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Mercredi, 14 Mai 2025

Cette étrange rencontre Russie / Ukraine en Turquie, sous haut contrôle américain

Auteur : Karine Bechet-Golovko | Editeur : Walt | Mercredi, 14 Mai 2025 - 12h07

Quand le Président russe a proposé des pourparlers directs et bilatéraux avec l'Ukraine le 15 mai en Turquie, il ne s'agissait ni d'une rencontre entre lui et Zelensky, ni d'une surveillance serrée américaine de ces pourparlers, devenus finalement bipartites avec les Etats-Unis. Or, la pression est mise pour conduire Poutine à Istanbul, sous la baguette d'une délégation américaine de faucons (Rubio, Witkoff et Kellogg), qui veut imposer l'agenda de capitulation de la Russie. Ceci n'a plus rien à voir, ni avec des pourparlers pour résoudre le conflit à la source, ni avec une rencontre russo-ukrainienne.

Initialement, l'idée du Président russe était de tenter par la discussion de voir s'il est possible de résoudre le conflit à la source. Comme nous l'avons déjà écrit (voir notre texte ici), cette démarche est faussée à l'origine par au moins deux présupposés russes erronés : l'Ukraine n'est pas un sujet, capable de décider, mais un front et un protectorat atlantiste ; les négociations peuvent avoir lieu, quand la dimension militaire est épuisée et que les parties à un conflit peuvent le dépasser, ce qui n'est pas le cas.

Donc en toute logique, la proposition faite par le Président russe a été immédiatement dévoyée, et ce de plusieurs manières.

1 ) Il n'a jamais été question d'organiser à Istanbul une rencontre entre Poutine et Zelensky, mais les Atlantistes mettent la pression en ce sens et la Russie reste, comme à son habitude, très floue. La mécanique a bien évidemment été lancée par les Etats-Unis. Trump a déclaré, qu'il pourrait aller à Istanbul. Le Kremlin a répondu, que Poutine pourrait alors aller en Turquie. Zelensky demande à Trump d'y aller. Trump dit qu'il peut y aller si Poutine y va.

Quel est l'intérêt pour la Russie d'y envoyer Poutine, dans une situation particulièrement conflictuelle et sans accord préalable ? Aucun.

2) Le format bilatéral Russie / Ukraine se transforme en un autre format, avec l'imposition d'une délégation américaine, à la composition atlantiste très marquée. Trump a décidé d'envoyer Rubio, avec Witkoff et Kellogg, donc des faucons, gérer la rencontre. La Russie n'a pas réagi, alors que cela n'entrait pas dans le cadre initialement prévu d'une rencontre bilatérale et qu'elle n'a pas été consultée à ce sujet. Ainsi, le discours atlantiste insistant sur l'impératif d'une rencontre bilatérale n'était qu'un appât pour faire venir la Russie dans un piège diplomatique. Adieu, au passage, les grandes déclarations concernant les discussions sur l'Ukraine, mais sans l'Ukraine.

Pourquoi la Russie, ne réagit-elle pas à cet affront ? Les élites russes, seraient-elles les dernières à véritablement croire à la fable de l'arbitre américain dans sa propre guerre ? Ou même à penser que cette approche puisse leur être profitable d'une quelconque manière ?

Surprenant, car en acceptant aussi docilement toutes les exigences de l'ennemi (puisque dans ce conflit, les Etats-Unis ne sont par arbitre, mais partie), elle se met en position de faiblesse dès le début de ces négociations.

3 ) L'agenda avancé par la délégation américaine n'a rien à voir avec la volonté de la Russie d'une tentative d'éliminer par le dialogue les sources primaires de ce conflit. Les propositions sont par ailleurs fondamentalement incompatibles. 

Comme le déclare le vice-ministre des Affaires étrangères, Sergueï Ryabkov :

"Les sujets abordés sont les mêmes, que ceux qui ont été à l'ordre du jour récemment : comment garantir une résolution fiable et durable de la situation, en s'attaquant d'abord aux causes profondes du conflit, en résolvant les problèmes liés à la dénazification du régime de Kiev, en garantissant la reconnaissance des réalités qui se sont récemment développées sur terre, notamment l'incorporation de nouveaux territoires à la Russie".

