Guerres économiques mondiales - Les entrées au capital ou collaborations de sociétés US /UK qui posent question

Partie 5 - Les autres entrées au capital ou collaborations de sociétés US /UK qui posent question
On notera que Bercy a autorisé 135 rachats d’entreprises sensibles par des étrangers en 2024 et qu’à travers Alstom, Technip, Doliprane, l’agence de notation ESG Vigeo… En dix ans, les États-Unis se sont offerts plus de 130 milliards de dollars de fleurons français. À titre d’exemples sur les ventes et collaborations récentes qui peuvent interpeler, on peut citer les sociétés suivantes :
Pasqal / Microsoft / Mistral AI
La course dans l’informatique quantique bat actuellement son plein. Pasqual, une start up française crée en 2019 par une solide équipe de scientifiques, qui développe un ordinateur à partir d’atomes neutres est présent dans ce secteur si convoité, et à décider de s’allier en mars 2025 à Microsoft. Le groupe US de Redmond a une double stratégie dans le quantique. Il mène des recherches en interne via un procédé original (les qubits topologiques) d’une part et, d’autre part, il distribue des solutions de spécialistes du secteur (IonQ, Quantinuum, Rigetti) via la plateforme Azure Quantum.
Le processeur de Pasqual est une machine de 100 qubits, l’unité de base utilisée dans le quantique. Concrètement, des entreprises ou des développeurs pourront ainsi acheter des heures de calcul en ligne afin de mener des premières expérimentations. C’est la première machine de ce type qui est disponible sur le cloud Microsoft.
Il est à noter que Microsoft travaille déjà avec un autre acteur phare de la « French Tech », Mistral AI, afin que ses différents modèles soient accessibles dans l’offre Microsoft Azure AI Foundry et que cette licorne tricolore bénéficie de la puissance de calcul du groupe US pour entraîner sa technologie.
Dans une logique de plateforme, Microsoft collabore avec de jeunes pousses à gros potentiel afin de rester à l’affut des dernières innovations et nouer des liens intenses avec des écosystèmes à travers le monde. Une manière aussi pour le géant US de pousser ces pépites à développer leurs applications sur son cloud, et de s’approprier les outils de ces sociétés, créant une forme de dépendance pour l’avenir, alors que la bataille de cloud fait rage entre les géants américains Azure, AWS et Google.
ACI / le fonds US Fortuna
Début 2025, le fonds US Fortuna est entré au capital du sous-traitant industriel ACI qui avait préalablement acquis les Fonderies de Sougland, les plus anciennes de France encore en activité. ACI fournit des pièces détachées aux champions tricolores de l’aéronautique, de la défense, du nucléaire et de l’énergie.
LMB Aerospace / Loar Group ?
Nous ne savons pas ce qu’il en est publiquement à aujourd’hui du projet de la vente de LMB Aerospace. Contrôlé depuis 2021 par le fonds aéronautique porté par Airbus, Safran, Dassault et Thales lancé sur initiative publique, après le Covid, l’équipementier des hélicoptères Tigre et du Rafale (ventilateurs de haute performance) a-t-il discrètement basculé sous giron US (Loar Group) ?
Il est à noter que Loar Group est également un fabricant de composants pour la défense de l’état de New York entre autres.
Biogaran / BC Partners
Le 30 juillet 2025, Servier a remis en vente sa filiale Biogaran. Le laboratoire pharmaceutique français annonce avoir entamé des négociations exclusives avec BC Partners. Le fonds, basé à Londres, était déjà candidat l'an dernier avec son partenaire Bpifrance pour ravir la branche génériques du groupe, également convoitée par les indiens Torrent Pharmaceuticals et Aurobindo Pharma.
Mais Servier avait abandonné la vente à l'automne sous la forte pression politique, le gouvernement de l'époque et les syndicats redoutaient des conséquences sociales trop lourdes. Cette fois, il semble que le dossier soit passé. Le fonds est revenu à la charge, il y a quelques semaines, auprès de la banque Lazard qui conseille Servier, et a convaincu le laboratoire de rouvrir les discussions autour d'une fourchette de prix plus raisonnable que l'an dernier, entre 800 millions et un milliard d'euros. Il offrirait aussi à priori des garanties solides sur l'emploi et le développement de l'entreprise en Europe.
Cette opération s'inscrit dans un mouvement général des grands laboratoires qui cèdent peu à peu leurs fabricants de médicaments à bas prix, pour se concentrer sur des activités à plus forte marge dans les thérapies innovantes.
Sanofi a ainsi bouclé cette année la cession partielle d'Opella, filiale grand public bien connue pour son Doliprane au fonds américain CD&R.
Biogaran ne compte que 250 salariés, mais réalise la moitié de sa production dans l'Hexagone en faisant travailler une quarantaine de sous-traitants. Il y écoule 320 millions de boîtes par an, un huitième de la consommation hexagonale. C'est devenu la plus grande marque de génériques en France avec 900 millions d'euros de chiffre d'affaires.
La préservation de la commande aux sous-traitants français est donc un enjeu social et industriel fort du dossier à suivre de près.
Partie 6 à venir
Partie 1: L’explosion des Nord Streams et la crise financière de 2008
Partie 2: la déstabilisation d'Atos
Partie 3: La cession du pôle énergie d’Alstom à General Electric
Partie 4: le cas Airbus et la prise de contrôle de Gemplus
L'auteur, Anne Philippe, est spécialiste en intelligence économique et en relations internationales et diplômée de l’Université Panthéon-Assas. Elle a beaucoup voyagé notamment en Europe dans le cadre de ses activités professionnelles. Economiste et financière de formation, elle s’est intéressée très tôt au droit international et aux crises financières en particulier celle de 2008.
- Source : France-Soir