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Surmortalité dans les EHPAD : Covid-19 ou négligence ?

Auteur : Carl Heneghan et Tom Jefferson | Editeur : Walt | Dimanche, 12 Juill. 2020 - 17h37

Un autre scandale des maisons de soins : à l’abri des regards, les personnes âgées et vulnérables ont été oubliées pendant la crise du Covid-19.

Officiellement, plus de 44 000 décès en Angleterre et au Pays de Galles ont impliqué le Covid-19. Mais combien sont morts des suites directes de la maladie elle-même et combien sont victimes de la peur et de la négligence qu’elle a engendrées ?

Il est remarquable de voir combien de décès se sont produits dans des EHPAD au cours de cette « pandémie ». Selon l’Office britannique des statistiques nationales, près de 50 000 décès en EHPAD ont été enregistrés au cours des 11 semaines précédant le 22 mai en Angleterre et au Pays de Galles, soit 25 000 de plus que ce à quoi on aurait dû s’attendre pour cette période de l’année. Deux EHPAD sur cinq en Angleterre ont eu une épidémie de coronavirus ; dans le nord-est, c’est la moitié.

Cependant, tous ces décès n’ont pas été attribués au Covid-19. Même lorsque les certificats de décès le mentionnent, il n’est pas toujours clair que c’est la maladie qui était la cause ultime du décès. Les données se réfèrent aux personnes décédées avec le Covid-19 présent dans leur corps, qu’il soit ou non la cause directe du décès. Cela soulève des questions quant à savoir s’il existe une autre raison de bon nombre de ces décès, qui serait passée largement inaperçue tandis l’attention se portait sur le Covid-19. Ce n’est pas seulement un phénomène britannique, mais on observe la même situation à travers l’Europe.

Une étude récente dans le sud de l’Île-de-France suggère que le confinement lui-même a eu des conséquences catastrophiques. Dans les établissements de soins de longue durée ayant un nombre excessif de décès dus au Covid-19, les chercheurs ont constaté que la détresse respiratoire aiguë n’était pas le principal problème : les décès étaient principalement dus à un choc hypovolémique ou à la déshydratation. Confinés dans leurs chambres bouclées, avec des absences de personnel de 40% et une réduction conséquente du soutien habituel, les résidents mouraient de soif.

Dans la vieillesse, les personnes ont tendance à perdre leur sensation de soif, ce qui les rend sujets à la déshydratation, à moins que le personnel ou la famille leur rappelle cette nécessité et les encourage à boire. La démence aggrave encore le problème, car les personnes atteintes peuvent carrément oublier de manger et de boire et ne peuvent souvent pas communiquer leurs besoins. La déshydratation entraîne une aggravation du délire et de la confusion, ce qui limite davantage la communication. Pour ces personnes, avoir des soignants est une question de vie ou de mort.

La crise du Covid-19 a imposé des exigences supplémentaires aux EHPAD, dont beaucoup manquaient déjà de personnel après des années de sous-financement. Dans toute l’Europe, comme en Grande-Bretagne, la sous-traitance à des entrepreneurs privés (dans de nombreux cas, des sociétés de capital-investissement) a entraîné une réduction des coûts. Pendant la « pandémie », de nombreux soignants ont été accaparés par les tentatives de prévention de la propagation de l’infection. Les contacts entre les soignants et les résidents ont été réduits, souvent en raison du manque d’équipements de protection individuelle. Moins de contacts signifie moins de soins et, par conséquent, plus de décès.

Le Canard Enchaîné, 29 avril 2020.

En Espagne, où les deux tiers des décès du pays sont survenus dans des EHPAD, les procureurs ont lancé des enquêtes sur le décès de 140 résidents qui ont été retrouvés dans un état d’abandon complet. Certains étaient déjà morts dans leur lit lorsqu’ils ont été découverts. Le personnel avait reçu pour instruction de ne pas toucher les corps, et les retards des services funéraires signifiaient que les cadavres gisaient là où ils sont morts.

Dans les EHPAD d’Italie, les familles fournissent traditionnellement un niveau supplémentaire de soins et d’attention. Mais lorsque les proches ont été interdits de rendre visite à leurs parents âgés en maisons de soins, ce filet de sécurité a disparu. Pendant des semaines, le bilan quotidien officiel des décès en Italie —qui était basé uniquement sur les décès dans les hôpitaux— n’a pas permis de mesurer la catastrophe en cours dans les EHPAD. L’ISTAT, l’équivalent italien de l’Office des statistiques nationales, a depuis signalé près de 19 000 décès supplémentaires en mars et avril —des personnes décédées à domicile ou dans des maisons de soins infirmiers—, probablement sans soutien de leur famille, de leurs voisins ou du personnel des foyers de soins.

