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Navalny et les mystères sacrés du novichok

Auteur : Karine Bechet-Golovko | Editeur : Walt | Samedi, 05 Sept. 2020 - 09h41

Ça y est, l’opération Navalny tourne à plein régime. Merkel l’a déclaré : la Russie a empoisonné Navalny au novichok, il n’y a aucun doute. Et comme c’est la Russie, elle doit reconnaître les faits. Et comme il n’y a aucun doute, il n’est pas nécessaire de présenter les preuves. Quant à savoir pourquoi un produit si toxique et volatil a réussi à ne toucher absolument personne dans l’entourage de Navalny, ni dans l’avion, ni dans l’hôpital à Omsk, cela doit faire partie des mystères de la géopolitique. En attendant, la communauté internationale prépare sa « réponse », autrement dit continue son attaque contre la Russie.

Un laboratoire militaire allemand a enfin déclaré ce que les politiciens allemands affirmaient déjà la semaine dernière : Navalny a été empoisonné au Novichok. Immédiatement, Merkel donne le ton, l’opération est lancée et frappe directement le Gouvernement russe :

Alors, le « monde libre » entre dans la danse, une bonne vieille petite guéguerre froide pour faire oublier la débâcle serait bienvenue, même si une véritable guerre froide fait peur. Des deux côtés. Aucun n’est réellement prêt à cela. La posture sera suffisante et la mécanique des sanctions, bien rodée, fera l’affaire.

« Après les États-Unis et le Royaume-Uni, c’est la France qui, par l’intermédiaire du ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, a dénoncé « l’utilisation choquante et irresponsable » de cette substance ».

La déclaration de Le Drian montre à quel point la mécanique est toujours la même : la Russie doit montrer dans quelles circonstances le produit a été utilisé. Autrement dit, on vous affirme qu’il y a du novichok, sans présenter aucun document aux autorités officielles russes, et maintenant c’est à la Russie de fournir l’explication de ce scénario fantasmagorique. C’est exactement comme avec l’affaire du dopage : on vous assure qu’il y a eu implication du FSB qui faisait soi-disant passer à travers les murs les échantillons, maintenant vous devez reconnaître cette absurdité pour, peut-être, que l’on vous pardonne. L’expérience a montré que rien n’est jamais « pardonné », la mécanique ne fait que progresser. Chaque conciliation est interprétée comme une faiblesse et donc une raison pour faire monter graduellement la pression.

Ici nous avons droit à un laboratoire militaire, sans qu’aucune analyse alternative indépendante ne soit ni envisagée, ni même exigée. C’est vrai, c’est un laboratoire militaire … allemand, ça change tout.

Sur cette base, un chef d’Etat accuse officiellement un Gouvernement d’empoisonnement d’un de ses citoyens. Sans lui fournir aucun élément de preuve. Et l’enjoint à collaborer à l’enquête – qui l’a déjà déclaré coupable. Alors qu’une enquête est bien ouverte en Russie par le Comité d’enquête. Qui elle, à la différence de « l’enquête » menée en Allemagne, doit être « ouverte », donc en violation du principe universel de secret de l’enquête.

Rien ne vous dérange ?

On ne rappellera pas que Navalny n’est « le principal opposant » de Poutine que dans la fantasmagorie occidentale.

On ne reviendra même pas sur l’absurdité fondamentale de cette version. Si la Russie avait empoisonné Navalny, à quoi bon l’offrir à l’Allemagne pour que l’enchaînement des accusations-sanctions, tant prévisibles, ait lieu ? Il est vrai que le fait même que la Russie l’ait laissé se faire exfiltrer, sans avoir prévu de parade, soulève des questions …

On ne reviendra pas non plus sur cet étrange novichok, substance extrêmement dangereuse, qui semble avoir beaucoup de mal à tuer … Certains, comme la fille Skripal, en ressortent même avec une cure de jeunesse.

On oubliera aussi de se demander comment est-il possible que personne parmi les centaines de voyageurs, parmi les médecins, parmi les proches qui furent en contact avec Navalny, dans des espaces clos, absolument personne n’ait le moindre symptôme, qu’il n’y ait pas eu d’hécatombe est un véritable miracle … si c’est bien du novichok. A moins qu’il ne soit périmé … En tout cas, c’est la question que se pose l’un des créateurs du novichok, en raison de la volatilité du produit à partir de +20°.

