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« L’été indien terroriste » en France

Auteur : François Belliot | Editeur : Walt | Jeudi, 12 Nov. 2020 - 05h53

Résumé : Cette étude passe au crible les trois attentats perpétrés à l’automne 2020 en France : le 25 septembre 2020, l’attaque au hachoir de deux employés de l’agence Premières Lignes devant les anciens locaux de Charlie Hebdo ; le 16 octobre 2020, la décapitation de Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie à Conflans-Sainte-Honorine ; le 29 octobre 2020, le triple assassinat de la basilique Notre-Dame de Nice. Elle remet en perspective ces trois affaires sanglantes avec toutes celles du même type perpétrées de 2015 à 2019, après la longue parenthèse covidienne globalement respectée par les terroristes partout en Europe. Elle pointe l’hystérie médiatique et politique disproportionnée et l’instrumentalisation par le régime français de ces trois agressions, dans le contexte de l’ouverture, après cinq ans d’attente, du procès des attentats de janvier 2015 et la republication par Charlie Hebdo des caricatures de Mahomet, médiatisation outrancière bien utile pour faire oublier la catastrophe économique en cours et à venir, catastrophe aggravée par les mesures anti Covid de plus en plus délirantes, liberticides et antidémocratiques. Elle souligne enfin la duplicité du pouvoir, qui d’un côté prétend lutter de toutes ses forces contre la menace terroriste, et de l’autre laisse toutes les portes du pays grandes ouvertes aux aspirants jihadistes, en soutenant de fait ces derniers à l’extérieur, qu’il s’agisse d’Al Qaida en Syrie, ou d’Al Qaida au Yémen.

Dans notre étude sur l’activité attribuable à Daech en France de 2015 à 2020 (Base de données+synthèse), nous avons établi que la quasi totalité des actions terroristes de ces dernières années étaient le fait de criminels isolés âgés de 20 à 40 ans, issus de l’immigration maghrébine, nés à l’étranger pour beaucoup, à l’enfance chaotique, mentalement perturbés, intellectuellement limités, passés par la case prison pour faits de délinquance plus ou moins graves et répétés, influencés par la propagande de Daech sur internet ou par des imams salafistes rencontrés en prison ou dans des mosquées.

Nous avons également établi que « l’activité de Daech » en France n’avait cessé de décroître ces dernières années avec la réduction progressive du nouvel autoproclamé califat au Levant jusqu’à son éradication territoriale en mars 2019. Ainsi, depuis décembre 2018 et l’assassinat de 5 personnes sur le marché de noël de Strasbourg, nous n’avons pu relever comme faits divers sanglants notables que l’attaque de surveillants au sein-même de la prison dite « de haute-sécurité » de Condé-sur-Sarthe le 5 mars 2019 par le psychopathe Mickaël Chiolo, le très louche massacre commis par Mickaël Harpon au sein-même de la préfecture de police le 3 octobre 2019, et l’assassinat au couteau d’un joggeur dans un parc de Villejuif par Nathan C le 3 janvier 2020.

Sur une trentaine d’opérations réparties sur 5 ans, nous avons encore établi que 50 % d’entre elles n’avaient même pas été revendiquées par Daech, le facteur étiquetant résidant dans la réussite ou non de l’opération (réussi je revendique, raté je ne revendique pas), et que plus de la moitié des opérations revendiquées, surtout les plus sanglantes, meurtrières, collectivement édifiantes (Charlie Hebdo, 13 novembre, Nice, Saint-Étienne de Rouvray, Champs Élysées) étaient marquées par des anomalies et coïncidences troublantes qui suggéraient l’action ou l’influence d’un adjuvant extérieur non daéchien, autrement dit de terrorisme d’état ou de terrorisme fabriqué ou assisté.

Nous avons enfin fait remarquer que depuis mars 2020, la propagande anti Covid avait, du jour au lendemain, complètement remplacé – un épouvantail étant remplacé par un autre exactement au même endroit de la conscience collective – la propagande antiterroriste dans les transports communs, à l’école, à la télévision, dans les discours politiques ; à tel point qu’à l’orée de l’automne 2020, celle-ci avait pour ainsi dire complètement disparu des esprits, comme si elle n’avait jamais existé.

