La chute du régime de Zelensky et celle de ses alliés par Thierry Meyssan
Le plan de paix états-uno-russe pour l’Ukraine met, certes, fin à un conflit. Mais, surtout, il ouvre la voie à une réinterprétation de l’histoire. Non, l’opération militaire russe n’était pas « agression militaire illégale, non provoquée et injustifiée », mais une application de la résolution 2202 du Conseil de sécurité, conformément au droit international. Les peuples européens, s’ils reconnaissent s’être trompés, ou avoir été trompés, changeront leurs régimes comme l’Ukraine va changer le sien.
Le conflit ukraino-russe touche à sa fin : les présidents russe et états-unien sont convenus d’un plan en 28 points, sur le modèle de celui adopté par le Conseil de sécurité pour le conflit judéo-arabe [1].
Si les principes directeurs ont été approuvés lors du sommet d’Anchorage (Alaska), le 15 août, par Donald Trump et Vladimir Poutine en personne, les détails en ont été négociés par Steve Witkoff et Kirill Dmitriev, du 24 au 26 octobre, à Miami. Cet accord n’a officiellement été dévoilé à Rustem Umerov, secrétaire du conseil ukrainien de Sécurité et de Défense, qu’en début de semaine dernière, avant sa fuite au Qatar. Le président non-élu ukrainien, Volodymyr Zelensky, l’a découvert en détail, le 20 novembre, lorsque Dan Driscoll (secrétaire à l’Armée de terre), et les généraux Randy George (chef d’état-major de l’Armée de terre) et Chris Donahue (commandant des forces états-uniennes en Europe et en Afrique), sont venus le lui présenter.
Durant les trois derniers mois, les forces russes ont bombardé les unités « nationalistes intégrales » (« bandéristes » ou « néo-nazis », selon le vocabulaire du Kremlin) du « führer blanc », Andriy Biletsky. De sorte que celui-ci sort vaincu des batailles successives de Marioupol (mai 2022), de Bakmout/Artiomovsk (décembre 2023) et de Pokrovsk (novembre 2025).
Le 11 novembre, le département d’État a donné son feu vert à la révélation de « l’Opération Midas », une vaste enquête du Bureau ukrainien de lutte contre la corruption (NABU) conduite avec l’aide de 80 inspecteurs états-uniens. Elle a déjà provoqué la démission de deux ministres — Herman Halushchenko, ministre de la Justice, et Svitlana Grynchuk, ministre de l’Énergie — et la fuite de Rustem Umerov (déjà cité) au Qatar. Selon toute vraisemblance, la démission d’Andriy Yermak, le directeur de l’administration présidentielle, devrait suivre. À ce moment-là, Volodymyr Zelensky sera nu : les principaux responsables politiques sur lesquels il s’appuyait seront anéantis. Il n’aura d’autre choix que d’accepter le plan de Donald Trump ou de fuir, lui aussi.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le président non-élu n’a pas cherché à modifier les conditions du plan de paix lorsqu’il a rencontré la délégation états-unienne, le 20 novembre, mais à lui ajouter une amnistie ; non pas une amnistie pour les crimes de guerre, mais pour les faits de corruption.
D’ores et déjà les Ukrainiens restés au pays (un tiers de la population a déjà fui l’Ukraine, moitié en Russie, moitié dans l’UE) sont violemment contre le président auto-proclamé. Il avait été élu pour lutter contre la corruption et il l’a développée à un niveau jamais égalé. En novembre, plusieurs émeutes ont dressé la population contre les recruteurs militaires. Même les « nationalistes intégraux » considèrent désormais qu’il ne peut plus les aider à réaliser leur projet d’apocalypse contre les slaves et se concertent en urgence pour le renverser.
Les États de l’Union européenne, qui imaginaient une guerre longue et s’y préparaient, ne peuvent pas accepter une capitulation qui ne dit pas son nom. Chacun est aujourd’hui confronté à la fin brutale de son rêve. À l’évidence, la chute du régime ukrainien sera suivie par celle des responsables européens qui l’ont soutenu.
