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L’affaire des sous marins, analysée depuis l’étranger

Auteur : RI | Editeur : Walt | Lundi, 20 Sept. 2021 - 15h13

Voici une analyse venue du Chili qui apporte des points de vues intéressants, et différents de ceux que l’on peut avoir en « franco-français », sur l’affaire des sous marins.

Elle est signée Jacques Le Bourgeois, ancien Saint Cyrien, docteur en histoire contemporaine, qui travaille et réside dans ce pays depuis fort longtemps ~ Dominique Delawarde

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Commentaires sur l’affaire des sous marins australiens.

Une vue du Chili par Jacques Le Bourgeois, ancien officier français et Docteur en Histoire contemporaine.

La rupture du contrat d’achat de 12 sous marins type barracuda français par l’Australie a provoqué en France un effet tellurique. Un peu du niveau d’un nouveau Trafalgar ou un Dunkerque ou bien encore le bombardement de la Flotte française à Mers El Kébir en 1940. Curieusement tous ces exemples qui me viennent en mémoire sont le fait des Anglais. Je n’ai rien contre eux, sinon une certaine admiration. Ils sont en fait mes cousins, Normand de naissance. Mais il faut bien admettre que ce qui se passe ici n’est rien moins qu’une prolongation de ce que fut notre longue histoire avec ce que nous pourrions qualifier maintenant de monde anglo-saxon, sachant que nous, Français, nous avons été incapables de développer et d’entretenir un monde francophone en contrepoint de celui-ci et que nous participons à la construction d’une Europe sur des bases fragiles, car peu fiables.

L’affaire des sous marins australiens est bien un coup de Trafalgar. Il n’empêche que chaque pays assume sa politique. Si l’Australie décide de renoncer au contrat français, c’est son droit. Maintenant est ce que la forme est convenable ? C’est un autre problème. Il n’empêche que nous Français, nous avions bien annulé à la dernière minute un contrat avec les Russes (l’affaire des Mistral), sans respect de quoi que ce soit. De quel droit pourrions nous donc reprocher une réponse similaire de la part des Australiens, surtout lorsque l’on apprend qu’en juin dernier ceux ci ont émis une réclamation face à une hausse subite du coût global du projet ? Alors que notre réaction face à la Russie n’avait qu’un fondement politique, qui plus est discutable.

Il est clair que l’affaire, mais surtout la brutalité de son annonce a un impact socio-économique important. Ce sont de l’ordre de 600 personnes qu’il faudra reconvertir ou réemployer dans d’autres tâches sur le site de Cherbourg. Toutefois, que l’on ne vienne pas larmoyer sur ce genre de problème lorsque le même gouvernement se permet de mettre à pied plusieurs milliers de personnels de son service de santé pour l’unique raison qu’ils refusent une vaccination obligatoire. L’affaire des sous marins aura sans aucun doute un impact socio-économique dans la région, mais il ne doit pas pour autant effacer un autre problème tout au moins aussi sinon plus important que lui.

La véritable profondeur de l’affaire des sous marins est à la fois liée à une méconnaissance de la géopolitique mondiale de la part de nos autorités politiques, diplomatiques et militaires et à la perte de crédibilité de notre propre politique internationale dans le monde et en particulier dans la zone pacifique.

Je répondrai d’abord à ma seconde affirmation, la perte de crédibilité française. Je vis au Chili depuis maintenant 15 ans, et je suis très attentif aux affaires de politique tant nationales qu’internationales. Ce que j’ai pu constater est une perte de crédibilité de la politique française à la suite des interventions en Libye et en Syrie. La confusion du discours fut telle que le pays des droits de l’homme et de la liberté est devenu brutalement ni plus ni moins qu’un pion américain. La realpolitik n’a jamais été d’une facture française et ne sera jamais considérée ainsi.

La France est la patrie des principes, celle des droits de l’Homme et déroger à ces notions universelles et supérieures revient à rabaisser la France au rang d’un « ejecutivo », celui d’un « exécutant » qu’elle est devenue en se mettant dans le sillage des anglo saxons de manière aveugle.

