La goinfrade des prix littéraires : le Médicis à Emmanuel Carrère
Emmanuel Carrère est le fils d’Hélène Carrère d’Encausse, la grande, l’unique, l’irremplaçable spécialiste de la Russie et de l’URSS qui a régné sur les médias depuis la mort de Nicolas II, à vue de nez. Elle, c’était la tsarine ; lui, le dauphin, le tsarévitch. Mais comme souvent avec les fils de, en descendant d’une génération, une partie du talent reste bloquée en route. Heureusement, il reste la grandiose Moustache.
Le syndrome du livre de trop
Pour le grand public d’E&R qui ne connaît pas ce Manu, disons qu’il a fait ce livre de fiction qui l’a lancé, au départ, et qu’ensuite, il a surtout donné dans le récit historique, s’appuyant sur l’actu. Houellebecq fait pareil mais avec plus de sauce, il mélange mieux les éléments.
Manu a fait un bouquin sur le meurtrier mythomane Jean-Claude Romand, le type qui a buté sa femme, ses gosses, son beau-père, son bailleur (pas prouvé mais probable), ses parents et son chien. Ce trouduc fondra en larmes à son procès seulement quand il évoquera la mort de son chien, cet innocent.
Tout ça pour dire une chose : les écrivains, c’est comme les chanteurs. Ils peuvent faire un bon livre ou un bon disque, parfois deux, mais il est difficile de rempiler avec le succès. Voyez Amélie Nothomb, elle pond un roman léger par an, toujours le même, mais ses fans accrochent. Elle est devenue un écrivain professionnel, elle doit donc son livre bon an mal an à son producteur.
C’est là où la qualité prend forcément un coup dans l’aile. C’est pas que les écrivains devraient s’arrêter d’écrire, mais à la fin, il n’y a plus de matière. Alors ils vont chercher dans l’actu, dans le périssable, dans le people, et ça donne des récits romancés pas vraiment éternels. Si tout le monde ne peut pas être Balzac, en revanche, on ne devrait pas écrire quand on n’a rien ou pas grand-chose à dire.
C’est pourquoi, cette année, les prix ont été à des écrivains qui racontent des histoires de famille, dont personnellement on se contrefiche. Ou alors il faut vraiment que cette famille soit extraordinaire. On pense à celle d’Himmler, qu’on a chroniquée récemment, avec le petit-fils qui chie dans son froc à l’idée qu’on l’associe à un Reichsführer SS, les deux grands-mères, la prude et la salope (quoique la prude avait elle aussi son amant, selon un lecteur au courant, d’ailleurs, comment sait-il tout ça ?), et puis notre chérie, Gudrun, qui n’a jamais renié son père, malgré les horreurs. Remarquez, le fils Netanyahou admire son père. L’amour filial, c’est quelque chose. Il y aurait un grand livre à faire sur cette famille qui passe de nazie à gauchiasse.
Bref, Carrère, il n’a plus de matière, son prochain livre devra probablement être l’histoire d’un écrivain qui a chopé un prix littéraire, comme on chope une maladie grave, et qui a zéro idée pour le suivant, et qui parle du non-livre qui devient un livre, la mise en abîme paresseuse, une constante dans le cinéma français.
Même syndrome chez tous ces réals élevés en batterie (Fémis) qui n’ont pas de vécu, et qui racontent leur non-vécu, leur histoire intérieure sans autres souffrances que celles du cœur, c’est un peu trop romantique alors on ajoute du cul, on saupoudre de révolte post-adolescente et intestinale (ou intestine).
Tenez, on est tellement fatigués de ces prix refilés à des Balzac de sous-préfecture qu’on va plutôt parler de Jean-Claude (Himmler, c’est fait). Ça, c’est une story.
- Source : E&R















