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Les limites du système ...

Auteur : Chroniques ovales | Editeur : Stanislas | Vendredi, 17 Janv. 2014 - 17h34

Je viens d'assister en tant que témoin silencieux à une commission de vie scolaire, antichambre du conseil de discipline pour une jeune fille de 13 ans qui met en échec toute l'institution. Son comportement sort tellement du cadre habituel, que nos modestes moyens de coercition ou de sanction sont de même nature que le fameux cautère sur une jambe de bois.

J'ai opté pour le silence depuis que cette jeune fille m'a diffamé, a porté auprès des siens des accusations abjectes : lubricité et insinuations douteuses. Je lui avais simplement demandé de s'habiller un peu mieux lorsqu'elle faisait du sport afin de ne pas s'exhiber ainsi devant les garçons. J'avais touché la corde sensible, ce que j'ignorais alors. Le lendemain, la jeune demoiselle jouait les aguicheuses et me demandait en plein cours si je me masturbais chez moi …

Je voulais exercer mon droit de retrait, ce qui embarrassa l'administration. Je n'avais pourtant nulle envie de subir pareilles allusions délétères d'autant qu'on sait le mal terrible que peuvent faire de telles accusations. Par chance, nul n'a donné crédit à ses dires mais pour moi, il était évident qu'il fallait éviter de me retrouver seul face à cette furie.

Depuis, elle n'a cessé de multiplier les incidents. Ils sont tous particulièrement sexualisés. Cette demoiselle, malgré son jeune âge, découche fréquemment, fugue régulièrement, prend la pilule et entretient une ribambelle de flirts. Inutile de vous dire que son comportement déstabilise grandement la vie de sa classe, d'autant qu'elle est capable d'accès de violence verbale et physique et qu'elle vit dans un déni total.

Que faire ? C'est bien le problème majeur auquel sont confrontés ceux qui ont en charge la classe. J'ai le bonheur de ne pas devoir affronter cette difficulté insoluble, ne l'ayant qu'une heure en EPS, mais j'entends les plaintes de mes collègues obligés de subir les débordements de la gamine, ses crises, ses caprices et autres manifestations spectaculaires de sa libido.

Pour la famille ce n'est, hélas, pas plus facile. La charmante a proféré des accusations d'une rare violence contre sa belle-mère qui a dû justifier de sa bonne foi devant la police. Elle met en échec sa mère et son père, joue sans cesse sur les conflits familiaux, les attise et rend la vie impossible à tous ceux qui veulent l'aider.

Le collège n'est pas resté sans rien faire. Les sanctions ont suivi les punitions qui se montraient inutiles; elles ne furent pas plus efficaces. La jeune fille a multiplié les périodes d'exclusion qui ne peuvent dépasser la semaine. À chaque fois, elle revient pour détruire le cours, mettre en ébullition une classe, décourager quelques enseignants.

Le temps administratif ne prend pas en compte les souffrances de la communauté scolaire. La classe où elle sévit est en limite de rupture, les adultes avouent leur impuissance. L'infirmière a constaté une situation sanitaire d'une extrême gravité mais le médecin scolaire est tellement débordé, qu'il ne pourra la voir que bien plus tard. Les mesures doivent suivre le cours des procédures légales et en attendant , cette gamine se détruit et détruit les autres.

Nous avons entendu la terrible litanie de ses difficultés, ses dysfonctionnement, ses provocations, ses passages à l'acte. Nous avons entendu également la terrible impuissance de ses représentants. Elle est restée butée, silencieuse, provocatrice. Elle a souri au récit de ses exploits, elle a refusé de s'expliquer ou de promettre de s'amender. Rien ne peut l'atteindre et il nous faudra encore attendre de nouvelles frasques qui démontreront, de façon éclatante, notre impuissance.

Des dossiers administratifs sont en passe d'être montés pour prétendre à une place dans des établissements véritablement spécialisés pour de tels troubles. Mais le temps des commissions ad hoc ne tient jamais compte de l'urgence du terrain. Le cas de cette jeune fille, une fois regroupées les innombrables pièces nécessaires , sera examiné en fin d'année scolaire pour une décision qui restera sans doute lettre morte, faute de places disponibles.

La famille, très coopératrice, cherche une aide médicale spécialisée . Là encore, quand on n'est pas issu des milieux favorisés, obtenir un rendez-vous chez un pédopsychiatre, relève du parcours du combattant. Notre système se dégrade et il n'est pas en mesure d'apporter des réponses à ceux qui souffrent véritablement tout en le mettant en échec.

Je ne veux ni vous apitoyer, ni vous tirer des larmes. Je n'ai fait que rendre, de manière neutre, ce cas que je laisse flou pour préserver cette jeune fille. Nous sommes sans doute en présence d'une gamine qui entre dans une problématique hystérique (même si de ma modeste place, je ne suis pas en mesure de porter un diagnostic ). Nous constatons; et il ne se passera rien de sitôt, si ce n'est d'autres incidents et d'autres violences.

Il y a vraiment de quoi s'indigner ! Notre école subit de plein fouets les évolutions de la société et cette gamine n'est pas un cas isolé. Elle est l'expression des dégâts que font, mal employés, les réseaux sociaux comme facebook (elle aurait trois comptes sur lesquels circulent des horreurs). Elle doit regarder aussi des images qui ne devraient pas tomber sous les yeux d'enfants si jeunes. Notre société se sexualise; l'étalage est sans limite et cela fait des dégâts.

 

Il ne faut surtout rien dire, ne pas se poser en censeur. Pourtant, peut-on accepter de telles dérives, de telles souffrances ? Comment ne pas comprendre alors la réaction de repli de certaines communautés face à l'hypersexualisation d'une société où même les frasques extra-conjugales de ses dirigeants sont exposées sans honte ni précautions. Cette gamine est l'avatar de notre dérive morale et à ce titre, elle a droit à une prise en charge qui, faute de moyens, va se faire encore longuement attendre .

 

Désespérément vôtre.

 




 


- Source : Chroniques ovales

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