Pourquoi se poser tant de questions, c’est la Russie. Pourquoi faire un effort, le novichok est bien suffisant, il faut juste un prétexte. Le voici. L’OTAN n’aura finalement pas sa base en Biélorussie, ça a un prix. Et peu importe que la Russie ait parfaitement joué le rôle du Covid, qu’elle entre dans l’organisation internationale pour les migrations, qu’elle suive les recommandations du FMI, peu importe qu’elle ait docilement collaboré pour le scandale parfaitement organisé des JO, peu importe qu’elle suive le culte managerial qui tue toute dynamique dans les domaines où il s’implante, peu importe qu’elle suive les recommandations de l’OCDE (sans en être membre) conduisant à la destruction de l’enseignement et de la recherche, etc etc etc. Peu importe, finalement, qu’elle ait laissé exfiltrer Navalny. Et à cause de cela. Il y aura des sanctions. Il y aura une diabolisation. Il y a une communication de guerre. Car chaque concession est un signe de faiblesse.

Sauf à tomber dans la propagande primaire, il est difficile de ne pas voir que la stratégie mise en oeuvre par les groupes néolibéraux, devenus dominants dans la politique russe, fragilisent le pays et ouvrent la voie à des attaques de plus en plus frontales. Mais ce ne sont pas eux qui sont aptes à mener le combat.

PS: Malgré la demande d’un sénateur américain et de l’opposition verte en Allemagne d’interrompre la construction du gazoduc Nord Stream 2 en réaction à l’empoisonnement de Navalny, Merkel a déclaré qu’il serait construit jusqu’au bout. En soi, c’est une bonne nouvelle, mais ça ne peut conditionner la politique étrangère russe. La diplomatie du gaz et du pétrole a déjà démontré son échec en Ukraine.

***

Affaire Navalny : vérité ou mensonge ?

Le 18 mars 2018, j’écrivais un article sur l’affaire Skripal repris par plusieurs dizaines de sites internet de réinformation. Cet article avait eu, à l’époque, un certain succès d’audience, cumulant beaucoup plus de 100 000 lecteurs sur la totalité des sites de publication, et il avait été plébiscité par une immense majorité des commentateurs. Le lecteur pourra en prendre connaissance sur le lien suivant:

Aujourd’hui, je tiens à partager avec ceux qui s’intéressent à mes analyses une réponse faite à l’un de mes correspondants, spécialiste de la Russie, qui m’interrogeait sur l’affaire Navalny  et qui me disait ne pas savoir quoi en penser.

*

Le 3 Septembre 2020

Mon cher François,

Comme vous le pressentez, je ne pense pas une seule seconde que Poutine puisse  être impliqué dans ce genre d’affaire qui, comme vous le soulignez, n’est  pas la première du genre. Et si c’était le cas, on l’imagine mal autoriser  le transfert de la victime en Allemagne, toute trace de Novitchok dehors, et  d’offrir ainsi la possibilité aux occidentaux de l’accuser, une fois de plus, d’empoisonner ses opposants.

Les médias mainstream occidentaux et la gouvernance allemande prennent Poutine pour un imbécile, ce qu’il n’est pas, et surtout nous prennent tous pour des «demeurés», incapables de réfléchir. Cette farce ne tient évidemment pas la route et la gouvernance allemande ne se grandit pas à imiter le comportement des britanniques lors de l’affaire Skripal et à tenter de faire croire une telle énormité.

Il est vrai que les Allemands n’en sont pas à leur coup d’essai.

Dans un article d’avril 2019, Serge Halimi, directeur du journal «Le Monde  Diplomatique» et Pierre Rimbert, rédacteur en chef adjoint de ce même  journal co-signent un excellent article sous le titre: le plus gros bobard du  XXème siècle:

Ils commentent ainsi les déclarations délirantes du ministre de la  défense allemand, le social-démocrate Rudolf Scharping, faites en avril 1999:

« Les Serbes commettent un «génocide», «jouent au football avec des têtes coupées, dépècent des cadavres, arrachent les fœtus des femmes enceintes  tuées et les font griller»,… Ces  propos furent repris  en coeur, dans une  orchestration remarquable par les médias mainstream occidentaux; ils ont tué  « de 100 000 à 500 000 personnes» (TF1, 20 avril 1999), incinéré leurs  victimes dans des « fourneaux, du genre de ceux utilisés à Auschwitz »  (The Daily Mirror, 7 juillet).

Une à une, ces fausses informations seront taillées en pièces — mais  après la fin du conflit —, notamment par l’enquête du journaliste  américain Daniel Pearl (The Wall Street Journal, 31 décembre 1999). Tout  comme se dégonflera l’une des plus retentissantes manipulations de la fin du XXe siècle: le plan Potkova («fer à cheval»), un document censé  prouver que les Serbes avaient programmé l’«épuration ethnique» du  Kosovo. Sa diffusion par l’Allemagne, en avril 1999, servit de prétexte à  l’intensification des bombardements.