En effet, le moment de faire les comptes est venu. L’Union européenne a d’abord fourni 1 milliard d’euros en liquide, puis son comité militaire a institué une chambre de compensation permettant aux Ukrainiens de choisir des armes dans les stocks des armées membres de l’Union. Enfin l’Union a mis ses moyens propres, comme ses satellites, à disposition. Au fil du temps, l’UE a donné toujours plus : jusqu’à 3 milliards d’euros en juillet-août.
Que l’on ne croie pas que c’est une initiative des seuls fonctionnaires de la Commission. Le 1er mars 2022, le Parlement européen, élu au suffrage universel, a tenu une session avec le président Zelensky qui s’exprimait par vidéo. Il a adopté la vision de l’OTAN, qui ignore les accords de Kiev, et considère l’opération spéciale russe contre les « nationalistes intégraux », en application de la résolution 2202 du Conseil de sécurité, comme une « agression militaire illégale, non provoquée et injustifiée ». C’est lui qui a adopté une résolution (P9_TA(2022)0052) ouvrant la voie au soutien total de l’UE au régime Zelensky, dans laquelle de nombreux États membres se sont engouffrés.
Lorsque le président Trump et son vice-président Vance ont secoué Zelensky dans le bureau ovale, le 28 février 2025, certains gouvernements se sont concertés. Une série de va-et-vient a eu lieu entre Paris et Londres qui souhaitaient tous deux prendre la tête d’une coalition de volontaires. En définitive, seuls les Britanniques sont restés en lice. Londres a formé une alliance militaire avec les pays de la Baltique (Danemark, Estonie, Finlande, Islande, Lettonie, Lituanie, Norvège, Pays-Bas et Suède) et y a associé l’Ukraine, le 5 novembre. Il s’agit d’un OTAN purement britannique à l’intérieur de l’OTAN.
La France, bien qu’elle ne participe pas à cette alliance autour du Royaume-Uni, n’est pas en reste. Mais il s’agit désormais plus de posture que d’action. Le président Emmanuel Macron a signé avec son homologue non-élu, Volodymyr Zelensky, le 17 novembre, une lettre d’intention selon laquelle, lorsque l’industrie nationale le pourra, elle construira et vendra 100 Rafales à l’Ukraine. Puis, le 18 novembre, il a envoyé son chef d’état-major des armées, le général Fabien Mandon, dire au Congrès des maires de France, que les Français devaient se préparer à perdre leurs enfants lors d’une guerre imminente contre la Russie.
Volodymyr Zelensky a téléphoné en panique à ses alliés, le 21 novembre. Emmanuel Macron, Friedrich Merz et Keir Starmer ont souligné une fois de plus, selon l’Élysée, « que toutes les décisions ayant des implications pour les intérêts de l’Europe et de l’Otan nécessitent le soutien conjoint et le consensus des partenaires européens et des alliés de l’OTAN respectivement ».
Tous se sont retrouvés, le 22 novembre, à Johannesburg (Afrique du Sud), où se tenait une réunion des chefs d’État et de gouvernements du G20, à l’exception de… Donald Trump et de Vladimir Poutine. La déclaration finale ne comprenait qu’une phrase évasive sur le sujet : « Guidés par les objectifs et les principes de la charte de l’ONU dans son entièreté, nous travaillerons pour une paix juste, complète et durable au Soudan, en République démocratique du Congo, dans les territoires occupés palestiniens, en Ukraine, de même que pour mettre fin à d’autres conflits et guerres autour de la planète ». Des banalités qui ne justifient pas une telle réunion. Aussi, les Européens se sont concertés en coulisse pour élaborer une contre-proposition.
