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Jeudi, 04 Déc. 2025

L’UE continue de saboter son économie en ciblant les investissements chinois

Auteur : Thomas Fazi | Editeur : Walt | Jeudi, 04 Déc. 2025 - 13h48

Dans une énième escalade des tensions commerciales dans le monde, l’UE se prépare à introduire des règles nettement plus strictes sur les investissements chinois dans le bloc. Dans le cadre actuel de 2019, les États membres jouissent d’une grande latitude dans la manière dont ils filtrent les investissements directs étrangers. Mais une nouvelle loi – approuvé par le Parlement européen en mai 2025 – rendrait désormais obligatoire le filtrage dans un éventail de secteurs stratégiques, notamment les médias, les matières premières critiques, les transports, l’énergie, les semi-conducteurs, l’intelligence artificielle et les technologies émergentes. Elle étend également cet examen aux projets entièrement nouveaux – et pas seulement aux acquisitions – et accorde à la Commission plus de pouvoirs pour intervenir dans les litiges ou combler les lacunes. D’ici décembre, la Commission vise à consolider les nouvelles règles, en mettant explicitement l’accent sur la Chine.

Cela marque une nouvelle étape vers la supranationalisation de la politique commerciale et d’investissement de l’UE. Pourtant, rien ne prouve que concentrer encore plus de pouvoir entre les mains de la Commission améliorerait la compétitivité du bloc. Au cours de la dernière décennie, la Commission a progressivement élargi sa portée exécutive dans pratiquement tous les domaines politiques, mais cette centralisation n’a produit aucun gain économique tangible. Au contraire, la puissance économique de l’Europe s’est érodée. Le cœur industriel de l’UE – l’Allemagne, la France et l’Italie – présente désormais des symptômes évidents de stagnation structurelle : contraction industrielle, baisse de la capacité d’innovation et perte constante de compétitivité mondiale. Même le rapport sur la compétitivité de Mario Draghi a reconnu ces problèmes, exhortant à des investissements publics/privés massifs pour relancer l’économie réelle. Ironiquement, cela vient de l’un des principaux architectes du modèle néolibéral aujourd’hui abandonné au profit du protectionnisme et d’une politique industrielle dirigée par l’État. L’Occident, autrefois champion de l’ouverture des marchés, reprend désormais des politiques qu’il avait longtemps condamnées pour la Chine.

Ces nouvelles mesures réglementaires sont susceptibles de déprimer encore plus les investissements directs étrangers (IDE). En affaiblissant l’engagement de l’UE en faveur de l’ouverture des marchés, Bruxelles sape également ses vieilles critiques envers les restrictions à l’investissement en Chine. Après tout, si Pékin bloque vraiment l’accès des étrangers, comme le prétend l’UE, comment expliquer le fait que le nombre d’IDE européens en Chine soit considérablement plus élevé que celui des IDE chinois en Europe ? Les données d’Eurostat montrent qu’en 2022, les investissements européens en Chine ont totalisé 247 milliards d’euros, tandis que les investissements chinois en Europe n’étaient que de 54 milliards d’euros, soit un écart de 192 milliards d’euros. De plus, les IDE chinois en Europe ont fortement diminué, de 77% depuis 2016, en grande partie en raison de la Réglementation de filtrage des IDE de 2020 et des régimes nationaux de plus en plus restrictifs introduits depuis lors.

En exigeant des investisseurs étrangers qu’ils prouvent apporter des “avantages locaux” – en termes d’emplois, de transfert de technologie ou de R&D – l’Europe adopte effectivement la même logique interventionniste pour laquelle elle condamnait autrefois Pékin. Et Pékin ne restera pas passif. Elle a déjà montré qu’elle pouvait riposter aux mesures américaines et japonaises en ralentissant les approbations, en resserrant la réglementation sur les entreprises étrangères ou en limitant les exportations d’intrants clés tels que les terres rares et les matériaux de batterie – des domaines où l’Europe est structurellement dépendante. Pékin pourrait également rediriger les flux d’investissement vers d’autres régions, accentuant la marginalisation de l’Europe.

Pendant ce temps, le progrès industriel de l’Europe stagne. Dans des secteurs comme l’automobile, l’IA, les technologies vertes et la fabrication de pointe, la Chine continue de progresser tandis que l’UE reste enlisée dans sa réglementation bureaucratique. La poursuite de la « réduction des risques » et du découplage partiel s’est retournée contre elle, transformant la dépendance de l’UE en une contrainte auto-imposée. L’Europe consolide son rôle de puissance normative – en émettant des règles plutôt qu’en façonnant des percées technologiques ou industrielles.

La doctrine évolutive de “sécurité économique” de l’UE inclut désormais des contrôles potentiels des investissements à l’étranger pour empêcher les entreprises européennes d’aider leurs rivaux dans des secteurs sensibles. Cela reflète le débat américain sur le filtrage à l’étranger, signalant une autre étape vers un paradigme de sécurité protectionniste. Alors qu’un mécanisme uniforme pourrait combler les lacunes entre les États membres – empêchant les investisseurs d’exploiter les juridictions dont la surveillance est plus faible – l’application restera difficile. Des structures de propriété complexes, des participations offshores et des allers-retours passant par des pays tiers obscurcissent les bénéficiaires ultimes. Si les règles deviennent trop rigides, l’Europe risque de faire fuir non seulement les capitaux chinois, mais tous les investissements étrangers, aggravant ainsi sa stagnation économique.

Pékin ne restera pas inactif si l’environnement d’investissement européen devient plus imprévisible ou discriminatoire. La Chine dispose de multiples leviers pour exercer des pressions – du report des acquisitions européennes et l’imposition d’obstacles réglementaires à la restriction des exportations de composants critiques. De telles contre-mesures intensifieraient le déclin économique de l’UE et renforceraient sa dépendance vis-à-vis des autres. Les nouvelles règles peuvent donc accélérer un cercle vicieux de suspicion mutuelle et de vulnérabilité.

En fin de compte, l’UE est confrontée à un dilemme stratégique : comment concilier les préoccupations légitimes de sécurité avec ses besoins de croissance et de compétitivité. Un régime d’investissement rigide et politiquement chargé ne fonctionnera pas. L’Europe devrait plutôt se concentrer sur le rétablissement de la confiance, la poursuite de cadres de coopération et le maintien de l’ouverture dans le cadre d’un modèle stratégique mutuellement bénéfique. La défense économique motivée par la peur et les réflexes protectionnistes ne fera qu’approfondir la stagnation. Pour éviter l’auto-isolement, l’UE doit rétablir un engagement constructif avec la Chine – ou risquer d’achever sa transformation d’une puissance économique mondiale en une bureaucratie qui s’est mise elle-même en cage.

Coécrit par Fabio Massimo Parenti, Professeur d’études internationales

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.


- Source : Thomas Fazi

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