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« Le Temps » dans la guerre contre la “désinformation russe”

Auteur : Ivo Rens | Editeur : Walt | Vendredi, 06 Janv. 2017 - 16h15

L’OTAN et l’Union européenne s’inquiètent toujours plus de l’influence croissante de la Russie dans le monde de l’information. Mais jusqu’ici, ces instances ont été impuissantes à remédier à ce que les dirigeants occidentaux tiennent pour une fâcheuse dégradation de l’opinion publique.

“Tandis que le modèle journalistique traditionnel des pays d’Europe occidentale traverse de graves difficultés économiques, les médias russes gagnent toujours plus de terrain. A la botte du Kremlin et régis par une organisation verticale quasi militaire, ils proposent un nouveau type de journalisme qui s’inscrit dans une stratégie générale de désinformation de l’opinion publique.” C’est par cette mise en contexte que débute un article intitulé “La nouvelle désinformation russe” paru dans Le Temps du 17 juin 2016 (*), et dû au talent de Luc Maffre, politologue.

Pour cet auteur, il est évident que l’ennemi russe a succédé à l’ennemi soviétique auquel il emprunte ses méthodes de désinformation, mutatis mutandis. Le succès des nouveaux médias russes s’expliquerait par leur habile utilisation de fausses rumeurs, par la dérégulation du marché de l’information due à la Toile et par le recours à des personnalités charismatiques comme Julian Assange, et Edward Snowden.

Dans un Editorial et un article de fond parus dans Le Temps du 28 décembre 2016 (**), Frédéric Koller surenchérit sur cette thématique. Citant un responsable de l’OTAN, il affirme que, “avec des médias traditionnels, les réseaux sociaux, des SMS et des trolls, la Russie, comme l’Etat islamique, tente de décrédibiliser les processus démocratiques.” Selon Frédéricc Koller, il ne s’agirait pas seulement de désinformation, mais d’une guerre hybride, “mélange d’opérations de terrain, de piratage informatique et de désinformation” en partie pilotée par le Kremlin, dans le but d’affaiblir l’Union européenne et l’OTAN en divisant leurs membres afin d’avantager les intérêts de la Russie. On serait donc bien en présence d’une stratégie militaire.

Les médias russes nommément visés sont Russia Today (RT) et Sputnik. Selon Koller et Maffre le Kremlin miserait, en Occident, sur le concours des partis et mouvances d’extrême droite et pourrait être intervenu aux Etats-Unis dans l’élection inattendue de Donald Trump. L’OTAN et l’Union européenne auraient bien tenté d’amorcer des stratégies de résistance, mais sans grand succès en raison des pièges inhérents à la contre-propagande. En définitive, conclut Frédéric Koller, “face à la propagande pilotée par le Kremlin avec de très gros moyens, on doit s’en remettre à la presse libre. C’est notre force et notre faiblesse”…

La faiblesse à laquelle songe l’auteur serait due à la crise du “modèle journalistique traditionnel” pour reprendre l’expression de Luc Maffre. Mais en réalité, elle est autrement profonde qu’il le croit car elle réside dans la servilité des Etats membres tant de l’UE que de l’OTAN et de nombre de journalistes occidentaux envers la ligne du politiquement correct que définissent les Etats-Unis et que propagent notamment les grandes agences de presse occidentales.

Frédéric Koller et Le Temps en sont des exemples frappants. Voilà un journaliste suisse s’exprimant dans un quotidien suisse qui, à aucun moment, ne songe à tirer avantage de sa situation de ressortissant d’un pays neutre n’appartenant ni à l’OTAN, ni à l’UE, bien qu’enclavé dans l’une et l’autre, pour prendre du champ par rapport au politiquement correct de ces deux instances.

Comme Luc Maffre, Frédéric Koller identifie implicitement la Russie à la défunte Union soviétique et fait l’impasse sur l’histoire des relations internationales intervenue depuis 1991. Or, n’est-ce pas les Etats-Unis et l’OTAN qui ont violé la Charte des Nations Unies et le droit international en entrant en guerre contre la Yougoslavie en 1999 ? Les Etats-Unis n’ont-il pas violé le droit international dans pratiquement tous les conflits qu’ils ont déclenchés depuis lors, notamment contre l’Irak en 2003 et contre la Lybie en 2011 ? Avec d’autres Etats membres de l’OTAN et du Golfe persique, n’ont-ils pas contrevenu au droit international dans les événements de Syrie en appuyant les “rebelles” et en les armant ? N’ont-ils pas fomenté le coup d’Etat en Ukraine en février 2014 ? N’ont-ils pas invoqué leur vocation exceptionnelle à diriger un monde unipolaire ? Pourquoi donc faire de la Russie le bouc émissaire ?

Quand des journaux se permettent, dans toutes circonstances, de ne présenter à leurs lecteurs qu’une version des événements, celle des puissances dominantes du moment, et de la ressasser nonobstant les témoignages concordants qui la contredisent, il n’est pas étonnant que leurs lecteurs les abandonnent progressivement. Et l’on ne prend pas grand risque en pronostiquant que leurs annonceurs les suivront tôt ou tard !

Au surplus, il y a, nous semble-t-il, à tout le moins une coupable légèreté à invoquer la stratégie militaire et la guerre de la désinformation prétendument menée par la Russie dans un contexte de relations internationales tendues au point que, depuis les présidences de G.W Bush et de Barack Obama, un conflit nucléaire apparaît malheureusement de moins en moins “impensable”.

L'auteur, Ivo Rens, Juriste et historien suisse, d’origine belge, professeur honoraire de l’Université de Genève, est l’auteur d’ouvrages sur l’histoire des idées politiques aux XIXe et XXe siècles.

Notes:

(*) https://www.letemps.ch/opinions/2016/06/16/nouvelle-desinformation-russe

(**) https://www.letemps.ch/opinions/2016/12/27/desinformation-fragilite-democraties


- Source : World Peace

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