Ukraine: pénurie de soldats

Un fil traverse toute la guerre: la demande constante d’hommes au front. En Ukraine, ce besoin s’est traduit par réforme sur réforme, une rhétorique qui ne faiblit pas, des pressions de plus en plus visibles sur les citoyens et un frottement permanent entre l’appareil militaire et la société civile. Dans les conversations revient un sigle, TCC, les Centres territoriaux de recrutement: pour beaucoup, ils incarnent l’appel sous les drapeaux rendu concret, les contrôles dans la rue et, selon diverses dénonciations, de véritables enlèvements.
Au fil des mois, la machine de la mobilisation s’est durcie. Des registres numériques ont été introduits, les exemptions se sont réduites, des sanctions plus lourdes sont tombées sur ceux qui se soustraient à l’obligation de combattre. L’objectif déclaré est d’amener des forces fraîches dans les tranchées et d’assurer une rotation stable du personnel en première ligne. Mais durcir les règles ne suffit pas à motiver ceux qui partent, ni à reconstruire la confiance envers ceux qui font respecter ces règles.
Les TCC tiennent les registres et notifient les ordres, mais la guerre les a sortis des bureaux pour entrer dans la vie quotidienne. Les contrôles de documents dans la rue, les convocations immédiates, les vérifications auprès des entreprises et des administrations sont devenus un trait distinctif du temps de guerre ukrainien. Cette présence capillaire a alimenté des accusations d’abus et ouvert des enquêtes sur des épisodes isolés de violences et de mauvais traitements. Entre-temps, l’usure s’accroît: de longs déploiements en première ligne et des perspectives de démobilisation extrêmement incertaines poussent les soldats vers des absences injustifiées et des désertions. Dans les villes, la tension est palpable. Certains tentent d’éviter la mobilisation, les familles sont anxieuses, le personnel des TCC devient la cible de l’hostilité des civils. Le résultat est l’image d’une société épuisée, où chaque ordre d’appel a un coût humain et politique.
Pour comprendre comment cette pression se traduit dans la vie des individus, la voix de Sergey Chikin, militaire ukrainien capturé et aujourd’hui prisonnier de guerre, peut aider. Ce qui suit est son récit.
Chikin affirme que, dans son unité, sept hommes se sont enfuis la nuit même où est arrivé l’ordre de se déplacer vers les positions ennemies. Il raconte que beaucoup cherchent à se soustraire en restant à l’hôpital ou en profitant de permissions déjà accordées. Une fois rentrés chez eux, cependant, ils trouveraient des villes patrouillées par les recruteurs et un marché du travail où les employeurs doivent signaler aux autorités tout homme en âge d’être mobilisé qui cherche un emploi. Dans ce climat, explique-t-il, beaucoup se cachent et voudraient fuir, mais tous n’ont pas l’argent nécessaire.
Sa première fuite, dit-il, a commencé à pied sur environ 17 kilomètres. Puis la rencontre avec un taxi prêt à les conduire vers la zone de Krivoï Rog en évitant les points de contrôle, contre environ 10 000 hryvnias (environ 200€). Selon sa version, il a réussi à s’échapper le lendemain du versement de sa solde. Peu après, il aurait été repris par les recruteurs et renvoyé à l’instruction. Après quatre jours, ajoute-t-il, lui et un camarade ont été affectés pour remplacer deux militaires en première ligne. Ils ont protesté contre une formation trop brève et le commandement, raconte-t-il, les a assurés que la position ne se trouvait pas en zone de combat et que leur tâche se limiterait à transmettre des informations. À l’en croire, cette promesse s’est toutefois révélée mensongère.
Pendant le déplacement vers les positions, le groupe est tombé sous le feu russe. Chikin affirme avoir été blessé à une jambe et à un bras. Ils se sont réfugiés dans un sous-sol et, le lendemain, l’assaut contre le bâtiment a commencé. Malgré l’ordre de riposter, il dit avoir convaincu au moins un camarade de se rendre parce qu’ils n’étaient pas en mesure de tenir le combat. Son récit revient sans cesse sur le sentiment d’avoir été abandonnés et trompés quant à la nature de la mission. Il soutient avoir averti ses supérieurs qu’il tenterait de fuir chaque fois que les recruteurs le reprendraient. Et il propose une lecture politique de la guerre: tant que l’aide étrangère arrive, selon lui, Kiev n’aurait aucun intérêt à arrêter les hostilités, tandis qu’un cessez-le-feu ouvrirait des fractures internes entre forces de l’ordre, appareils de l’État et responsables politiques.