Or la propagande antiterroriste est revenue avec fracas sur le devant de la scène en septembre et octobre 2020 avec trois nouvelles opérations qui ont fait l’objet d’un battage médiatique rappelant les grandes heures des opérations de tangos fous de Daech de 2015 à 2017. Nous allons examiner dans le présent article ces trois nouveaux événements et leur couverture médiatique, en les mettant en perspective avec tous ceux recensés et analysés précédemment : Daech est-il de retour ? Les Français doivent-ils vraiment être terrifiés et avoir le cerveau retourné par ces deux nouveaux faits divers sanglants ? La couverture médiatique n’est-elle pas artificielle et disproportionnée ? Cette réactivation brutale de la menace terroriste a-t-elle une signification politique ?

Nous allons commencer par résumer les trois opérations en collant au même patron adopté pour l’exposé de toutes les affaires résumées dans la partie « base de données », avec une première partie « faits », et une seconde « profil ». Nous ne pouvons tout de même manquer de préciser pour commencer que ces deux opérations interviennent dans un contexte précis : l’ouverture du procès des attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher au Tribunal de Paris le 2 septembre 2020. Prévu pour durer 47 jours, attendu depuis 5 ans, devant juger onze personnes inculpées, pour certaines en détention provisoire depuis plus de 5 ans (!) il s’agit à coup sûr de l’événement judiciaire de la rentrée, qui a remis au premier plan l’événement historique qui a inauguré la nouvelle vague d’actions terroristes en France au XXIèmesiècle, le plus symbolique d’entre eux à défaut d’être le plus meurtrier, celui qui également a été le plus exploité médiatiquement et politiquement par le régime républicain. C’est donc dans un contexte surdéterminé que surviennent les trois opérations que nous allons résumer et analyser : la flaque d’essence était là, miroitante à portée de briquet, avec les médias à l’affût.

En outre, l’hebdomadaire Charlie Hebdo, toujours dirigé par Laurent Sourisseau (Riss), a décidé le 2 septembre 2020 de republier en une la célèbre série de caricatures de Mahomet avec la une représentant un Mahomet effondré se lamentant : « c’est dur d’être aimé par des cons », et en réaction, l’organisation Al Qaida dans la Péninsule Arabique (AQPA ou « al Qaida au Yémen »), dont on n’avait plus entendu parler depuis plus de cinq ans, en janvier 2015, et sa revendication du massacre de Charlie Hebdo, a diffusé le 11 septembre 2020 un explicite appel à passer à l’acte en France (1). Sur la scène internationale, dans le cadre d’un voyage à Beyrouth en soutien aux populations traumatisées par la gigantesque explosion ayant ravagé le port et la ville, le président Macron a défendu mordicus, lors d’une conférence de presse le 1er septembre, la republication des caricatures au nom de la « liberté de blasphémer », qui serait selon lui dans l’ADN de la République française. Des manifestations contre Charlie Hebdo ont de nouveau éclaté dans différents pays musulmans en cette occasion.

25 septembre 2020 – attaque au hachoir de deux employés de l’agence Premières Lignes rue Nicolas Appert

Fresque peinte sur le mur de l’entrée de l’immeuble qui hébergeait les locaux de Charlie Hebdo jusqu’au massacre du 7 janvier 2015, représentant les 11 victimes. L’endroit ne bénéficiait d’aucune mesure de surveillance particulière, malgré le procès très médiatisé des attentats de janvier 2015 qui avait commencé le 2 septembre 2020 (photo de michelle@c)