La presse européenne se contente de présenter le plan de paix russo-états-unien comme « favorable à Moscou », ce qui n’est pas du tout le cas, ni le sujet. Le plan, pour autant qu’on le connaisse, prévoit de reconnaître que la Crimée et les deux républiques du Donbass (Donetsk et Loughansk) sont russes. Mais c’était déjà le cas AVANT la guerre. Il prévoit également que le reste de la Novorossia sera attribué en suivant la ligne de front. En d’autres termes, presque tous les oblasts de Kherson et de Zaporijjia, mais pas le port d’Odessa qui aurait permis à la Russie d’établir une continuité territoriale avec la Transnistrie, candidate à l’adhésion à la Fédération de Russie.
En outre, le plan impose que l’armée ukrainienne, aujourd’hui de 800 000 hommes, soit réduite à 600 000 hommes, qu’elle renonce aux missiles à longue portée, capables de frapper Moscou (qu’elle n’a pas pour le moment. C’était le débat sur les Tomahawks états-uniens et les Taurus allemands), et à l’adhésion à l’OTAN, mais des avions de chasse européens pourront être stationnés en Pologne.
D’un point de vue russe, le plus important est ailleurs : la dénazification du régime de Kiev. Un objectif fondamental dont les membres de l’OTAN n’ont jamais été conscients. La dénazification suppose un programme éducatif dans chaque pays à la culture de l’autre, comme celui qui a été mené en France et en Allemagne à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Moscou obtient donc ce pourquoi il s’est battu, mais pas ce qu’il espère de longue date : le reflux de l’OTAN sur ses frontières de 1991. Ce sera toujours une source de conflit. L’Union européenne doit en être consciente. Elle ne devra pas s’étonner de voir ce conflit se prolonger.
Côté états-unien, Washington s’engage à lever les sanctions contre la Russie et à réintégrer Moscou au sein du G7/8.
Certes, le président Donald Trump est sur le point de réussir à sortir son pays de ce guêpier. Mais, c’est pour placer l’Union européenne face à ses responsabilités.
La reconstruction de l’Ukraine, évaluée à 200 milliards de dollars reviendra pour moitié à l’UE et pour moitié à la Russie. Chacun devra débourser 100 milliards de dollars. Les fonds russes seront prélevés sur les sommes gelées durant le conflit. Elles seront contrôlées par les États-Unis qui bénéficieront de la moitié des revenus de ces investissements.
Enfin, si l’Ukraine renouvellera son engagement à ne pas construire de bombes atomiques, l’électricité produite par la centrale de Zaporijia sera destinée pour moitié à l’Ukraine et pour moitié à la Russie.
Le plus dur n’est évoqué par personne : l’Union européenne (et par voie de conséquence l’OTAN) devra reconnaître que ces événements ne constituaient pas une « agression militaire illégale, non provoquée et injustifiée », mais une application légitime de la résolution 2202 du Conseil de sécurité, conformément à la Charte des Nations unies et au droit international.
Une introspection de chacun s’impose. Tous ont nourri cette guerre dont on ne connait pas le nombre de victime. Les hauts-fonctionnaires de Bruxelles ont agi avec hubris, les gouvernements membres de l’UE ont eu un comportement grégaire, et les peuples européens se sont convaincus d’incarner la paix.
C’est cette prise de conscience qui paraît le plus important et qui provoquera la chute des régimes qui ont souhaité et œuvré à « mettre la Russie à genoux ».
Photo d'illustration: Le sommet d’Anchorage, le 15 août 2025, a défini les principes du plan de paix pour l’Ukraine.
Note:
[1] « Le plan de paix Trump pour l’Ukraine », Réseau Voltaire, 20 novembre 2025.
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L’Ukraine condamnée, la Russie triomphe du monde multipolaire
Il y a, une fois de plus, un espoir de paix en Ukraine, et cela – une fois de plus – fait paniquer les Européens. Les États-Unis et la Russie se rapprochent d’une proposition de cessation des hostilités dans le cadre d’un soi-disant plan de paix en 28 points. Pour en discuter avec moi, le Dr Nicolai Petro, professeur de science politique à l’Université du Rhode Island et auteur de «La Tragédie de l’Ukraine».
source : Neutrality Studies
- Source : Réseau Voltaire















