Le 7 octobre n’était pas une surprise

Après l’attaque menée par le Hamas, le cabinet de Netanyahou et d’autres hauts responsables politiques, militaires et sécuritaires israéliens ont vivement condamné ce qu’ils ont qualifié de «notre 11 septembre» et d’«attaque surprise».
Pourtant, la réponse a été remarquablement uniforme et orchestrée.
Et de nombreuses questions restent sans réponse. Pourquoi les otages israéliens ont-ils été abandonnés ? Pourquoi les communautés frontalières stratégiques ont-elles été négligées ? Et pourquoi les nombreuses mises en garde sur l’attaque du Hamas ont-elles été ignorées ?
Abandon des otages
Le 7 octobre 2023, 251 personnes ont été enlevées en Israël par le Hamas lors de son offensive et transférées dans la bande de Gaza. Le lendemain, le Premier ministre, Benjamin Netanyahou, a nommé l’ancien commandant militaire, Gal Hirsch, pour coordonner la réponse intergouvernementale à l’enlèvement de civils et de soldats.
Cette nomination a été présentée comme une initiative proactive du Premier ministre destinée à garantir la libération rapide des otages israéliens. Mais il s’agissait en réalité d’une mascarade.
En tant que commandant de division, il avait dirigé une unité de l’armée israélienne lors de la guerre du Liban de 2006, marquée par l’application de la doctrine de l’oblitération, consistant à détruire les infrastructures civiles et à commettre des atrocités génocidaires. Pourtant, Hirsch était responsable du raté à l’origine des enlèvements par des militants du Hezbollah et de deux opérations militaires infructueuses, avec de lourdes pertes.
Confronté à de vives critiques, Hirsch a été contraint de démissionner. Il a ensuite rejoint le parti de droite, le Likoud, à la demande de Netanyahou lui-même, et a été pressenti pour devenir chef de la police nationale en 2021. Jusqu’à ce qu’il soit inculpé, avec ses associés, pour une évasion fiscale de 1,9 million de dollars dans une affaire de vente d’armes à la Géorgie.
Si Netanyahou était vraiment déterminé à sauver des vies, pourquoi a-t-il nommé comme médiateur pour les otages un général ayant déjà commis de graves erreurs lors d’un enlèvement très médiatisé, qui n’avait pas réussi à protéger ses soldats et a été inculpé pour corruption ?
Les familles des otages ont rapidement conclu que, pour le gouvernement de Netanyahou, le sort des otages passait après la destruction de Gaza.
Et sans oublier la question étrange des communautés israéliennes entourant la bande de Gaza. Pourquoi n’ont-elles pas été protégées ces dernières années, avant le 7 octobre ?
Ces communautés israéliennes négligées autour de Gaza
Lors de la création d’Israël, ses pères fondateurs ont considéré ces zones frontalières comme stratégiques. Adjacentes à la bande de Gaza, elles constituent ce qu’on appelle «l’enveloppe de Gaza» : des colonies israéliennes peuplées situées à moins de 7 km de la frontière avec Gaza, et donc à portée des obus de mortier et des roquettes des brigades al-Qassam.
Au fil du temps, bon nombre de ces localités ont été négligées par le gouvernement. Après le retrait unilatéral d’Israël de la bande de Gaza en 2005, puis de l’intensification des tirs d’obus et des attaques de roquettes transfrontaliers, le Parlement a promulgué une loi pour aider les «communautés de la ligne de confrontation».
Cependant, lorsque ces mesures ont expiré en 2014, l’armée israélienne a réduit les budgets alloués, notamment après la guerre de Gaza de 2014, qui a été marquée par des attaques à la roquette et au mortier, l’utilisation de tunnels, des incursions et même des cerfs-volants incendiaires. De plus, ces communautés de l’«enveloppe de Gaza» ont été «abandonnées après les élections de novembre 2022». Les budgets suivants par habitant ont été réduits d’un tiers. (Ce n’est qu’après l’attaque que le gouvernement de Benjamin Netanyahou a approuvé un plan quinquennal de 4,9 milliards de dollars pour réhabiliter et développer la région de «l’enveloppe» de Gaza.)
Les autorités israéliennes ont construit un mur frontalier souterrain ultra-sophistiqué. Le 7 octobre, l’armée israélienne a surestimé l’efficacité de ses systèmes de surveillance et de ses armes télécommandées, qui ont été rapidement neutralisés par des drones et des tireurs embusqués, permettant ainsi l’infiltration et l’assaut. En réalité, le constructeur de la barrière avait déjà averti en 2018 qu’elle n’était pas conçue pour empêcher une attaque massive. Bien que le «mur de fer» ait été considéré comme impénétrable, le 7 octobre, les membres du Hamas ont franchi la barrière frontalière à 44 points différents.
Pire encore, les services du renseignement israélien étaient conscients de la menace depuis plus d’un an, mais l’ont ignorée.