Les faits

Alors que le procès des attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher a commencé depuis trois semaines, le 25 septembre 2020, Pierre-Adrien et Lucie, deux salariés de l’agence Premières Lignes, celle-là même dont la porte d’entrée donnait sur le même couloir que celle de Charlie Hebdo en janvier 2015, sont sortis fumer une cigarette sur le trottoir au pied de l’immeuble. Il ne s’agit pas de journalistes mais d’employés. Un homme qui rôdait aux alentours se précipite soudain sur eux pour les frapper violemment l’un au visage, l’autre sur le crâne, avec un hachoir, puis prend la fuite. Rapidement l’on apprend que deux hommes ont été arrêtés, un jeune Pakistanais d’une vingtaine d’années, et un Algérien de 33 ans. L’action n’est revendiquée par aucune organisation. Comme en janvier 2015, la salle du théâtre Comédie Bastille, située à un jet de pierre, sert de lieu d’exfiltration. Par la faute d’une fuite, comme en janvier 2015 (2), deux photos, l’une de l’arme du crime ensanglantée, l’autre du Pakistanais, sont diffusées sur les réseaux sociaux, épaississant la psychose et amenant le parquet de Paris à ouvrir une procédure judiciaire pour déterminer l’origine de la fuite ; une enquête est ouverte pour « violation du secret de l’enquête ». Le criminel est rapidement arrêté sur le parvis de l’opéra Bastille, le sang dont il a été éclaboussé ayant facilité sa reconnaissance.

L’arrestation de Zaheer Hassan Mahmoud au bas des marches de l’opéra Bastille (Photo de Laura CAMBAUD / AFP) via Getty Images)

Lors de sa garde à vue, les enquêteurs apprennent que le jeune Pakistanais a été inspiré par le contexte politique et médiatique ambiant, tant en France qu’au Pakistan, théâtre récemment de manifestations anti Charlie Hebdo. Il avait, rapporte le Parisien, « l’habitude de regarder des vidéos du chef religieux Khadim Hussain Rizvi, chef d’un parti politique islamiste, qui organisait des rassemblements au Pakistan pour condamner les caricatures de Mahomet publiées par Charlie Hebdo. » En arrivant près du journal, près duquel il s’était rendu en repérage les jours précédents, il a aperçu les deux victimes, et, pensant qu’elles travaillaient pour le journal, les a attaquées.

Une nouvelle polémique éclate sur la non sécurisation des lieux de l’agression. Certes, Charlie Hebdo a déménagé depuis 2015 dans des locaux ultra sécurisés (3) à une adresse tenue secrète, mais à l’occasion du procès, l’ancienne adresse, qui est toujours celle de l’agence Premières lignes a été écrite, dite ou montrée des centaines fois dans les médias, et il n’était évidemment pas à exclure qu’un marginal et/ou un déséquilibré et/ou un fanatique s’en prenne à cette cible. Les journalistes du Monde citent le journaliste de Premières lignes Paul Moreira : « on aurait dû penser que [l’adresse] allait réveiller les fragiles du bulbe qui ne demandent qu’à mourir le plus vite possible au nom de Daech »/ « Le 10, rue Nicolas Appert, c’est un bâtiment symbolique, et une cible molle »/ Premières Lignes a joui d’une protection policière « pendant deux mois et demi à peu près » après le 7 janvier, puis plus rien. « Là, pour le procès, on n’avait rien réclamé. On s’est laissé ramollir. Je suis en colère parce que [le ministre de l’Intérieur Gérald] Darmanin et [le Premier ministre Jean] Castex [qui se sont déplacés sur les lieux de l’attaque le vendredi après-midi], comme nous auraient pu y penser. Mais c’est inimaginable, un truc pareil. Comme ce qu’ont fait les frères Kouachi était inimaginable. »/ « Quand tu tapes « Charlie Hebdo » dans Google Maps, tu arrives rue Nicolas Appert. N’importe quel mec un peu débile, c’était sûr qu’il allait atterrir là »/ « Quand on a revu la façade passer en boucle sur les écrans à l’occasion du procès, ça a renforcé notre sentiment d’inquiétude », abonde Élise Lucet, présentatrice sur France 2 du magazine « Cash investigation » produit par Premières lignes.

