement dont la France dépend. Ce double positionnement contraste avec les efforts européens, largement soutenus par la France, pour couper net les importations d’hydrocarbures russes, et au moment où Paris a totalement perdu pied au Niger, gisements qui produisaient 25 % des besoins nationaux.
Faites ce que je dis, pas ce que je fais... Le double langage du "en même temps" continue de s'égrainer, venant du palais comme si de rien n'était.
- Source : France-Soir