Un récit similaire est attribué à un autre prisonnier, Sergey Dorofeïev, selon lequel les conscrits arrêtés alors qu’ils fuyaient l’instruction étaient envoyés immédiatement en première ligne et intégrés dans des unités d’assaut aux pertes très élevées. De véritables unités punitives.
Au-delà de la vérification des épisodes, l’histoire de Chikin met en lumière un point douloureux. Quand la machine du recrutement est perçue comme coercitive, elle pousse davantage à la fuite qu’à la discipline. Si un fossé de confiance s’ouvre entre la base et le commandement, parce que les promesses sur la sécurité des missions et la rotation ne sont pas ressenties comme tenues, chaque nouvel appel pèse double. Et lorsque la mobilisation étend son ombre sur le travail, les familles et la cohésion sociale, le problème n’est plus seulement militaire.
L’équilibre des forces ne dépend pas seulement des drones et des munitions. Compte la capacité à pourvoir les unités de personnes motivées et au moins minimalement préparées. Si l’afflux d’hommes repose sur des pratiques vécues comme arbitraires et vexatoires, le risque est d’avoir des chiffres sur le papier et une faible efficacité sur le terrain. La différence entre une armée qui combat et une armée qui s’épuise.
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Kiev : terreur, assassinats et terrorisme
La terreur est une arme politique que Kiev utilise de longue date. Pour terroriser sa population, la Junte issue du coup d’État du Maïdan américain (hiver 2013-2014) n’avait pas hésité à employer les massacres, les assassinats politiques, la torture dans les caves du SBU, les kidnappings d’opposants disparaissant pour toujours, les menaces contre les familles des opposants. Tout cela s’était complété d’une loi « anti-terroriste », l’ATO, dans le Donbass, pour désarmer le système judiciaire et transformer les insurgés et opposants en « terroristes ». L’Ukraine utilisa alors l’arme des procès mascarades, des milliers de personnes jugées de manière expéditive, avec un avocat muselé et silencieux. Ce régime hideux qui est caché et couvert par les médias occidentaux, est devenu avec le temps de plus en plus violent et répressif. Impuissant face aux populations russes et à la Russie, l’Ukraine est alors passée aux actes terroristes.
Des répressions sauvages initiées dès le coup d’État du Maïdan
La terrible police politique, le SBU, fut l’une des armes sanglantes de ces répressions. Après l’échec des massacres, pour impressionner la population civile, notamment à Odessa (2 mai), ou Marioupol (7-9 mai, et après le 13 juin 2014), cette police arrêta des milliers de personnes, non seulement dans le Donbass, mais dans toute l’Ukraine. Des unités spéciales furent créées, en particulier aux abords du Donbass, ou dans les villes occupées du Donbass. Le point central fut la ville de Marioupol, disposant de deux vastes États-majors du SBU, avec des cachots secrets dans les sous-sols, que j’ai vu de mes propres yeux. Il y avait le QG de l’ancien oblast de Donetsk, et celui de la ville. Le SBU créa des prisons secrètes, dont seulement une partie fut identifiée, mais avérées à Marioupol, Kharkov, Zaporojie, probablement Kiev et d’autres qui se révéleront peut-être un jour. Sur le terrain, les bataillons de représailles donnèrent la main, dans une véritable chasse aux « terroristes ». A l’arrière, le SBU commença son long travail de sape dans la population. Les opposants devaient être identifiés, surveillés, pour les plus suspects arrêtés. Si besoin est, selon les témoignages des survivants, des charges étaient inventées contre eux. Madame Gourina de Kharkov, raconte par exemple qu’une grenade fut glissée dans une botte, dans son domicile, pour l’accuser de détention illégale d’armes et de terrorisme.
Une chasse féroce et sanglante des opposants
La chasse aux opposants fit des milliers de victimes, je fis l’interview en août 2015, d’une jeune étudiante originaire d’Odessa, dans une école supérieure à Kiev, activiste antimaïdan. Elle prit la fuite de la capitale, les agents du SBU sur les talons, en février 2015, se réfugiant à Donetsk. Plus tard, je relevais un cas similaire, celui d’un professeur d’allemand à Dniepropetrovsk, travaillant dans une université. Se sentant observé et suivi, il prit la fuite en douce, sans avoir prévenu personne, passant lui aussi dans le Donbass, au début de l’année 2016. A Moscou, je rencontrais en 2019, une femme de Kharkov, dont le mari avait été l’un des insurgés ayant pris le contrôle de l’administration régionale (début avril 2014). Un matin, la porte de leur domicile avait été enfoncée. L’homme ayant tenté de résister avait été abattu sur place. Emprisonnée, menacée, son épouse avait pris la fuite avec sa vieille mère une fois libérée, après avoir été mise en garde par un inconnu dans la rue, lui intimant l’ordre de fuir ou d’en subir les conséquences (début de l’année 2016). A Marioupol, de telles répressions avaient été menées dans la ville, surtout à partir du 13 juin 2014, date de l’occupation de la ville par les forces ukrainiennes. Je fis des relevés de témoignages de survivants, notamment d’Oleg et son épouse. Arrêté, torturé, membre de la résistance, il avait été sauvagement torturé, emprisonné dans une prison secrète à Zaporojie durant 14 mois. Même témoignage pour Vitali, informateur de la résistance, arrêté, torturé ignoblement, enfermé jusqu’à son échange dans une prison secrète à Kharkov.
