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Samedi, 04 Mai 2024

Dieudonné et les mots interdits

Auteur : Vladimir Caller | Editeur : Walt | Dimanche, 16 Nov. 2014 - 12h24

Les événements politico-judiciaires qui ont eu lieu en France autour des spectacles de l'humoriste Dieudonné M'bala M'bala n'on rien perdu d'actualité et méritent d'être revisités afin de saisir les véritables enjeux que cette affaire sous-tend et dont son hypermédiatisation a réussi à les occulter.

Ainsi nous constatons que la décision, particulièrement expéditive, du Conseil d'Etat français d'annuler l'arrêt du Tribunal Administratif de la ville de Nantes autorisant la présentation de l'humoriste risque de donner naissance à une sorte de « jurisprudence Dieudonné » susceptible de devenir source de droit et de s'étendre bien au-delà de l'hexagone français. La manière dont cette décision fut prise est assez édifiante pour ne pas l'examiner et souligner l'importance de sa signification politique. Le diable, dit-on, se cache dans les détails.

Tout d'abord lorsque le tribunal nantais décida de ne pas donner raison au Ministre de l'Intérieur qui souhaitait interdire le spectacle sur la présomption de menace à l'ordre public, il ne faisait que confirmer une norme universelle du droit qui veut que l'on ne sanctionne pas un délit avant qu'il ait effectivement eu lieu. Face à ce désaveu, le Ministre Valls fait appel au Conseil d'Etat qui obtempère avec une compromettante décision qui configure une espèce de justice par anticipation ; c'est-à-dire ne pas attendre que le délit soit perpétré pour le sanctionner. Décision surtout étonnante parce qu'elle a été prise avec une célérité inconnue dans l'histoire judiciaire française. En effet, il était 15H30 ce 9 janvier lorsque le Conseil d'Etat fixa à 17H00 la séance destinée à examiner et prendre décision à propos de la requête du Ministre de l'Intérieur. La décision du Conseil fut rendue publique à 18H45 le même jour. Il a donc fallu seulement 105 minutes pour étudier la documentation y afférente, entendre les parties, délibérer et rédiger une décision argumentée de presque 4 pages.

Difficile de ne pas soupçonner que les carottes n'étaient pas déjà cuites, même sur-cuites, avant que la décision soit formalisée. Précipitation d'autant plus inquiétante que le Conseil d'Etat, ayant des difficultés pour invoquer la motivation usuelle, à savoir celle « des risques de trouble à l'ordre public » , s'est lancé dans une curieuse improvisation invoquant des références si subjectives comme des « propos » (ceux de l'humoriste) de « nature à mettre en cause la cohésion nationale » ou de l'atteinte aux « valeurs de dignité de la personne humaine » On crée ainsi, discrètement, des préceptes qui pénaliseront un jour toute contestation que les pouvoirs estimeront menaçantes à la « cohésion nationale » ou à une quelconque interprétation des valeurs de la dignité humaine.

Mais la question semble encore plus délicate lorsqu'on apprend que le 16 décembre 2013 le président Hollande recevait en audience monsieur Maurice Cukierman, Président du Conseil Représentatif des Institutions juives de France (CRIF), lequel annoncait avant de se rendre à l'Elysée, qu'il allait réclamer des mesures contre les campagnes antisémites et en particulier contre le geste de la quenelle popularisé par Dieudonné. Le Président français fait siennes ces demandes et c'est ainsi que son Ministre de l'Intérieur lance, ipso-facto, la campagne anti-Dieudonné. Tout semble indiquer donc qu'il y eut une troublante concomitance entre les sollicitations du CRIF et l'orchestration de l'opération destinée à faire taire l'humoriste. Notons au passage que l'universitaire juive française et sénatrice écolo Esther Benbassa se demandait à propos du CRIF « ..s'il n'est pas plutôt le porte-parole d'Israël en France, comme une seconde ambassade de ce pays »

