Cisjordanie. Notre complicité à Gaza a pavé la voie au deuxième génocide.

Derrière le soi-disant plan E1 d’Israël, un projet de construction de plusieurs milliers de nouveaux logements, pointe une histoire révélatrice. L’objectif est de séparer de manière irréversible la partie orientale de Jérusalem, annexée illégalement, de la Cisjordanie, puis de diviser cette dernière, illégalement occupée, en deux cantons territoriaux distincts, détruisant ainsi tout espoir de création d’un État palestinien.
Cette histoire discrédite totalement le discours d’“autodéfense” d’Israël à Gaza.
Les médias soulignent le rôle de Bezalel Smotrich, le ministre fasciste autoproclamé du gouvernement Netanyahou, dans le plan E1, comme s’il s’agissait d’une sorte de preuve de son influence néfaste. Ce n’est là qu’une pure diversion.
En réalité, ce plan existe depuis les années 1990 et a été initialement formulé par le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin, présenté comme un “pacifiste”. Il devait aller de pair avec les “accords de paix” négociés alors à Oslo.
Les accords d’Oslo ont suscité de profondes divisions au sein de la société israélienne, car ils étaient supposés céder aux Palestiniens des portions importantes du territoire qu’Israël occupait illégalement et était en train de coloniser en Cisjordanie. L’opposition interne s’est finalement soldée par l’assassinat de Rabin.
Selon Rabin, E1 levait ces objections. Le plan prévoyait en effet de protéger la plus grande colonie juive illégale de Cisjordanie, Maale Adumim, en l’intégrant à la partie orientale de Jérusalem, déjà annexée par Israël, où il installait de plus en plus de colons juifs tout en déplaçant les communautés palestiniennes locales.
Au passage, Rabin, qui a reçu le prix Nobel de la paix avec Yasser Arafat pour avoir signé les accords d’Oslo, était expressément opposé à la création d’un véritable État palestinien. Il voulait d’“une entité qui soit moins qu’un État”, une sorte d’autorité locale améliorée, chargée de gérer les écoles et de collecter les ordures.
Rabin a également conçu des plans pour construire un mur de séparation à travers la Cisjordanie, séparant les colonies israéliennes et les communautés palestiniennes. Son successeur, Ariel Sharon, un ancien général de l’armée aux positions radicales, a construit ce mur près d’une décennie plus tard, emprisonnant les communautés palestiniennes derrière des fortifications d’acier et de béton, et s’appropriant au passage de vastes étendues de leurs terres cultivables. Les capitales occidentales ont, comme toujours, timidement protesté, sans aucun succès.
Après Rabin, tous les Premiers ministres israéliens, qu’ils se revendiquent de la gauche ou de la droite sioniste, ont poursuivi le projet E1 : Netanyahou, Barak, Sharon et Olmert.
Tous ont contribué à la construction des premières infrastructures — les routes et même un poste de police — pour faire du plan E1 une réalité.
Le plan n’a été officiellement gelé qu’en 2009, après une pression énorme exercée par les États-Unis sur Israël. Pourquoi ? Parce que la réalisation du plan E1 ne pouvait signifier qu’une seule chose : la fin définitive de la solution à deux États. Le prétendu intérêt d’Israël pour la “paix” aurait alors été révélé pour ce qu’il a toujours été, même sous Rabin : une mascarade.
Smotrich l’a clairement exprimé dans ses termes habituels, affirmant que le projet E1 est indispensable, car il “enterrera l’idée d’un État palestinien”. C’est le prélude à l’ambition qu’il partage avec le reste du gouvernement israélien et une grande partie de l’opinion publique : annexer officiellement la Cisjordanie.
Voilà pourquoi The Guardian et d’autres médias qualifient le projet E1 de “très controversé”, un euphémisme au regard de sa nature véritable.