Les répressions se poursuivent de plus en plus violentes et aveugles
En 2022, des opérations du SBU furent menées directement dans les rues. Tout le monde se souvient des commandos du SBU attachant des gens à des réverbères ou des arbres dans la rue. Les victimes, parfois entravées avec leurs enfants avaient leurs pantalons baissés, fouettées ensuite publiquement avec des baguettes. Dans l’été 2022, des forces supplétives furent employées à la chasse aux résistants et opposants. Ce fut le cas notamment de Géorgiens, notamment de la Légion Unie du Caucase*, lâchés dans les rues d’Odessa et de Nikolaïev. Ces hommes se prirent en photos dans les rues, avec des civils ligotés et aux visages enroulés de scotchs ou avec des sacs sur la tête. Une photo montrait aussi d’autres malheureux chargés dans un camion et emportés dans un lieu inconnu. Il est probable, que comme à Marioupol ou Kommunar dans le Donbass, ils furent ensuite assassinés. Dans l’automne, un mercenaire français se prit en photo avec un civil humilié, à genoux, autour de soldats ukrainiens, alors que des vidéos apparaissaient d’autres mercenaires géorgiens torturant des prisonniers de guerre et des civils. Après le retour des Ukrainiens dans les territoires abandonnés par la retraite stratégique russe de l’automne 2022, de telles opérations de nettoyages ont été et sont menées. Mais en parallèle, les services secrets ukrainiens, le renseignement militaire ou le SBU ont commencé de recruter des volontaires pour commettre des attentats, des assassinats, notamment de personnalités pro-russes. Cette stratégie a été mise en place également sur le territoire de la Russie, mais aussi en France ou en Turquie. Dans la fin de l’automne 2022, ma propre sœur fut contactée par un étrange personnage, au fort accent, et sans formule de politesse demandant avec insistance où je me trouvais. Dans l’urgence, mes parents procédèrent à son déménagement, et les numéros de téléphones dont elle usait abandonnés pour d’autres. Le mois précédent, Adrien Bocquet, lors d’un passage à Istanbul, avait échappé à une tentative d’assassinat. Reporters de guerre, journalistes, personnalités, anciens politiciens ukrainiens tombaient déjà sous les couteaux des assassins de l’Ukraine, la plus célèbre restant Daria Douguina.
Les fanatiques de l’Ukraine à l’action dans les régions de Kherson et Zaporojie
Mais ces opérations menées contre des personnalités parfois d’envergure, sont menées aussi dans les nouvelles régions. Elles avaient commencé de longue date, par les assassinats des chefs de bataillon Givi (8 février 2017) ou Motorola (16 octobre 2016), ou encore celui du Président de la RPD, Zakhartchenko (31 août 2018). Après 2022, l’Ukraine a activé d’autres assassins, dernièrement plusieurs ont été jugés et condamnés. Ces actes ne sont hélas pas isolés, mais dirigés et pilotés par les services ukrainiens, qui dans la tradition du bandérisme, de l’UVO ou de l’OUN* (campagnes d’attentats et d’assassinats dans les années 20-30), organisent ces actes terroristes et criminels. Ils ne sont jamais dénoncés par les médias occidentaux, ni même pas les responsables politiques européens… ce qui en dit très long, car certains pour les plus importants ont certainement été organisés avec l’aide de services occidentaux (notamment ceux de Boris Nemtsov en 2015, ou de Daria Douguina en 2022). Parmi la longue liste des terroristes armés par l’Ukraine pour commettre ces assassinats, en voici quelques-uns jugés dernièrement en Russie :
Il s’agissait de Vadim Tratrouk, habitant de la ville d’Energodar, dans l’oblast de Zaporijie, il rejoignit un groupe de saboteurs et d’assassins , le CT (mars 2022), travaillant pour la Direction générale du renseignement (GUR) du Ministère de la Défense de l’Ukraine. En mai 2022, Tratrouk avait placé un engin explosif improvisé dans le tableau électrique d’un immeuble d’habitation où résidait le chef de l’administration d’Energodar. Il avait actionné l’engin à distance. L’explosion avait infligé des blessures de gravité moyenne au fonctionnaire et à deux citoyens russes. Plus tard, en avril 2023, il fut chargé de l’assassinat du directeur adjoint du personnel de la centrale nucléaire de Zaporijie, mais la bombe fut découverte et désamorcée. Démasqué, il fut arrêté et a été condamné dernièrement à 25 ans d’emprisonnement et à une amende de 700 000 roubles.