Si à cela s'ajoute le fait que le Ministre Valls avouait en des termes assez forts son rapport à ce pays « je suis lié, disait-il, de manière éternelle à la communauté juive et à Israël » et la grande tolérance qu'a connu, dans cette affaire, le comportement de l'avocat franco-israélite Arno Klarsfeld, on est en droit de se poser des questions sur la neutralité et sérénité que devraient commander ce genre de décisions. Cet avocat, connu par son attachement passionné à l'Etat d'Israël (il était engagé dans son armée en 2002), n'a pas hésite à faire des appels publics à manifester contre la tenue des spectacles de Dieudonné. Très proche du dossier, il ne pouvait pas ignorer qu'en agissant ainsi, cherchant à provoquer les faits qui justifieraient l'interdiction de l'humoriste, il se rendait coupable d'incitation aux attroupements et donc aux troubles de l'ordre sanctionnés par le Code Pénal français (articles 431-3 et 4). Raison largement suffisante pour qu'il soit condamné pénalement et relevé de ses fonctions. Hypothèse invraisemblable dans le royaume de Monsieur Valls : Monsieur Arno Klarsfeld est membre de ce Conseil d'Etat.

Ce chroniqueur est conscient que faire état de ces « détails » suffisent de nos jours pour être immédiatement accusé d'antisémitisme. Mais, comme l'enseignait le philosophe espagnol Miguel de Unamuno « il y a des circonstances dans lesquelles se taire c'est mentir ». Et pourquoi alors devrait-on être obligé de se taire, au risque de mentir, et ne pas pouvoir se poser la question si, par exemple, la politique palestinienne de la France particulièrement complaisante envers Tel-Aviv ne serait pas influencée par le CRIF et ses réseaux ? Ou si le démantèlement de l'Irak, de la Libye (et de la Syrie maintenant) n'avait pas quelque chose à voir avec les intérêts stratégiques de l'Etat d'Israël et, dans ce cadre, de l'activisme si marqué des personnalités engagées en faveur de ces guerres comme Daniel Cohn-Bendit, Bernard Henry Levy, Alain Finkielkraut, Arno Klarsfeld et le Ministre français des Affaires Etrangères Laurent Fabius ? Qu'est devenue cette France héritière des Lumières qui s'auto-interdit de soulever des questions, dérangeantes certes, mais que son héritage rationaliste devrait lui imposer ?

Pourquoi deux des plus importants théoriciens des sciences politiques aux Etats-Unis, John Mearsheimer et Stephen Walt (universités de Chicago et Harvard respectivement), peuvent-ils publier un livre devenu best-seller sur « Le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine » et que semblable démarche soit inimaginable chez leurs collègues français (ou belges) ? Ou qu'un journaliste d'investigation de la taille de Seymour Hersh, une icône dans notre métier, puisse affirmer, sans avoir un Manuel Valls américain à ses trousses, que « L'argent des juifs contrôle les candidats présidentiels » des Etats-Unis, tout en gardant son poste de chroniqueur étoile du New York Times ? Le regretté Guy Spitaels me disait « chez nous, on peut parler vaguement des influences des milieux pro-israéliens ; mais parler ouvertement de lobby juif, c'est exclu ». Il répondait à une de mes questions autour de son livre « Obama président : la méprise ». J'insiste : mais pourquoi ?

La réponse revient peut-être encore à Esther Benbassa lorsqu'elle parlait des pouvoirs qui en « .. faisant plier les uns et les autres (..) par le biais de l'autocensure, sensible chez bien des journalistes, craignant à juste titre d'être soupçonnés d'antisémitisme dès qu'ils oseront critiquer la politique israélienne ». Voilà des questions majeures que l'on devrait pouvoir discuter si les pitreries antisémites de Monsieur M'Bala M'Bala, en servant de diversion, ne facilitaient pas la tâche de ceux qui cherchent justement à qu'elles ne soient jamais discutées. Triste situation qui nous ramène à la si juste définition du magistrat Serge Braudo lorsqu'il disait qu'un pays démocratique « est celui où les citoyens ont la liberté de commettre une infraction. Un pays totalitaire est celui où l'exercice de la liberté est une infraction ».


- Source : Vladimir Caller

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