Des informations négligées
Quelques jours seulement après le 7 octobre, les témoignages de membres des unités de surveillance, composées principalement de femmes, ont étayé les accusations selon lesquelles le gouvernement de Netanyahou avait gravement sous-estimé les dangers provenant de Gaza. Dans une émission de télévision israélienne, deux soldats, Yael Rotenberg et Maya Desiatnik, ont raconté leur expérience des mois précédant l’attaque.
Yael Rotenberg voyait souvent de nombreux Palestiniens en civil, munis de cartes, scruter le sol autour d’elle et creuser des trous près de la barrière frontalière. «C’est révoltant», a déclaré Maya Desiatnik, qui servait à Nahal Oz, où 20 autres femmes soldats chargées de la surveillance ont été tuées par le Hamas.
«Nous avons vu ce qui se passait, nous en avons parlé, et c’est nous qui avons été assassinées».
Ces erreurs fatales remontent à l’après-guerre de Gaza, en 2021, lorsque la décision a été prise de cesser la collecte de renseignements sur les dispositifs tactiques du Hamas et les unités intermédiaires de son bras armé, pour se concentrer uniquement sur quelques individus. Les voix s’opposant à cette stratégie ont été écartées.
Pourtant, les preuves accumulées au cours de l’année écoulée montrent que les militants du Hamas s’entraînaient pour mener des attaques éclair depuis au moins six zones de Gaza, à la vue de tous et à moins de 1,5 km d’une frontière israélienne hautement fortifiée et surveillée.
Un document de 40 pages, sous le nom de code «Jericho Wall», décrit une invasion meurtrière. Il a été largement diffusé parmi les responsables militaires et du renseignement israéliens, qui ont déterminé qu’une attaque de cette ampleur dépassait les capacités du Hamas.
Juste après le 7 octobre, plusieurs médias israéliens ont publié des articles indiquant que les avertissements de nombreux analystes du renseignement ont été ignorés. En novembre 2023, les grands médias CNN et le New York Times ont même rapporté cette information.
Des preuves ignorées (ou occultées ?)
Après le 7 octobre, un haut responsable des services de renseignement égyptiens a déclaré qu’Israël a ignoré les avertissements répétés selon lesquels «un événement majeur était imminent». Netanyahou a nié avoir reçu de tels avertissements. Pourtant, l’Égyptien a confirmé que le Premier ministre israélien a bien reçu une notification directe du ministre du renseignement du Caire. De même, Michael McCaul, président de la Commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants, a fait part de cet avertissement présumé aux journalistes.
Pire encore, de nombreux témoignages de citoyens israéliens ayant assisté à l’attaque du Hamas indiquent que l’armée israélienne a tué ses propres concitoyens pour neutraliser les tireurs palestiniens, conformément à la directive Hannibal. Comme l’a déclaré un témoin à Radio Israel :
«Les forces spéciales israéliennes ont éliminé tout le monde, y compris les otages».
Introduite en 1986, cette pratique controversée consiste à empêcher la capture de soldats israéliens par l’ennemi en éliminant les otages. Son objectif est d’éviter la prise d’otages et les échanges de prisonniers associés. En 2016, le chef d’état-major de l’armée israélienne de l’époque, Gadi Eisenkot, a révoqué cette doctrine d’anéantissement, dont il est pourtant le concepteur. Cependant, la directive reste en vigueur.
Au cours de l’offensive du Hamas, l’armée israélienne a reçu l’ordre de tout mettre en œuvre pour parer à l’enlèvement de civils ou de soldats israéliens. Les soldats israéliens connaissaient la signification de ces mots codés. En effet, l’offensive menée par le Hamas a été amplifiée par ce que certains soldats israéliens ont ensuite qualifié de «Hannibal massif».
Les faits d’octobre
En mai 2024, de nouvelles preuves ont montré que l’échec des services du renseignement israéliens résulte d’une «série d’échecs» qui a affecté l’ensemble du secteur de la sécurité, tant au sein du Shin Bet que de l’armée israélienne.
En mars 2025, les enquêtes internes menées par les forces de défense israéliennes sur l’attaque du 7 octobre ont révélé de graves erreurs de jugement et des conceptions fondamentalement erronées des services du renseignement israélien, tant de la part du gouvernement que de l’armée, quant à la nature et aux intentions du Hamas.
En enquêtant sur la même attaque, le Shin Bet, le service de sécurité intérieure israélien, a pointé du doigt le Premier ministre Netanyahou. Tout comme l’administration Bush a instrumentalisé les attentats du 11 septembre pour justifier une guerre injustifiée contre l’Irak et une prétendue «guerre contre le terrorisme», Netanyahou a exploité l’offensive du Hamas pour légitimer l’assaut terrestre et les atrocités de masse qui ont suivi, dans l’espoir de provoquer un nettoyage ethnique ouvrant la voie à une réimplantation juive à Gaza et à l’annexion de la Cisjordanie.