En réalité, le plan E1 est totalement illégal. Il va à l’encontre de ce qu’a ordonné la Cour internationale de justice, la plus haute juridiction mondiale, l’année dernière. Celle-ci a en effet exigé qu’Israël débute le démantèlement des colonies, mette fin à son système d’apartheid à l’encontre des Palestiniens, qui a permis d’imposer des décennies de colonisation, et restitue tous les territoires volés au peuple palestinien par le régime d’occupation israélien.
Peter Beaumont, correspondant de longue date du Guardian pour les questions internationales, a présenté la situation de la manière la plus favorable possible pour Israël :
“On ne savait toujours pas jeudi dans quelle mesure Smotrich bénéficie du soutien de Netanyahu et de l’administration Trump”.
“Soutien” ? Tous les Premiers ministres israéliens ont cherché à faire avancer le projet E1, Netanyahu pas moins que les autres. Le plan E1 n’est pas controversé en Israël.
Et qu’en est-il de Gaza ?
Les médias traditionnels, y compris les médias dits progressistes comme la BBC et The Guardian, voudraient nous faire croire que les informations sur la Cisjordanie et Gaza proviennent de deux mondes complètement différents. Comme si ce qu’Israël fait aux Palestiniens à Ramallah n’avait aucun lien avec ce qu’il pratique à Gaza.
C’est tout simplement aberrant. Ces deux territoires, ces deux occupations, ces deux systèmes d’apartheid, ces deux programmes de nettoyage ethnique sont le reflet d’une même volonté de domination, d’un même programme de nettoyage ethnique et de colonisation, d’un même mépris raciste pour la vie des Palestiniens émanant d’Israël.
Le projet colonial israélien est une réalité depuis des décennies. Il est évident que la Cisjordanie et Gaza ne sont pas des territoires séparés, mais des parties déconnectées de la même patrie palestinienne, uniquement parce qu’Israël a imposé leur séparation.
Tous les dirigeants israéliens ont adhéré au même programme colonial prévoyant le déplacement et le remplacement du peuple palestinien. À Gaza, ce déplacement est mené dans des délais très courts et a nécessité un génocide au grand jour. En Cisjordanie, il est — pour l’instant du moins — mené de manière plus furtive, plus graduelle et moins flagrante.
Mais le sort réservé à la population de Cisjordanie n’est pas différent de celui de la population de Gaza, à moins que nous, Occidentaux, n’arrêtions tout cela en refusant de nous taire face à l’inacceptable.
E1 est la dernière étape d’un système d’apartheid mis en place par Israël sous forme de checkpoints et de murs dressés à travers la Cisjordanie.
E1 est la version territoriale de la “cage militarisée” qu’Israël a construite autour de Gaza au début des années 1990, lorsque le plan E1 a été élaboré pour la première fois. Il créera les conditions d’un blocus renforcé de la Cisjordanie, tout comme la cage autour de Gaza a mené au blocus de l’enclave palestinienne, en vigueur depuis 2007.
Nous savons où a mené le blocus de Gaza : à des années de révolte palestinienne sous différentes formes, y compris des protestations non violentes à la périphérie de cette cage. Il a fini par mener à l’offensive du Hamas du 7 octobre 2023 et à la réponse génocidaire d’Israël.
Tant que nous nous contentons de nous taire face au génocide de Gaza, ou qu’on y contribue activement comme le font nos gouvernements depuis deux ans, Israël se sent plus enclin à agir. Notre complicité concernant Gaza est précisément la raison pour laquelle Israël dépoussière aujourd’hui le plan E1 pour la Cisjordanie.
Il n’hésitera pas à intensifier son oppression jusqu’à créer les conditions d’une révolte ouverte, comme à Gaza. Et Israël profitera de cette révolte, comme à Gaza, pour commettre un deuxième génocide, cette fois en Cisjordanie.
Nous savons ce qui va se passer. Et la question est : avons-nous tiré des enseignements de l’histoire de Gaza ? Et cette fois-ci, allons-nous agir ?
Traduit par Spirit of Free Speech
Image en vedette : Des soldats israéliens démolissent un bâtiment palestinien dans la zone dite “zone C”, en Cisjordanie occupée. Photo © WAFA
- Source : Savage Minds