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Dopage : le rugby, sport à risque qui fait l'autruche

Auteur : Clément Guillou | Editeur : stanislas | Dimanche, 28 Avr. 2013 - 15h23

Sur le « mur des cons » du rugby français, les photos de Françoise Lasne et Laurent Bénézech viennent d’être épinglées à côté de celle de l’arbitre Craig Joubert. Leur tort ? Avoir attiré l’attention sur le dopage dans le rugby.

Après que Françoise Lasne a dévoilé les chiffres des contrôles positifs de l’Agence française de lutte contre le dopage [AFLD] – le rugby arrivait en tête – Laurent Bénézech a appelé Le Monde pour lui faire part de son inquiétude. Dans une interview retentissante, l’ancien international – 15 sélections en 1994 et 95 – dit :

« [Françoise Lasne] met au jour la complicité des organismes du rugby, notamment des clubs, au travers de la pratique des autorisations d’usage à des fins thérapeutiques (AUT). [...]

Les preuves sont sous nos yeux mais apparemment, ça n’intéresse personne. Le rugby est exactement dans la même situation que le cyclisme avant l’affaire Festina.

– Il y aurait donc une forme de dopage organisé dans le rugby...

– La déclaration de Françoise Lasne ne laisse planer aucun doute sur la réponse. C’est oui, car il y a une pratique développée des AUT, c’est-à-dire la justification par le médecin d’une prise médicamenteuse dont il est évident qu’elle sert à la recherche de la performance. »

Vague d’indignation dans le rugby français.

Lasne et Bénézech : des déclarations maladroites

L’ennui de ces déclarations, c’est qu’elles sont maladroites. Françoise Lasne a annoncé des chiffres bruts sans contextualiser ni les nuancer. Laurent Benezech a largement déformé les propos de la chercheuse et accusé de dopage, sans le citer, un joueur que tout le monde a reconnu – le Bayonnais François Carrillo.

Ils ont offert une prise au monde du rugby, qui a tout fait pour se poser en victime. Christian Bagate, responsable de l’antidopage à la Fédération française de rugby (FFR) :

« Concernant Françoise Lasne, jamais les chiffres de l’AFLD n’ont été présentés de manière aussi fallacieuse.

Quant à Laurent Bénézech, je ne sais pas ce qui l’a animé. Il y a évidemment des choses qui interrogent et posent question à tout le monde, mais d’ici à considérer qu’il y a un dopage organisé, non, nous ne sommes pas à la veille de l’affaire Festina. »

Sur les mâchoires carrées qui auraient fleuri dans le Top 14, preuves selon Bénézech de la prise d’hormones de croissance, le docteur Bagate parle de « délit de faciès ».

« C’est d’une stupidité incroyable. Tous les prognathes sont-ils des gens qui prennent des hormones de croissance ? Lionel Messi, qui a pris des hormones de croissance dans le cadre de son traitement, a-t-il la mâchoire carrée ? Si j’observe le délit de faciès, tous les chauves, dont Bénézech fait partie, se sont shootés à la testostérone ? On est dans la même veine (sic) ! »

Sur les AUT [autorisations à usage thérapeutique de substances interdites] et les corticoïdes, dont les clubs du Top 14 abuseraient selon l’ancien pilier, Bagate poursuit :

« Il y en avait 750 en 2009, j’ai gueulé : il y avait des clubs où tout le monde était malade et, comme par hasard, ils allaient en finale. Il y avait de tout dans les AUT ! Mais en 2012, il n’y en a eu que 30. Le problème, c’est qu’entre-temps la loi de l’Agence mondiale antidopage a été modifiée. Il n’y a plus besoin d’AUT pour prendre du salbutamol comme un fou, ou de la cortisone.

Les corticoïdes, il y en a, j’en ai qui se foutent en insuffisance surrénale [provoqué par la prise prolongée de corticoïdes, ndlr], mais je n’ai aucune preuve... Et je rencontre peu de problèmes sur le taux de cortisol [dont l’effondrement indique le plus souvent une prise de corticoïdes, ndlr]. »

Le tonitruant Serge Simon

La réaction la plus tonitruante a été celle du médiatique Serge Simon, président de Provale, le syndicat des joueurs.

Après les propos de Françoise Lasne, il signe une tribune violemment ironique dans laquelle il tourne en dérision le travail de l’AFLD. Si l’agence ne recevait plus de subventions, « ça nous ferait des vacances de première », persifle l’ancien rugbyman, qui ferraille par ailleurs contre l’AFLD pour éviter aux rugbymen la localisation imposée aux sportifs.

L’agence, qui travaille en bonne intelligence avec les dirigeants du rugby français, est sonnée. La charge de Serge Simon est si violente qu’elle a embarrassé la FFR, dit aujourd’hui un responsable de l’antidopage français. Christian Bagate dément, tout en prenant ses distances avec les propos de « [son] ami Serge » :

« Vous confondez la communication de Serge et la communication de la FFR. La sienne est médiatisée parce qu’il adore être dans la presse, et pas nous. Mais lui, c’est pas nous ! Et puis il ne dit pas qu’il n’y a pas de dopage dans le rugby, il dit que quand on avance des choses, il faut apporter des preuves. »

Serge Simon n’a jamais dit qu’il n’y avait pas de dopage dans le rugby – on lui aurait ri au nez – mais il n’a jamais dit qu’il y en avait. Dérangeant pour l’homme chargé de défendre, entre autres, la santé des joueurs.