Le profil (4)

1) Zaheer Hassan Mahmoud, 25 ans, « migrant » Pakistanais

Lors de son interrogatoire, on apprend que l’homme, pakistanais, prétend se nommer Hassan Ali. S’étant déclaré né en 2002 à Islamabad, il est parvenu à rallier la France en 2018 comme « migrant » où il s’est fait enregistrer comme mineur isolé, ce qui lui a permis de bénéficier d’une prise en charge, comme l’impose la réglementation en vigueur (5). Comme le jeune homme a l’air beaucoup plus vieux que l’âge qu’il avance, une procédure est engagée pour vérifier la véracité de ses prétentions, mais en juillet 2019, la justice lui donne raison, ce qui oblige le conseil départemental à poursuivre l’accompagnement d’Ali jusqu’à sa majorité officielle, survenue le 10 août 2020. Il était donc dans une phase de transition au cours de laquelle il courait le risque d’être renvoyé dans son pays d’origine. Son cas rappelle celui de ce Rwandais qui pour se venger de son expulsion imminente a mis le feu, dans la nuit du 25 au 26 juillet 2020, à la cathédrale de Nantes dont un gros naïf lui avait confié les clés. Les journalistes du Monde rappellent que « le nombre de migrants se présentant comme mineurs isolés a explosé en France ces dernières années ». Ali H n’avait pas d’antécédent judiciaire, ni de radicalisation, et n’était pas suivi par les services de renseignement. Tout au plus avait-il fait l’objet d’un rappel à la loi pour port d’armes prohibé sur la voie publique (un tournevis).

En explorant son téléphone portable, les enquêteurs découvrent une photo de sa carte d’identité pakistanaise sur laquelle il affiche 25 ans : il se nomme en réalité Zaheer Hassan Mahmoud, n’est pas né en 2002 mais en 1995, et avait donc 23 ans et non 16 quand il est arrivé en France en se présentant comme un jeune pauvret. L’homme, qui parle à peine français et anglais, avoue la fraude en même temps qu’il assume franchement la nature religieuse de son acte. Il a quitté le Pakistan en mars 2018 et est arrivé en France en juillet, après être passé par l’Iran, la Turquie, et l’Italie. On lit par ailleurs dans l’article que le Parisien y consacre : « Contacté par téléphone par l’AFP, le père de l’assaillant présumé de la rue Appert s’est dit « très heureux » et « très fier » des actes de son fils, qui a « protégé l’honneur du Prophète ». « Le village tout entier est venu me féliciter », a-t-il assuré depuis le Pakistan. » Où l’on apprend donc qu’en plus d’avoir menti sur son identité et sa détresse, il n’avait pas vraiment de problèmes au Pakistan, où il était au contraire bien entouré, en particulier par un père qui considère comme un honneur d’avoir tenté d’assassiner au hasard dans la rue deux inconnus dans le pays qui a eu la gentillesse de lui tendre la main.

Ce profil est évidemment très gênant pour les médias qui font aux Français la promotion inconditionnelle des « migrants » depuis les grands flux de septembre 2015. Ce cas paraît aussi dangereusement emblématique pour ceux qui dénonce la passoire que constitue la prise en charge des mineurs isolés par l’Aide Sociale à l’Enfance, et trouvent de manière générale qu’on a tendance en France à accueillir et accorder la nationalité française à n’importe qui. Le fait de s’être trompé de 7 ans dans l’estimation d’un âge, en accordant l’âge de 16 ans à un homme qui en avait 23 constitue une bourde à peine croyable, surtout dans un pays dont les autorités prétendent lutter de toutes leurs forces contre le terrorisme depuis 2015. La minorité du criminel a été établie par un juge des enfants. On ne sait pas si ce juge avait sollicité, ce qu’il est le seul habilité à pouvoir faire, des tests de maturité osseuse : la marge d’erreur de ce test est de 18 mois, mais dans ce cas elle était plus que confortable. Le 29 septembre, Zaheer Hassan Mahmoud est mis en examen pour « tentatives d’assassinat en relation avec une entreprise terroriste » et « association de malfaiteurs terroriste criminelle ». Du 25 au 29, la couverture médiatique de ce fait divers sanglant fond comme neige au soleil. Alors que les médias et les politiques piaffaient d’impatience dans leurs stalles pour faire une grosse piqûre de rappel à l’opinion sur la lutte contre le terrorisme, la mise en examen du criminel est signalée le 29 par des entrefilets en bas de page de milieu des quotidiens.

