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Notre-Dame: pourquoi les contribuables vont payer deux fois la reconstruction

Auteur : HuffPost | Editeur : Walt | Jeudi, 18 Avr. 2019 - 00h11

La cathédrale Notre-Dame reconstruite “d’ici cinq années”. C’est l’objectif que s’est fixé Emmanuel Macron, lors d’une adresse à la Nation mardi 16 avril. Alors que des centaines de millions d’euros de dons arrivent du monde entier, la question de la responsabilité du coût de la reconstruction du monument se fait de plus en plus pressante. Dans les faits, l’État, et par extension les contribuables - particuliers et entreprises -, pourraient être contraints de payer de deux manières distinctes le financement de ce chantier titanesque. 

D’un côté, l’État, propriétaire et assureur du monument historique, devra contribuer directement à l’effort financier de reconstruction. De l’autre, il devra compenser partiellement le manque à gagner fiscal lié à la défiscalisation des dons générés.


Contrairement à un édifice classique, la cathédrale Notre-Dame étant la propriété de l’État, elle est donc assurée par ce dernier. En conséquence, il est le seul à assumer le risque et les dégâts en cas de sinistre. “Il n’utilise pas de compagnie d’assurance pour les couvrir, sauf pour des montages juridiques particuliers, ce qui fait aussi qu’un certain nombre de châteaux ne sont pas couverts par le secteur privé, c’est un choix”, explique à l’AFP Dominique de la Fouchardière, dirigeant de SLA Verspieren, spécialiste de l’assurance de châteaux et monuments historiques. Il en est de même pour les monuments dont il est propriétaire.

Au total, selon les données du ministère de la Culture, sur les 44.321 monuments historiques répertoriés, l’État est ainsi propriétaire de 2,7% d’entre eux considérés comme édifices protégés, c’est-à-dire à la fois inscrits et classés au patrimoine historique. En revanche, il appartient théoriquement à l’archevêché de Paris d’assurer les biens à l’intérieur du bâtiment. “Depuis la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905, les bâtiments sont assurés par l’État et les biens sont assurés par des polices d’assurance spécifiques quand l’Église le peut”, détaille l’expert. Sollicité par l’AFP, le diocèse de Paris n’était pas en mesure de répondre sur la couverture des biens et œuvres présents à l’intérieur du bâtiment lors du sinistre.

L’État, assureur de Notre-Dame

L’État étant son propre assureur, quelle procédure doit-elle être déclenchée? Très certainement une recherche de responsabilité, soit une enquête destinée à déterminer l’origine de l’incendie et si la responsabilité d’une des entreprises chargées de la rénovation est engagée. Pour rappel, le parquet de Paris a ouvert une enquête dès lundi 15 avril pour “destruction involontaire par incendie”.

“Sur ce dossier, il y a de grands risques que cela parte en contentieux au vu de l’importance des enjeux et parce que la recherche de responsabilités est complexe”, a estimé auprès de l’AFP Nicolas Kaddèche, responsable du marché Arts et clientèle  privée de Hiscox en France, assureur spécialisé dans l’art. “C’est toujours compliqué de prouver la responsabilité d’une entreprise intervenante” dans un chantier, car un sinistre peut survenir soit au cours du chantier, soit une fois les travaux conclus en raison d’une malfaçon électrique, par exemple, développe l’assureur.

Il est ensuite important d’établir “la chaîne de responsabilité au sein des sous-traitants”, précise Nicolas Kaddèche, “donc en premier le maître d’ouvrage est mis en cause, puis souvent, ce dernier va se retourner vers chacun des intervenants, enfin il va falloir déterminer quel intervenant était concerné et s’il a une responsabilité dans l’événement ou pas”.

Dans le cas de figure où la responsabilité d’une des entreprises est établie, alors son assureur devra indemniser à hauteur de la garantie souscrite par l’entreprise. Si la couverture s’avère insuffisante alors la solidarité ou d’éventuels fonds d’aide viendront pallier cette défaillance.

En revanche, si la responsabilité du sinistre n’est pas attribuée à l’une des entreprises engagées dans la rénovation de Notre-Dame, alors l’État lui-même garant du bâtiment aura la charge de la reconstruction.

D’où l’importance cruciale des dons. Plusieurs entreprises et personnalités ont d’ailleurs annoncé des dons, pour des montants parfois très élevés. Parmi elles, on retrouve notamment l’industriel François-Henri Pinault, président du groupe de luxe Kering (100 millions d’euros), l’homme d’affaires Bernard Arnault (200 millions d’euros)  ou encore la famille Bettancourt-Meyers (200 millions d’euros).

Des dons encouragés par une fiscalité avantageuse...

Ces donations, qui s’ajoutent aux promesses de dons formulées par les associations, les collectivités et les particuliers, ne seront cependant pas sans conséquences pour les finances publiques - et donc pour les contribuables. De fait, l’État français encourage fortement les dons et le mécénat, via un traitement fiscal avantageux.

Depuis la loi Aillagon de 2003, les entreprises qui investissent dans la culture peuvent déduire 60% de leurs dépenses en faveur du mécénat, avec la possibilité de bénéficier d’un échelonnement de l’avantage fiscal sur cinq ans, dans une limite de 25% du don.

Cette réduction fiscale est strictement encadrée. Elle est appliquée dans la limite de 5‰ (cinq pour mille) du chiffre d’affaires annuel. Elle peut même atteindre 90% lorsque le don concerne l’achat de biens culturels considérés comme des “trésors nationaux” ou présentant “un intérêt majeur pour le patrimoine national”. La remise est alors appliquée dans la limite de 50% de l’impôt dû par l’entreprise. Ce taux de 90%, qui signifie que l’entreprise ne contribue in fine qu’à hauteur de 10% de son geste, ne peut en théorie pas s’appliquer à des projets de restauration de grands monuments patrimoniaux, comme la reconstruction de Notre-Dame, étant limité aux objets “qui risquent de sortir du territoire”.