Simon en 2001 : « Toutes les conditions sont réunies pour l’arrivée du dopage »

Lors de la précédente polémique sur le dopage dans le rugby français, Simon s’était montré moins fanfaron. A Pierre Berbizier qui affirmait en 2001 que le dopage était « une réalité dans le championnat », le syndicaliste répondait :

« [Je ne le rejoins pas] sur la forme, non, c’est clair. En revanche, sur le fond, il est évident que le rugby n’est pas à l’abri. Je le rejoins sur la nécessité d’éviter de créer le terrain idéal pour le dopage. Toutes les conditions sont réunies pour l’arrivée du dopage, pour que certains joueurs utilisent des produits illicites afin d’améliorer leurs performances. »

Aujourd’hui, Christian Bagate tient ce discours de vigilance. Il souligne le travail de prévention et le suivi longitudinal appliqué jusque dans les centres de formation, pour essayer « d’éloigner les vilains qui viennent polluer notre sport ».

Comme l’ex-préparateur physique de Pau, Alain Camborde, qui travaillait avec de nombreux rugbymen, actuellement mis en examen pour trafic de produits interdits.

D’autres affaires pourraient suivre : grâce à la polémique actuelle, les langues se délient dans le milieu, dit une source bien renseignée.

« La FFR a très peur »

« La FFR a très peur d’être gangrenée par ces pratiques », disait Jean-Pierre Verdy, directeur des contrôles de l’AFLD, devant le Sénat. « Ils ont été très satisfaits que nous ayons effectué une descente dans un club professionnel du Top 14 [Toulon, ndlr]. »

Peu de fédérations reçoivent les satisfecit de l’agence française. Pourtant, l’image qui ressort de la crise est celle d’un sport qui fait l’autruche.

Une occasion ratée, juge le docteur Christian Daulouède, joueur de première division à la fin des années 70 et médecin de Bègles à la fin des années 90. Il renvoie Bénézech et Simon – un ancien Bèglais – dos à dos :

« J’ai trouvé que les propos de Benezech étaient absolument scandaleux. D’une bonne cause, il a fait un plaidoyer lamentable. Il n’y a que des contre-vérités scientifiques.

Mais je suis tout autant scandalisé par la réaction qu’a eue le monde du rugby. Que mon copain Serge Simon ne dise pas : “Oui, il y a un danger”, qu’il attaque Bénézech en justice, c’est à pleurer. Ils n’ont pas du tout eu la réaction qu’on aurait pu attendre d’eux. »

« S’arrêter et regarder dans quel état est le rugby »

Les interviews récentes d’internationaux comme Sébastien Chabal, dénonçant un calendrier démentiel, ou Julien Bonnaire, qui regrettait la violence du rugby actuel, dénotent un malaise des joueurs, estime Christian Daulouède.

« Il faut s’arrêter et regarder dans quel état est le rugby. On sait que les contrôles urinaires sont contournables. Ne peut-on pas modifier les règles, concernant les mêlées, le déblayage, le turnover des joueurs, le temps de repos, plutôt que de hurler comme des vierges effarouchées ?

L’haltérophilie est un sport de force pure, donc tout le monde est dopé. Si le rugby devient un concours de centimètres, de muscles, de temps de course, c’est exactement ce qui correspond au dopage. Si vous faites gagner 15 kilos de muscles à un troisième-ligne, il fera un progrès radical.

On est dans une course au poids, aux centimètres, au temps de jeu effectif. On pousse au dopage. Je ne parle pas des amphétamines, des excitants qui ont toujours existé et qu’on prenait avant les matches [y compris Serge Simon, ndlr].

Je parle du dopage d’aujourd’hui, celui que l’on prend entre les matches ou en période de préparation. C’est ce vers quoi on se dirige.

Il y a en France des freins très puissants : les entraîneurs comme Guy Novès ou Fabien Galthié, qui n’ont pas cette culture. En revanche, avec les nouveaux présidents de clubs qui injectent beaucoup d’argent, ça va arriver.

De nombreux joueurs étrangers arrivent, les piliers du Top 14 sont aujourd’hui tous étrangers alors même qu’il y a de grosses suspicions sur certains pays. En 1997, lorsque la France prend 60 points contre l’Afrique du Sud [10-52, ndlr], 14 des 17 Sud-Africains avaient présenté une AUT ! »

Des propos qui font écho à ceux de Felipe Contepomi, ancien joueur argentin du Top 14, devant la commission d’enquête du Sénat sur la lutte antidopage. Selon lui, les joueurs anglo-saxons du championnat avalent quantité de compléments alimentaires – dans lesquels figurent souvent des molécules interdites en quantité infime. « Les Français l’ont vu et ont constaté que ça marchait », a-t-il ajouté.

C’est peut-être du Sénat que viendront les propositions constructives. Contepomi, médecin et représentant des sportifs à l’Agence mondiale antidopage, a ainsi préconisé une préparation de deux mois minimum avant la reprise de la saison, au lieu d’un mois actuellement pour les internationaux.

Pendant ce temps, les rugbymen du Racing reprochaient à Bénézech d’être à l’origine d’une vague de contrôles antidopage.

S’il y a un parallèle à établir avec la situation du cyclisme pré-Festina, c’est sans doute dans le traitement réservé à celui qui brise l’omerta : comme Christophe Bassons a été écarté du milieu du vélo, Laurent Bénézech s’est sans doute grillé à vie dans le rugby.


- Source : Clément Guillou

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