Le Myanmar s’apprête à devenir le prochain front de la nouvelle guerre froide sino-américaine

La Chine souhaite conserver l’accès aux terres rares de l’État de Kachin, les États-Unis veulent les lui ravir, et leur concurrence croissante dans cette région du Myanmar pourrait en faire le prochain point chaud de la nouvelle guerre froide.
Reuters a rapporté que la politique américaine envers le Myanmar pourrait évoluer vers un engagement diplomatique accru avec la junte au pouvoir ou l’Armée de l’indépendance kachin (KIA), dans le but d’obtenir l’accès aux énormes réserves de terres rares de l’État éponyme. À l’heure actuelle, les États-Unis sont soupçonnés de soutenir clandestinement certains groupes armés opposés à la junte, mais la KIA ne semble pas en avoir bénéficié en raison de sa position isolée le long de la frontière montagneuse du Myanmar avec la Chine et l’Inde.
Cette géographie pose un défi pour le réacheminement de ces ressources de la Chine vers l’Inde, par exemple, quel que soit le statut politique final de l’État kachin, qu’il soit autonome au sein d’un Myanmar (con)fédéré ou indépendant, mais cela suppose que la Chine n’intervienne pas. Reuters a cité un expert de l’État de Kachin qui a déclaré : « S’ils veulent transporter les terres rares de ces mines, qui se trouvent toutes à la frontière chinoise, vers l’Inde, il n’y a qu’une seule route. Et les Chinois interviendraient certainement pour les en empêcher ».
Les rapports publiés à la fin de l’année dernière sur la société de sécurité conjointe que la Chine et le Myanmar prévoyaient de créer à l’époque ont été analysés ici et ont conclu que les risques associés à une intervention menée par une société militaire privée (PMC) pour soutenir le corridor économique Chine-Myanmar (CMEC) rendent ce scénario peu probable. Aussi important que soit le CMEC pour aider la Chine à réduire sa dépendance logistique vis-à-vis du détroit de Malacca, facilement bloquable, les minéraux de terres rares du Kachin sont encore plus importants, de sorte que ses calculs pourraient changer.
Néanmoins, la Chine est connue pour faire valoir ses intérêts nationaux par des moyens économiques et diplomatiques hybrides, et non par la force militaire. Il est donc beaucoup plus probable qu’elle intensifie bientôt ses efforts avec la junte, la KIA, ou les deux, afin de devancer toute campagne diplomatique américaine à venir. Le premier scénario viserait à rétablir le contrôle de l’armée sur les réserves de terres rares du Kachin, le deuxième tendrait vers l’indépendance de facto du Kachin, tandis que le troisième viserait l’autonomie de cet État.
Dans l’ordre où ils ont été mentionnés : l’armée est en position défensive dans l’État Kachin malgré plus de quatre ans de soutien chinois, il est donc peu probable qu’une nouvelle approche de la Chine inverse cette tendance ; les décennies d’engagement de la Chine auprès de l’Armée de l’État Wa, indépendante de facto, dans l’est de l’État Shan (notamment en ce qui concerne les terres rares) pourraient servir de précédent pour une initiative similaire avec la KIA ; tandis que la recherche de l’autonomie du Kachin dans le cadre d’un règlement politique négocié par la Chine serait le scénario idéal pour Pékin.
Quoi qu’il en soit, il est inimaginable que la Chine laisse les États-Unis s’accaparer les réserves de terres rares du Kachin sans tenter de contrecarrer ce jeu de pouvoir. La rivalité sino-américaine au Myanmar devrait donc s’intensifier. Les Kachin sont au centre de cette lutte, qui est aujourd’hui motivée par l’accès aux terres rares de cette région, même si elle concernait auparavant le CMEC, l’avenir politique du Myanmar (centralisé, décentralisé, dévolu ou partitionné) n’étant qu’un moyen d’atteindre l’objectif susmentionné.
La Chine a l’avantage sur les États-Unis en raison de sa situation géographique (notamment la proximité de ses installations de traitement des terres rares), de ses liens existants avec la junte et la KIA, et de l’attrait que toute nouvelle approche (éventuellement liée au CMEC) pourrait avoir pour faciliter un accord pragmatique entre eux. Cela dit, les États-Unis pourraient au moins tenter de provoquer une intervention armée chinoise afin de l’enfoncer dans un bourbier, même si les chances que ce scénario se réalise sont faibles, dans le cadre de leur rivalité croissante dans le cadre de la nouvelle guerre froide autour du Myanmar.
Traduction par Aube Digitale
- Source : Andrew Korybko's Newsletter (Etats-Unis)