Pour rappel, les particuliers peuvent eux aussi bénéficier d’une réduction de leur impôt sur le revenu de 66% en effectuant un don, comme le stipule l’article 200 du Code général des impôts. “Les dons ouvrent droit à une réduction d’impôt sur le revenu égale à 66 % du montant versé dans la limite de 20 % du revenu imposable. Un don de 50 € ouvre par exemple droit à une réduction d’impôt de 33 €, un don de 100 € à une réduction de 66 €, etc”, peut on ainsi lire sur la page dédiée sur le site des impôts.

Le premier ministre Édouard Philippe entend même aller plus loin, en instaurant une réduction fiscale dérogatoire de 75% pour les dons des particuliers jusqu’à 1000 euros, tandis que “les entreprises bénéficieront des réductions d’impôts, dites de mécénat, dans les conditions actuelles”.


... Mais pénalisante pour les caisses de l’État

Si l’afflux de dons des entreprises notamment apparaît, de prime abord, comme une bonne nouvelle, la défiscalisation de ces montants -si elle est effectivement demandée par les entreprises donatrices- est, elle, de moins bon augure pour les finances publiques. Comme l’a révélé la Cour des comptes, dans un rapport datant de novembre 2018, le dispositif de mécénat coûte 900 millions d’euros par an, rapporte Le Monde. Depuis dix ans, le coût de cette niche fiscale a même été multiplié par dix, soutiennent les Sages de la rue Cambon.

Comme le rappelle le quotidien du soir, ces dons privés constituent autant de sommes qui ne pourront, a priori, être prélevées dans les caisses de l’État, et qui devront être recherchées ailleurs. “L’exonération (actuelle) est très incitative donc l’État va avoir un coût à régler car il va y avoir une partie de défiscalisation, donc de rentrées fiscales moindres qui se feront”, a ainsi abondé Marielle de Sarnez, vice-présidente du MoDem, sur Public Sénat.

“C’est la collectivité publique qui va prendre l’essentiel [des frais de reconstruction] en charge!”, s’est ainsi indigné Gilles Carrez, député LR et rapporteur spécial du programme patrimoine pour la commission des finances de l’Assemblée, auprès du Monde. “Sur près de 700 millions d’euros [de dons annoncés mardi], environ 420 millions seront financés par l’État, au titre du budget 2020″.

Ce mercredi 17 avril, François-Henri Pinault a cependant annoncé que sa famille ne ferait “pas valoir l’avantage fiscal” auquel pouvait prétendre son don de 100 millions d’euros. “La famille Pinault considère en effet qu’il n’est pas question d’en faire porter la charge aux contribuables français”, indique dans un communiqué le président de la holding familiale et PDG du groupe de luxe Kering.

Toute la difficulté réside aujourd’hui dans le fait de savoir si les autres donateurs vont emboîter le pas à la famille Pinault ou bel et bien appliquer cette fameuse réduction fiscale, et ce alors qu’elles sont sous le feu des critiques depuis plusieurs jours. “Le plus simple (pour ces entreprises) serait déjà de payer leurs impôts, plutôt que de médiatiser des dons défiscalisés à 60%”, a lancé Manon Aubry, tête de liste La France insoumise pour les élections européennes.


“Nous devons nous réjouir de ce que des personnes physiques très nombreuses et parfois très modestes, que des personnes physiques moins nombreuses et parfois très riches, que des entreprises souhaitent participer à l’effort de reconstruction”, a fait savoir de son côté Édouard Philippe.

Le déficit public en passe de déraper? 

“S’ils sont capables de donner des dizaines de millions pour reconstruire Notre-Dame, qu’ils arrêtent de nous dire qu’il n’y a pas d’argent pour satisfaire l’urgence sociale”, a dénoncé le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez. 

De quoi entraîner un dérapage budgétaire alors que l’État doit déjà financer les 10 milliards débloqués en réponse à la crise des gilets jaunes? Le premier ministre Édouard Philippe a reconnu ce mercredi ne pas connaître le coût total de la reconstruction. 

Une chose est sûre, la reconstruction va impliquer des dépenses non négligeables pour les caisses de l’État. Quant aux particuliers donateurs eux-mêmes, ils devront non seulement mettre la main au portefeuille pour effectuer le don, mais également pour renflouer les caisses de l’État, dans le cadre de cette reconstruction. 

Or le drame de Notre-Dame de Paris intervient dans un contexte de maîtrise de la dépense publique. Selon le programme de stabilité, le déficit public français devrait rebondir à 3,1% cette année, après avoir été ramené à 2,5% en 2018. Un dérapage en partie imputable à la transformation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) en baisse de charges pérennes. Mercredi 10 avril, le Haut conseil des Finances publiques, chargé d’évaluer la crédibilité des prévisions budgétaires du gouvernement, avait jugé les hypothèses de Bercy “réalistes”. 

Afin de poursuivre ces efforts, Gérald Darmanin avait notamment mis en avant la suppression de certaines niches fiscales - ces dernières représentant un coût total de 100 milliards d’euros, selon les estimations de Bercy. Dans son projet d’allocution, le président de la République a évoqué une baisse “des impôts des classes moyennes”, sans plus de précisions, mais financée notamment par “la suppression de certaines niches fiscales” - une idée pourtant écartée dans un premier temps. Pas sûr qu’une telle mesure suffise à financer la reconstruction de la cathédrale.


- Source : HuffPost

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