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Mercredi, 03 Déc. 2025

Quand un troupeau devient un avertissement : la dérive autoritaire que personne ne veut nommer

Auteur : Serge van Cutsem | Editeur : Walt | Mercredi, 03 Déc. 2025 - 13h11

Il y a des événements qui, pris isolément, pourraient passer pour de simples dérapages administratifs, des excès de zèle, des erreurs d’appréciation, des décisions mal calibrées. Mais certains épisodes dépassent ce cadre. Ils révèlent quelque chose de beaucoup plus grave : un état d’esprit, une manière d’exercer le pouvoir, une transformation silencieuse de la relation entre l’État et les citoyens. Ce qui se passe chez les éleveurs, et dont Tocsin Media est le porte-parole infatigable, dont le troupeau a été abattu de force malgré la vaccination, malgré l’absence de preuve, malgré un recours, malgré la présence d’élus, malgré le calme des manifestants et malgré l’évidence du non-respect de la procédure, appartient à cette catégorie de scènes qui marquent un tournant. Car pour arriver à envoyer des dizaines de CRS gazer des éleveurs pacifiques afin d’abattre immédiatement, et illégalement, des animaux sains, il faut déjà avoir franchi une ligne rouge. Et le fait que cela se soit fait au grand jour, sans la moindre gêne, sans la moindre hésitation, montre que cette ligne rouge est déjà loin derrière nous.

L’absurdité sanitaire saute aux yeux : les animaux avaient été vaccinés, la maladie suspectée n’avait pas été confirmée, les vétérinaires indépendants n’avaient trouvé aucun signe probant, le protocole européen imposait des analyses spécifiques avant tout abattage, et la justice avait été saisie. Les éleveurs n’avaient rien fait de travers. Ils avaient même fait davantage que ce que l’État exige habituellement. Et pourtant, c’est contre eux que l’appareil de force s’est déployé. Non pour les protéger, non pour gérer une urgence sanitaire réelle, mais pour exécuter une décision administrative contestée, en évitant soigneusement que la justice ne puisse avoir son mot à dire. Le message était clair : la procédure, le droit, la contestation légitime, l’expertise indépendante, tout cela passe après la volonté immédiate de l’administration.

Cette scène, d’une violence symbolique et politique rare, ne peut pas être comprise comme un incident isolé. Elle doit être replacée dans un contexte plus large : celui d’une Europe qui n’avance plus vers plus de démocratie, mais qui glisse, lentement et méthodiquement, vers un modèle où l’autorité administrative prime sur la souveraineté populaire, et où l’usage de la force tend à remplacer le dialogue lorsque les citoyens refusent de se plier à l’absurdité.

Depuis des années, ce glissement s’opère par petites touches, jamais frontalement, jamais en un seul acte visible. Aucun gouvernement n’annonce qu’il désire moins de démocratie. Aucun commissaire européen ne prétend vouloir limiter les libertés. Mais, crise après crise, un cadre se met en place. D’abord lors des états d’urgence successifs, où des mesures dites «exceptionnelles» n’ont jamais vraiment disparu. Puis lors de la crise sanitaire, où des décisions sans base scientifique solide ont été imposées à des populations entières au nom d’une sécurité abstraite. Ensuite lors des mouvements sociaux, où la répression est devenue un outil ordinaire plutôt qu’un dernier recours. Et maintenant à travers la gestion agricole, où la force publique intervient pour briser des citoyens parfaitement en règle, simplement parce qu’ils contestent une décision illégitime.

Le schéma est toujours le même. Il s’agit de provoquer une situation injuste, attendre la réaction, la déclarer excessive et répondre par la force. Faire passer la force pour de la gestion de crise, voici l’objectif global, il faut créer un précédent, puis considérer celui-ci comme un élément normal de la vie politique. Et on recommencera. Un peu plus loin. Un peu plus fort. Un peu plus longtemps. L’autoritarisme moderne ne s’impose pas par un coup d’État : il s’insinue par des frictions successives, en habituant peu à peu la population à l’inacceptable.

Ce qui rend cette dérive encore plus efficace, c’est qu’elle se fait toujours au nom du bien, au nom de la santé, de la sécurité, de la lutte contre la haine, de la lutte contre la désinformation, de la lutte contre la maladie, de la protection de l’environnement, de la gestion des risques. Mais derrière la façade vertueuse, la logique réelle est implacable : l’État décide, l’État impose, et toute contestation devient suspecte. Celui qui proteste est vite qualifié d’extrémiste, d’irresponsable, d’anti-science. Peu importe qu’il ait raison, peu importe qu’il respecte la loi, peu importe qu’il défende des animaux vaccinés ou son gagne-pain. Le pouvoir moderne n’écoute plus : il classe.