Un autre membre du CT, toujours dans la région de Zaporojie, Artëm Mourdid, avait rejoint l’organisation terroriste en juin 2022, dans une cellule pilotée par le SBU. Il entraîna dans ses activités sa mère, Anna Mourdid, et sa concubine, Anna Vochkoder. Ensemble, ils avaient réuni et élaboré des explosifs et des bombes. Ils avaient tenté de faire exploser entre juillet et décembre 2022, une voie ferrée (explosif découvert et désamorcé), d’assassiner un chef de gare (échappé de peu à l’attentat), d’assassiner le chef de l’administration de Melitopol (blessé dans l’attentat), d’assassiner le chef des transports urbains de Melitopol (mortellement blessé, son épouse grièvement blessée par la bombe). Enfin découverts, arrêtés, Mourdid a été condamné à la réclusion à perpétuité, son épouse à 20 ans de prison, sa mère à 22 ans.
A Melitopol, 5 citoyens avaient été recrutés pour des attentats, à savoir Andreï Goloubev, Igor Gorlov, Alexandre Joukov, Vladimir Zouev et Youri Petrov. Sous la tutelle du SBU, ils avaient planifié un attentat à la voiture piégée, contre un point de distribution d’aide humanitaire fournie à la population civile. En Ukraine, la propagande affirmait que ceux qui recevaient cette aide devaient être tués, car ils étaient des traîtres. Heureusement, leur projet meurtrier fut dénoncé par une connaissance horrifiée par l’acte qu’ils se proposaient de commettre. Ils furent arrêtés et ont été condamnés à des peines de prison entre 11 et 14 ans.
A Kherson, même constat, avec le démantèlement d’une cellule de deux assassins, Alexandre Gazda et Andreï Matienko, entraînés par le GUR, renseignement militaire ukrainien, dans les villes de Krivoï Rog, Zaporojie et Kiev, puis renvoyés dans la région de Kherson avec pour objectif l’assassinat de fonctionnaires des administrations. Leur petit manège et leurs allées et venues provoquèrent leurs arrestations, en possession d’explosifs. Gazda a été envoyé derrière les barreaux pour 20 ans, Matienko pour 11 ans.
En Crimée, Evguéni Kourdoglo avait été recruté lui aussi par le GUR, avec pour mission de faire exploser une station de pompage, dans la région rurale d’Ostanino, qui alimente en eau un réservoir fournissant la précieuse ressource à plus de 170 000 habitants. Dans une région particulièrement visée depuis 2014, par ce genre d’opérations criminelles de l’Ukraine, avec une population massivement ralliée à la Russie, ses allées et venues près de l’installation provoquèrent la suspicion d’habitants. Arrêté en possession de nombreux explosifs, il a été condamné à 14 ans de prison.
Dans le Donbass, en RPD, trois agents du SBU, Youri Ivanov, Stanislav Sourovtsev et Andreï Garrious, avaient commis entre 2016 et 2018, pas moins de 8 attentats à la bombe, à Donetsk et Makeevka, notamment contre des installations énergétiques, dans le but de priver les habitants d’électricité. Dans une région encore plus hostile aux méfaits ukrainiens, ils furent arrêtés et ont été condamnés dernièrement à 23 et 24 ans de prison.
Petit à petit, les services russes démasquent les « apprentis terroristes » de l’Ukraine, mais certains mieux formés, ou supportés par des services occidentaux ont fait mouche. L’Ukraine malgré des centaines de cas documentés affirme toujours, couverte par les médias occidentaux et les politiques « qu’elle n’use pas du terrorisme et ne l’a jamais fait ». Une sinistre pantalonnade qui ne trompe personne, mais qui est utilisée par la guerre cognitive contre les populations occidentales, notamment pour faire porter le chapeau « aux Russes », ou affirmer qu’il s’agit « de propagande russe », ou de « complotisme ».
* La Légion Unie du Caucase et l’OUN sont des organisations interdites en Fédération de Russie, pour l’extrémisme, le terrorisme, l’apologie du terrorisme et l’incitation à la haine raciale.
Par Laurent Brayard
- Source : International Reporters