2) Youssef « H » (6)

Cette résurgence de la menace terroriste semble dans un premier temps d’autant plus exploitable que le profil de la seconde personne interpellée semble correspondre aux canons recherchés : un homme de type maghrébin âgé de 33 ans. Un nouveau Chérif Kouachi, Yassin Selhi, ou Larossi Abala ? Quand il tombe entre les mains de la Brigade de Police et d’Intervention (BRI), on lui plaque un masque anticovid sur le bas du visage, un masque occultant pour lui cacher les yeux, et une cagoule sur la tête, avant de l’emmener en garde-à-vue. En s’apprêtant à cuisiner leur prise, les enquêteurs se rendent vite compte qu’ils ont fait une boulette monumentale : non seulement l’homme qu’ils ont violemment arrêté n’a rien à voir avec l’agression, mais c’est un héros, qui a poursuivi le criminel jusque dans le métro, tenté de l’arrêter, indiqué à des policiers la direction qu’il prenait, et s’est rendu de lui-même ensuite à la police.

Se trouvant par hasard sur les lieux du crime dans sa voiture, il a pensé d’abord assister à l’agression d’un homme par une femme, qu’il a entrevue dans le rétroviseur de sa voiture. Pas un instant il n’a pensé à un acte terroriste. N’écoutant que son courage, il a jailli de son véhicule et s’est mis à prendre en chasse le fuyard, s’est engouffré dans la bouche de métro où il l’a vu disparaître ; l’apercevant sur le quai opposé il lui a intimé : « Toi tu restes là ! ». Alors qu’il est parvenu gravissant et descendant quatre à quatre les escaliers pour le rejoindre, le criminel sort un cutter avec lequel il le menace, puis entre calmement dans la rame de métro, incognito, en direction de Bastille. Croisant des policiers, Youssef leur indique la direction qu’il a prise. Après l’avoir dans un premier temps soupçonné, ceux-ci le laissent partir. Comme « sa photo commence à circuler, rapporte le Monde, et est montrée au gardien d’immeuble où travaille son frère [et lui-même en tant qu’ouvrier], ce dernier resté sur les lieux, le rappelle pour lui dire de revenir rapidement, raison pour laquelle il fait demi-tour. » C’est en revenant de lui-même sur les lieux qu’il est violemment interpellé par les hommes de la BRI. Détail peu glorieux pour ces derniers, rapporte Youssef : non seulement ils ne veulent rien entendre à ses explications mais « avant de sortir du métro, ils ont parlé entre eux, en demandant :“Est-ce qu’ils sont là ?” Ils parlaient des journalistes. Ils voulaient que ça se voie qu’ils avaient arrêté quelqu’un ».

Alors que quelques rares personnalités demandent que l’homme soient publiquement élevé au rang de héros national comme il se devrait, et de lui accorder la nationalité française après laquelle il court depuis 10 ans, les médias mettent immédiatement un opaque oreiller sur ce gros trou d’air. Après le 27 septembre, nul n’entendra plus parler, ou presque, de « Youssef, le héros du deuxième attentat de Charlie Hebdo ».

Réactions politiques

Cela n’a évidemment pas empêché dans un premier temps les plus hautes autorités et personnalités politiques, comme des pêcheurs sentant surexcités la touche qu’ils guettaient en vain depuis des heures, de surréagir pavloviennement sur la résurgence de la menace terroriste.