En Grande-Bretagne, le gouvernement et d’autres autorités ont été distraits par la nécessité de protéger les hôpitaux de la surcharge. De gros efforts ont été déployés pour accélérer les tests, augmenter la capacité de soins intensifs et équiper les hôpitaux de plus de ventilateurs. Les maisons de soins —dont 801 avaient déjà connu des épidémies de Covid au moment de l’imposition du confinement— ont été ignorées. Afin de libérer de l’espace dans les hôpitaux, les patients plus âgés ont été renvoyés vers les EHPAD sans même être testés pour le virus. Dans les deux semaines qui ont suivi le confinement, alors que le risque d’infection aurait dû diminuer, 1 800 foyers supplémentaires en Angleterre ont signalé des épidémies.

Boris Johnson défend la théorie de l’immunité de groupe et se vante de serrer la main des patients atteints du Covid-19

En Écosse, la police enquête sur la mort de trois résidents dans un EHPAD à Skye où dix résidents sont morts. Près de la moitié des décès de Covid-19 écossais sont survenus dans des maisons de soins, et jusqu’à présent, trois maisons sur cinq ont informé l’inspection des soins d’une épidémie présumée.

La Suède, qui s’est abstenue d’imposer un confinement, a été critiquée par beaucoup pour avoir un nombre de morts plus élevé que la Norvège ou le Danemark. Mais là-bas, comme ailleurs en Europe, le vrai problème était dans les maisons de soins, où près de la moitié des décès dus au Covid-19 ont eu lieu. L’équipement de protection n’était pas disponible et le personnel présentant des symptômes s’est quand même présenté au travail. Faute d’expertise clinique, le personnel n’a pas pu administrer d’oxygène.

Comparez ce qui précède avec la situation à Hong Kong, où 54 EHPAD ont été touchés par l’épidémie de SARS de 2002-03. Effrayés par cette expérience, les autorités ont pris le contrôle des infections au sérieux cette fois-ci. Les visites dans les maisons de soins ont été limitées dès janvier. Le dépistage a été rendu disponible pour tous les patients qui présentaient des symptômes (contrairement à la Grande-Bretagne). Les nouvelles admissions dans les maisons de soins étaient limitées. En conséquence, les médecins de visite en EHPAD à Hong Kong étaient plus en mesure de répondre aux besoins des patients. La plupart des maisons de soin avaient un à trois mois de stocks d’équipement de protection. Le personnel a été formé au contrôle des infections. En conséquence, lors de la crise du Covid-19, Hong Kong n’a enregistré aucun décès dans les maisons de soins. Pas un seul.

Poutine :  refuser les soins aux plus âgés est un retour à la barbarie

Il a fallu une « pandémie » mondiale pour réaliser ce qui se passait dans les maisons de soins : sous-financées, sous-équipées et en sous-effectif, beaucoup étaient vouées à l’échec. L’hydratation, la nutrition, un peu d’oxygénothérapie et de bons soins de soutien auraient souvent suffi à sauver la vie des plus fragiles et des plus vulnérables. Mais avec des soins médicaux axés sur le ralentissement de la propagation du Covid-19 dans la communauté en général, les résidents des maisons de soins se sont vu refuser des soins de base. Le confinement n’a rien fait pour empêcher les décès à l’endroit où ils étaient le plus susceptibles de se produire.

Hors de vue, les personnes âgées sont restées hors des esprits. De nombreuses maisons de soin n’étaient déjà pas adaptées à l’usage prévu. Le confinement supplémentaire qui est venu avec la panique du Covid-19 s’est avéré mortel. Dans de nombreux cas, un simple verre d’eau aurait pu sauver les personnes âgées qui sont décédées en masse. Pour la prochaine épidémie, nous nous aurons tiré des leçons sur ce qu’il ne faut pas faire. Mais nous pouvons aider à remédier à nos manques en étant honnêtes avec nous-mêmes au sujet d’un scandale qui est toujours en cours.

Le docteur Carl Heneghan, épidémiologiste clinique, est directeur du Centre pour la médecine factuelle (Grande-Bretagne), où le docteur Tom Jefferson est chercheur principal.

Traduction Le Cri des Peuples


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