Non seulement, dans ces zones du Moyen Orient et de l’Afrique du Nord, ce fut un échec des Américains et des Occidentaux compromis dans ces affaires, mais surtout ce fut la preuve de l’ignorance française de l’histoire locale, chose inusuelle et choquante au sein des élites locales qui ne reconnaissaient plus leurs références dans ce qu’ils croyaient être leur propre interprétation de la conduite du pays des droits de l’homme. Je parle de ce qui s’est passé dans le Moyen Orient, mais la France vue de la façade pacifique chilienne n’est guère plus enviable.

Tout d’abord la langue française, pourtant considérée localement comme une richesse culturelle dont tout chilien qui la pratique tire une fierté légitime, n’est plus qu’un fantasme revitalisé une fois l’an lors des francophonies qui n’attirent plus que quelques aficionados. La langue française est morte, faute d’un effort politique et culturel pour  l’entretenir. L’économie française, totalement immergée dans un néolibéralisme de teinture nord américaine n’a aucun impact durable sinon quelques réussites ponctuelles dues à quelques individualités. Pour résumer, la France est absente sur la rive orientale du Pacifique.

Enfin les imprécations politiques françaises tant vis à vis du Venezuela que de la Bolivie n’ont rien apporté de concret ni de crédible. Le pays des droits de l’homme a failli à sa  légitimité et à sa crédibilité. Il est alors peu surprenant qu’un pays comme l’Australie choisisse un autre allié nettement plus riche et plus fort qu’un pays comme le nôtre devenu invisible et inopérant, donc peu crédible.

Maintenant je conçois fort bien que l’Australie, les États-Unis et la Grande Bretagne aient agi de façon peu courtoise vis à vis d’un allié de toujours. Pour être franc, ils se sont comportés comme des voyous. Mais n’est ce pas quelque chose de surprenant. Récemment nous venons d’apprendre que les services secrets australiens ont soutenu le coup d’État de Pinochet en 1973 au Chili. Or l’Australie a toujours affiché un visage soit disant démocratique.

Quand les intérêts financiers sont en jeu, les principes s’émoussent. N’est ce pas ? Les États-Unis, quant à eux, ne font qu’affirmer leur préoccupation fondamentale, la menace chinoise. En créant cette nouvelle alliance stratégique, l’AUKUS, ils ne font que réactiver l’ancien ANZUS crée en 1951 pour contrer l’expansion communiste. La différence est qu’ils donnent à l’Australie une capacité de propulsion nucléaire que ce pays n’aurait jamais acquis tout simplement parce que son statut le lui interdit. Il faudra bien que cet aspect soit entériné par une décision nationale et pas seulement gouvernementale.

Quant aux Anglais, rien de surprenant. Après le Brexit, la survie anglaise au plan international ne se conçoit qu’au travers du Commonwealth et du renforcement de l’alliance transatlantique. Or pour ce qui me concerne, me référant à mes souvenirs d’attaché de Défense en Turquie, le lien entre la Grande Bretagne et ses ex-colonies comme l’Australie et la Nouvelle Zélande au vu de ce que j’ai personnellement vécu trois années de suite à Cannakale en Turquie, demeure d’une vivacité pérenne et indéfectible.

Pour l’ANZUS, ses survivants mémoriels et ses thuriféraires, la Grande Bretagne demeure  le socle fondamental. Croire que le lien qui unit les pays du Commonwealth se serait liquéfié avec le temps aurait été une grave erreur d’interprétation. Chose que manifestement nos responsables  des affaires étrangères et nos représentants militaires sur place ou à Paris n’ont pas su interpréter. De la même manière j’interroge les partisans du lien transatlantique, les fervents défenseurs de l’américanisme. Finissez vous par comprendre leur duplicité ? Car dans le cas contraire, on est en droit de douter de votre patriotisme.

Ce qui s’est passé est grave. C’est une atteinte manifeste et profonde à la crédibilité d’une Alliance. Mais c’était prévisible et le reproche que je fais à nos responsables est justement de ne pas avoir perçu ce risque. On ne me fera pas croire que cela est intervenu brutalement. Il y avait suffisamment d’indices pour s’y préparer. Une fois de plus, nos responsables ont failli. Rien ne sert maintenant de tempêter, ni de pleurer. Il faut agir. Et pour moi, la solution est dans le  lien continental, le rapprochement avec la Russie. Selon moi, l’Europe se fera sur le continent, mais certainement pas écartelée dans un lien transatlantique qu’elle ne maîtrise pas et qu’elle ne maîtrisera jamais.


- Source : RI

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