Relevé dans la presse, en vrac :

« La menace terroriste est toujours persistante dans notre pays« , a rappelé Emmanuel Macron en Conseil des ministres ce lundi. Le président de la République, qui s’exprimait pour la première fois au sujet de l’attaque au hachoir près des anciens locaux de Charlie Hebdo, qualifie les faits de « très graves. » Il se dit prêt à « réinterroger certains dispositifs » à l’issue de l’enquête « si des défaillances sont constatées« , rapporte son porte-parole Gabriel Attal. Le chef de l’État renouvelle « ses pensées, sa solidarité aux victimes et à leurs proches, sa reconnaissance aux forces de l’ordre et de secours ».

« Nous sommes toujours en guerre contre le terrorisme islamiste (…) Le gouvernement n’a pas baissé la garde », vient de déclarer le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin en déplacement dans une synagogue de Boulogne à l’occasion de la fête de Yom Kippour.

Dans un entretien publié demain matin par Le Parisien, l’ex-Premier ministre [Manuel Valls] appelle à un « sursaut » contre l’islamisme, qu’il considère comme « l’ennemi et le défi de ce début de siècle« , après l’attaque survenue hier à Paris. « C’est toute la société française qui est placée par les djihadistes comme cible prioritaire, et notamment ceux qui incarnent le combat contre l’islam politique. C’est intolérable et cela demande un sursaut », déclare notamment Manuel Valls dans cette interview.

L’ancien Premier ministre Manuel Valls, au sens propre ressuscité médiatiquement en octobre 2020 à la faveur de l’été indien terroriste en France. De quoi faire oublier sa gestion calamiteuse des sanglantes années 2015 et 2016 en matière de terrorisme?

Ces déclarations ont l’apparence de partitions de solistes dans un orchestre médiatique dont tous les instruments sont soudain mobilisés pour la mise en scène de ce nouveau drame, qui permet opportunément de rappeler à peu de frais, au cas où on l’aurait oublié que la menace terroriste n’a jamais vraiment diminué, que les Français qui s’étaient un peu endormis ces derniers temps doivent redoubler de vigilance, que la France, patrie de la liberté d’expression et berceau des Droits de l’Homme est de nouveau la cible des forces du mal islamofascistes, et bla, et bla, et bla…

Youssef « H » versus Lassana Bathily

Il est intéressant de comparer les cas de Youssef H et de Lassana Bathily, le faux héros de l’Hyper Cacher (7). Pour rappel : Lassana Bathily est ce jeune Malien sans papiers qui a été érigé au rang de héros national au lendemain de la prise d’otages de l’Hyper Cacher. Selon la légende, qui n’a jamais été publiquement corrigée, il aurait caché des otages juifs dans la chambre froide au sous-sol du super marché, leur sauvant la vie, avant de s’enfuir par le monte-charge et la porte de derrière. Cornaqué par les associations juives, qui l’ont imposé à l’opinion comme un symbole des bienfaits de la société multiculturelle et de l’immigration, il a fait le tour du monde (libre) pour rabâcher en grande pompe la forgerie du « musulman qui a sauvé des vies juives ». Présent au procès des attentats de janvier 2020 avec son avocat, il continue d’être présenté dans les médias, avec tout de même quelques bémols car les démentis les plus clairs ont été apportés à sa fable, comme le « héros de l’Hyper Cacher ». Et l’homme a bien profité du roman : naturalisation expresse en grande pompe sous l’égide de Christiane Taubira, Bernard Cazeneuve, et Manuel Valls, octroi d’un logement et d’un emploi par la mairie de Paris, cours de français accélérés, nomination à la présidence du comité de soutien à Yann Brossat (PCF) aux élections européennes de février 2019, pour « ne pas rester les bras croisés face à la montée de l’extrême-droite en Europe ». Ça ne s’invente pas ! On gardera éternellement en mémoire la conception du « Français » énoncée par Bernard Cazeneuve à l’occasion de la grandiose cérémonie de sa naturalisation : « Selon cette conception, comme l’a magnifiquement écrit Renan, « l’homme n’est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagnes. Une grande agrégation d’hommes, saine d’esprit et chaude de cœur, crée une conscience morale qui s’appelle une nation ». Être donc français, ce n’est donc pas forcément naître en France, ce n’est pas professer une religion plutôt qu’une autre, ce n’est pas nécessairement avoir le français pour langue d’origine, ce n’est pas non plus posséder une carte d’identité ou bénéficier d’une protection sociale étendue, c’est, comme l’a rappelé le Premier ministre avec force mercredi dernier, adhérer à une histoire, à un projet commun ».