Si côté ukrainien, aucune indication n'a été avancée, les Américains furent eux très loquaces. Witkoff a donné une interview le 12 mai à Breibart, dans laquelle il déclare notamment attendre une rencontre entre Zelensky et Poutine et rappelle que les Américains se posent en "médiateur" d'une guerre, qu'il considère "bête" à l'instar de Trump :

"Ce n'est pas notre guerre. Nous n'avons pas commencé la guerre, mais nous voulons les aider à y mettre fin".

L'essentiel, selon lui, est la question territoriale, l'accès aux voies d'eau pour l'Ukraine (le Dniepr et la mer), ainsi que surtout la centrale atomique de Zaporojie, qui fait littéralement baver d'envie les Américains.

La centrale nucléaire hors service de Zaporojie était « un véritable joyau » en raison de la quantité d'électricité qu'elle pouvait produire et qu'elle constituait actuellement un « élément majeur de ce débat ». De plus, les voies navigables et l'accès de l'Ukraine à la mer Noire – qui lui permet d'accéder aux océans du monde entier grâce à ses connexions avec la mer Méditerranée – sont également importants. 

Kellogg a justement précisé la question de l'accès au Dniepr - de manière militaire, dans une interview à Fox Business le 13 mai :

"L'envoyé spécial des États-Unis pour l'Ukraine, le général Keith Kellogg, a déclaré que les États-Unis discutaient du déploiement d'un contingent militaire britannique, français, allemand et polonais sur le territoire ukrainien à l'ouest du Dniepr.

Il a déclaré sur Fox News qu'il était question des forces de résilience, une force appelée E3, mais en réalité E4, puisqu'elle comprend les Britanniques, les Français, les Allemands et, en réalité, les Polonais. Il a précisé que cette force serait située à l'ouest du Dniepr, c'est-à-dire hors de la zone de contact". 

Ceci a par ailleurs été depuis longtemps énoncé par Macron, qui  le répétait encore le 10 mai : il faut des troupes occidentales en Ukraine.

Les positions des deux paries, russes et américaines, sont incompatibles. La Russie a déjà affirmé refuser toute présence militaire de pays de l'OTAN ou amis sur le reste du sol ukrainien, que la centrale atomique de Zaporojie est russe et le restera, que les territoires devenus russes doivent juridiquement être reconnus comme tel par toutes les parties au conflit.

Rappelons, que la présence de forces militaires étrangères est en général assurée par le vainqueur sur le territoire du vaincu, un temps, pour le contrôler, éviter la résurgence d'un conflit et assurer la transition vers un système politique compatible avec le sien. Peu importe qu'il s'agisse du vainqueur "idéologique" ou militaire, le résultat est le même. C'est bien la raison pour laquelle la Russie ne peut pas accepter ces forces de l'OTAN en Ukraine, sachant parfaitement qu'elles prépareront un nouveau combat.

Mais même cela, ne permettrait pas de résoudre le conflit à la source. Un accord, suite à ces pourparlers, ne permettrait que de suspendre un moment les opérations militaires, en attendant des "temps meilleurs" pour les Atlantistes. Tout conflit finit tôt ou tard par des négociations entre les parties au conflit. C'est une évidence. Mais pour cela, il faut au minimum, que la dimension militaire soit épuisée pour les deux parties et qu'un gagnant et un perdant puisse émerger. Ce qui n'est pas le cas ici : ni la Russie, ni les Atlantistes n'ont objectivement épuisé ce conflit. Par ailleurs, tant que la Russie ne s'attaquera pas à la dimension idéologique de cette guerre, c'est-à-dire tant qu'elle n'aura pas le courage de nommer le véritable ennemi au lieu d'en faire un arbitre, et de s'attaquer réellement à la déglobalisation du pays et de ses élites, elle ne pourra pas espérer de véritable victoire. 


- Source : Russie politics

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