Loin d’être des internautes paranoïaques, les principaux désinformateurs  furent les gouvernements occidentaux, l’OTAN, ainsi que les organes de  presse les plus respectés.»

L’affaire Navalny est donc, pour moi, une affaire visant à noircir, une fois de plus, l’image de Poutine et de la Russie, à le présenter comme un  dictateur sanguinaire, et à l’embarrasser, au moins temporairement. Comme d’habitude, les gouvernances et les grands médias occidentaux agissent en meute et sans grande finesse: «plus c’est gros, plus ça passe». Un mensonge répété jour après jour et du matin au soir devient vérité dans l’esprit des gens. C’est ce que l’on appelle la propagande. Goebbels n’aurait pas fait mieux lors de la 2ème Guerre Mondiale.

L’analyse détaillée des cas similaires précédents (meurtre de Nemtsov le 27 février  2015, tentative d’empoisonnement de Skripal en mars 2018) montrent que ces événements se situaient toujours à des moments qui correspondaient parfaitement au  calendrier électoral Russe et/ou à des affaires internationales dans  lesquelles il convenait de mettre la Russie, et surtout Poutine, dans  l’embarras.

La Question est donc aujourd’hui: Pourquoi ça et pourquoi maintenant ? Comment expliquer simplement cette affaire ?

Beaucoup l’ignore en occident, mais des élections nationales auront lieu en Russie le 13 Septembre prochain.

Une affaire Navalny intervenant à quelques jours de cette échéance électorale est de nature à renforcer les résultats de l’opposition à Poutine, donc à profiter à cette opposition. Rappelons que l’affaire Skripal était intervenue elle aussi par une étrange coïncidence quelques jours avant l’élection présidentielle russe de mars 2018…

Par ailleurs au moins six affaires jugées importantes par la coalition occidentale, et impliquant la Russie, suivent leurs cours et pourraient justifier une opération visant à  embarrasser Poutine.

Il y a l’affaire syrienne dans laquelle la Russie s’est engagée avec prudence  et succès dès Septembre 2015 et qu’elle aimerait bien conclure rapidement. La Russie y est en  opposition frontale à la coalition israélo-occidentale qui aimerait voir durer  le conflit syrien pour créer des faits accomplis.

Il y a l’affaire du North Stream II qui suit son cours et que les USA  cherchent encore et toujours à faire capoter, au détriment, d’ailleurs, de leurs alliés européens.

Il y a le succès commercial du vaccin Russe (2 milliards de doses  déjà commandées par plus de 20 pays), succès que les lobbies occidentaux aimeraient bien transformer en échec  pour promouvoir les leurs lorsqu’ils existeront.

Il y a la réactualisation en cours du concept stratégique de l’OTAN 2021,  dans laquelle les USA cherchent déjà à présenter à leurs partenaires européens la Russie de Poutine comme l’une des deux menaces majeures pour l’OTAN. Il faut donc couper court à tout effort de l’UE de se rapprocher des russes …..

Il y a encore l’affaire de la guerre des prix sur les marchés gazier et  pétrolier sur lequel la gestion avisée de Poutine a déjà acculé à la faillite  nombre d’exploitants de gaz de schiste US.

Il y a enfin la tentative en cours de révolutions colorées en Biélorussie et celle qui n’est pas toujours pas abandonnée au Vénézuela, révolutions dans lesquelles les occidentaux redoutent, à tort ou à  raison, les réactions russes de soutien aux pouvoirs en place.

Mettre le Président russe dans l’embarras,  c’est détourner son attention et son énergie des sujets brûlants qu’il gère plutôt bien. Salir son image et celle de la Russie  met  Poutine sur la défensive et dans l’obligation d’être prudent, donc plus modéré, dans son action  sur les six dossiers évoqués ci dessus.

Quant aux commanditaires de cette action visant à discréditer Poutine, il faut les chercher, comme dans l’affaire Skripal, dans les grands services spéciaux occidentaux et plus particulièrement parmi les trois plus efficaces dans ce genre d’opération: CIA, Mossad, MI5, en liaison, bien sûr, avec le BND allemand.

Voilà mon analyse à chaud.

Il n’est d’ailleurs pas certain que les élections du 13 septembre ne soient pas, in fine, un grand succès pour le parti de Poutine. Plus l’occident critique la Russie et paraît s’ingérer dans ses affaires, plus l’électorat russe a tendance à se regrouper autour de son Président. L’affaire Skripal et son exploitation maladroite par les occidentaux avait fait gagner 13 points en quelques jours au candidat Poutine, élu dès le premier tour. Relire à cet égard la lettre de Vladimir à Theresa du 20 mars 2018:

Tout commentaire ou ajout de votre part sera le bienvenu.

Cordialement

Dominique DELAWARDE


- Source : Russie politics

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