Ce pauvre Youssef « H », musulman comme Lassana, n’aura jamais quant à lui la chance de devenir un héros national, alors qu’il le mérite bien plus. Sa naturalisation n’est pas à l’ordre du jour, malgré dix ans de présence sur le sol français, un français courant alors que Bathily ne savait pas même prononcer correctement les sons et les syllabes. Quelques médias ont certes sporadiquement corrigé le tir (8), souvent avec deux ou trois semaines de retard, mais aucun collectif ne s’est mobilisé avec les tam-tams et les trompettes habituels pour plaider hystériquement sa cause. Quand la République crée de faux héros et ignore les vrais… à l’heure où l’un des objectifs de l’État profond, afin de se maintenir sur son vacillant nid d’aigle, est de créer les conditions la guerre civile en clivant plus encore l’incompréhension et la haine entre Gaulois et néo-français arabo-musulmans, la figure de Youssef mettrait trop à mal le storytelling. La promotion éhontée, juste après le confinement en juin 2020, « au nom de l’émotion légitime » pour reprendre les mots du ministre de l’Intérieur de l’époque Christophe Castaner, du mouvement Black Lives matter, stigmatisant le racisme des policiers français en particulier et des Français originels en général, participait de la même perverse stratégie. Pour le régime républicain, qui depuis la crise des Gilets jaunes surmontée sans pitié dans le sang et la violence, joue sa survie, le musulman idéal ne peut pas être un maghrébin intégré, musulman, et héroïque, cela ne peut être que, cela doit être, un immigré mal intégré, violent, sadique, s’attaquant aux symboles : c’est du symbole du barbare décapiteur dont la République a besoin pour conserver son empire sur les âmes encore captives de son envoûtement.

Un dernier mot avant de passer à la seconde affaire : Cette histoire d’agression devant les anciens locaux de Charlie Hebdo, par son traitement médiatique m’a rappelé un épisode oublié des débuts de la guerre en Syrie en mars 2011 : les premiers mois, les médias étaient avides de toute victime symbolique susceptible de diaboliser aux yeux de l’opinion publique le « régime syrien » et « Bachar el-Assad le boucher qui massacre son propre peuple ». C’est ainsi qu’après d’autres figures, fut mise en exergue celle d’une jeune blogueuse lesbienne du nom d’Amina Araf persécutée par l’infâme dictateur. La demoiselle cochait presque toutes les cases progressistes : femme, jeune, lesbienne, démocrate, opposante déclarée. La machine a fabriquer les mythes modernes commençait à tourner à la chaîne quand la gênante nouvelle tomba : Amina Araf était en fait un personnage fictif créé par un blogueur étasunien du nom de Tom Mac Caster qui avait estimé l’idée bonne pour faire avancer le débat sur les questions de genre. Les médias furent alors contraints de publier quelques correctifs discrets pleins de colère rentrée de s’être fait berner, ce qui du reste n’avait aucune importance : quand les media se trompent, il n’ont jamais à s’excuser ou rectifier le tir ; il leur suffit de passer du vacarme au silence, et de remplacer le mythe par un autre en déclenchant un autre tintamarre, comme si de rien n’était, tablant sur le fait que les masses, déboussolées par le passage d’une émotion intense à une autre, ont une mémoire de poisson rouge et n’ont ni le temps ni l’idée d’observer avec vigilance le maniement frauduleux des gobelets par l’escroc au bonneteau.

Dans ce cas, le palimpseste sera d’autant plus facile à reprendre que de l’attaque au hachoir nous allons passer à la décapitation d’un professeur d’histoire-géographie ayant exposé à ses élèves des caricatures de Charlie Hebdo.