Grâce à ses amis néoconservateurs américains, il savait qu’une tragédie de grande ampleur, à l’image de Pearl Harbor, était essentielle pour légitimer le réarmement et favoriser l’unité.
Les principaux néoconservateurs, rassemblés autour du Projet pour le nouveau siècle américain bien avant le 11 septembre, ont été chargés par Netanyahou de préparer un document politique distinct intitulé «A Clean Break» (1996) pour Israël.
«Ce n’était pas une surprise»
Le 8 octobre 2023, CNBC, le géant mondial de l’information financière, m’a interviewé, ainsi qu’Ian Bremmer du groupe Eurasia. Reprenant le discours officiel israélien, Bremmer a déclaré que «les attaques massives menées par les dirigeants du Hamas contre Israël […] n’étaient rien de moins que le 11 septembre israélien». Interrogé à mon tour, j’ai répondu que cette attaque «ne sortait certainement pas de nulle part».
Quelques semaines après le 7 octobre, des enquêtes menées par des médias israéliens ont suggéré que l’armée israélienne disposait d’informations détaillées sur l’offensive du Hamas, trois semaines avant l’attaque, grâce à l’unité 8200 du renseignement militaire. Le document a révélé à quel point la division Gaza de l’armée israélienne savait qu’une attaque potentielle contre les communautés frontalières du sud d’Israël était imminente, et a souligné une série d’exercices menés par les unités d’élite Nukhba du Hamas au cours des semaines précédentes.
L’une des parties les plus choquantes du rapport de l’armée israélienne concerne les instructions relatives à la prise d’otages, dont le nombre était estimé entre 200 et 250, soit presque exactement le nombre réel de 251 captifs.
Les signes avant-coureurs étaient là. Alors, pourquoi ont-ils été ignorés ?
Le 7 octobre aurait pu être évité.
Traduction: Spirit of Free Speech
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Tout ce qui s’est passé avant et après le 7 octobre explique le 7 octobre
par Caitlin Johnstone
Tout ce qui s’est passé avant le 7 octobre explique le 7 octobre, comme tout ce qui s’est produit ensuite.
- Avant le 7 octobre, des années et des années de meurtres, d’oppression et d’abus.
- Depuis le 7 octobre, le genre de régime sadique et psychopathe sous lequel les Palestiniens ont dû vivre tout ce temps.
Les partisans d’Israël ne veulent pas qu’on voie ce qui s’est passé avant le 7 octobre, pas plus que ce qui s’est produit après. Ils veulent simplement qu’on fasse comme si l’histoire avait commencé et pris fin avec une bande de sauvages hitlériens attaquant sans raison des juifs innocents.
Never forget October 7th 2023, that fateful day when Israelis were brutally massacred by Israeli tanks and Israeli helicopters and Israeli drones and Israeli soldiers and Israeli bullets, and also by Hamas a bit. pic.twitter.com/bwjdARVQ0p
— Caitlin Johnstone (@caitoz) October 7, 2025
Et ils ne veulent même pas qu’on regarde de trop près le déroulement de la journée du 7 octobre. Car en examinant de trop près les événements, on se pose bien des questions gênantes sur la directive Hannibal et sur le pourcentage de victimes en réalité imputable aux tirs de l’armée israélienne sur son propre peuple. Des questions gênantes sur les opérations boursières suspectes précédant l’attaque et sur les montagnes de montagnes de montagnes de preuves indiquant que de hauts responsables israéliens ont laissé l’attaque se dérouler afin de faire avancer le projet génocidaire d’accaparement des terres qu’on constate actuellement.
Israël veut qu’on ne retienne que les aspects du 7 octobre qui le présentent comme un petit agneau innocent attaqué par surprise et contraint de riposter par la force militaire.
Oubliez la politique de la terre brûlée dans la bande de Gaza.
Oubliez les hôpitaux bombardés et le système de santé méthodiquement démantelé.
Oubliez les centaines et centaines de Palestiniens à Gaza délibérément affamés à mort.
Oubliez que tous les organismes de défense des droits humains sur terre ont fini par admettre qu’Israël commet un génocide, et qu’aucune institution humanitaire comparable n’a dit le contraire.
Oubliez que les experts en droits humains décrivent Gaza comme un gigantesque camp de concentration ou une prison à ciel ouvert depuis des années avant le 7 octobre.
Oubliez qu’Israël assassinait régulièrement des enfants palestiniens et d’autres civils dans les mois précédant l’attaque du Hamas.
Ne vous préoccupez pas de tout ça. Concentrez-vous uniquement sur ce qui fait d’Israël une victime.
C’est en tout cas ce que raconte Israël. Heureusement, de moins en moins de gens y croient.
Plus ce génocide dure, plus le monde se rend compte que le 7 octobre, Israël n’a récolté que ce qu’il a semé depuis très longtemps.
source : Caitlin Johnstone via Spirit of Free Speech
- Source : Informed Comment (Etats-Unis)