Le cas des éleveurs gazés est emblématique parce qu’il montre que le pouvoir ne cherche même plus à masquer l’usage de la force. Il n’a pas essayé de négocier et n’a pas attendu la décision judiciaire. Il n’a pas non plus autorisé les contre-analyses et donc n’a pas respecté son propre protocole. Il a choisi l’affrontement immédiat, l’écrasement symbolique, la démonstration de pouvoir brut. Non pas par nécessité sanitaire, mais parce qu’il fallait éviter un précédent. Car si un seul éleveur parvient à faire valoir son droit contre l’administration, alors d’autres pourraient suivre. Si un seul refuse l’abattage absurde d’animaux vaccinés, alors la doctrine européenne pourrait vaciller. Et un pouvoir qui a commencé à gouverner par la force ne peut plus se permettre de reculer.

Cette manière d’agir n’est pas une exception française : elle s’inscrit dans une tendance européenne plus large. Partout dans l’UE, l’emprise technocratique s’accroît, les contre-pouvoirs s’amenuisent, la justice devient lente, le débat public est filtré par les plateformes, la dissidence est disqualifiée par des étiquettes commodes, et les appareils de contrôle, numériques, policiers, administratifs, prennent de plus en plus de place. L’Europe ne bascule pas dans la dictature, elle bascule dans quelque chose de plus subtil, de plus moderne, de plus difficile à combattre : une technocratie autoritaire où l’on gouverne par des excès maîtrisés, des micro-chocs répétés, des démonstrations ciblées. Où on ne cherche pas à convaincre, mais à dissuader, où l’on ne débat plus, on impose. Où surtout on ne respecte même plus la loi qui devient une variable d’ajustement, en effet le pouvoir l’utilise comme un outil quand elle sert, et l’écarte quand elle gêne.

L’affaire des éleveurs n’est donc pas un accident. C’est un avertissement. Une illustration crue du monde politique qui se met en place : un monde où l’État n’a plus peur de franchir les lignes, parce qu’il estime que la population est désormais suffisamment habituée pour ne plus se révolter. Un monde où la légitimité ne vient plus du consentement des citoyens, mais de l’invocation permanente de la sécurité et du risque. Un monde où on peut gazer des paysans sur leur propre terrain pour abattre des animaux sains, et où le lendemain, tout continue comme si de rien n’était.

Il serait naïf de croire que ce glissement s’arrêtera de lui-même. Le pouvoir ne renonce jamais à la force une fois qu’il y a goûté. Et plus il s’en sert, plus il transforme la société, plus les citoyens s’habituent, plus l’espace de contestation se rétrécit, plus les précédents s’accumulent, et plus l’autoritarisme devient la norme. Ce qui se joue aujourd’hui n’est pas un simple désaccord administratif : c’est la redéfinition silencieuse du contrat social. Une redéfinition qui se fait sans débat, sans vote, sans consultation, mais à coups de gaz, de préfectures murées, de décisions arbitraires et de procédures piétinées. Une redéfinition où l’État ne sert plus le peuple : il le dirige, le discipline, et parfois le corrige.

L’Europe ne sombre pas dans la dictature. Elle s’y acclimate par étapes, comme on s’habitue à une lumière trop vive ou à un bruit de fond. Et tant que les citoyens ne voient pas que cette acclimatation est précisément le problème, la machine continuera de glisser, lentement mais sûrement, vers un modèle où la force remplacera le droit, où l’obéissance remplacera le débat, où l’arbitraire remplacera la justice. Il suffit parfois d’un troupeau abattu illégalement pour comprendre qu’un pays n’est plus exactement celui que l’on croyait. Il suffit parfois d’un gaz lacrymogène tiré sur un paysan pour réaliser qu’un seuil a été franchi. Le reste, hélas, ne sera qu’une question de temps et il ne faudra pas s’étonner qu’un jour le ras-le-bol provoque une violence extrême de la part des éleveurs et agriculteurs, et alors … Que va-t-il se passer ? que vont décider ces forces de l’ordre, ceci individuellement ? Tirer sur leurs concitoyens désespérés ? …


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