Fin de la première partie.

A suivre

Notes:

1.Ils appellent « les musulmans de France, d’Europe et de l’extérieur (…), les moujahidines de tous les fronts et nos héroïques lions solitaires à les poignarder à leur retour. »/ « Vous avez diffusé une première fois vos dessins en pensant être à l’abri de toute attaque (…) Nous rappelons à la France et à son journal que, depuis l’attaque de nos deux héros [les frères Kouachi], plus de 251 Français sont morts lors d’opérations djihadistes et des centaines ont été blessés sur son sol. Qui vous assure que vous ne ferez pas partie des prochaines centaines. »

2.L’existence de la carte d’identité de Saïd Kouachi n’aurait jamais dû être diffusée dans les médias quelques heures seulement après sa découverte, mais une fuite a poussé certains à diffuser la nouvelle. En octobre 2016, Pierre Martinet, ancien de la DGSE, et le journaliste Jean-Paul Ney, sont condamnés à 3000 euros d’amende, pour recel de violation du secret de l’enquête. Cette fuite en effet a ruiné tout espoir de surprise dans la traque des frères Kouachi. L’IGPN ne parviendra cependant jamais a remonter à l’auteur de la fuite initiale. La condamnation de Jean-Paul Ney sera confirmée en appel un an plus tard, Pierre Martinet choisissant quant à lui de se désister.

3.Lors de son audition au procès des attentats, le 11 septembre 2020, Fabrice Nicolino, l’un des miraculés de la salle de rédaction a ainsi expliqué : « Quand on arrive à Charlie, il y a une première porte métallique, des caméras, un premier sas, puis une deuxième prote métallique, puis une cour, avec un système de rayons X comme à l’aéroport pour s’assurer que les colis ne sont pas piégés. Puis une troisième porte résistante aux balles, un nouveau sas, une quatrième porte. Un bureau bourré de flics surarmés, avis aux amateurs. Puis il y a un ascenseur, une cinquième porte épaisse comme ça [il écarte les bras] qu’on a du mal à ouvrir, une sixième porte pareille. On entre, on passe devant un agent de sécurité. Et là, faut s’asseoir à une table et se mettre à rigoler parce que Charlie un journal rigolo. »

4.Compilé de « Attaque rue Nicolas Appert : le cauchemar se répète », Nicolas Chapuis Lorraine de Foucher et Élise Vincent, le Monde, 27/09/2020

5.Sur le site de l’association France Terre d’Asile qui propose des « ressources pratiques pour les étrangers en France », et dont le slogan est « Ensemble en France », on peut ainsi lire : « Un mineur isolé étranger (MIE) est un jeune de moins de 18 ans qui n’a pas la nationalité française et se trouve séparé de ses représentants légaux sur le sol français. De sa minorité découle une incapacité juridique, et de l’absence de représentant légal une situation d’isolement et un besoin de protection. Il n’existe pas de statut juridique propre aux MIE. Ces derniers se trouvent donc à un croisement, relevant à la fois du droit des étrangers et, au titre de l’enfance en danger, du dispositif français de protection de l’enfance, qui ne pose aucune condition de nationalité. Cette dualité imprègne l’ensemble des enjeux liés à la problématique des MIE. Pourtant, le statut d’enfant devrait prévaloir, conformément aux engagements de la France, au titre de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant. » Cette association consacrée par la loi du 1er juillet 1901 est financée grâce à des subventions publiques à hauteur de 25 millions d’euros par an, gonflées par une Dotation Globale de Financement (DGF) en constante et régulière augmentation depuis 2015 (de 34 millions euros en 2015 à 67 millions euros en 2020). 

6.Il s’agit d’un prénom modifié ; l’homme a souhaité garder l’anonymat.

7.Cf le conte de fées nauséabonds du faux héros de l’Hyper Cacher, François Belliot, mai 2019

8.Nicolas Poincaré sur RMC le 28/09, Cyril Hanouna dans Balance ton post le 15/10.


- Source : François Belliot

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