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L'archevêque d'Alep en Syrie : l'incitation à l'immigration est "une déportation"

Auteur : Marion Duchêne | Editeur : Walt | Vendredi, 29 Janv. 2016 - 08h43

La 7ème Nuit des Témoins se tiendra ce vendredi soir à la cathédrale Notre-Dame de Paris. Milices armées, Bachar Al-Assad, immigration : Mgr Jean-Clément Jeanbart, archevêque d'Alep en Syrie, racontera la situation dans son pays. Il était notre Grand Témoin.

Alep, Mgr Jean-Clément Jeanbart la connaît bien. Et pour cause : il y a vu le jour  en 1943 au sein d'une famille grecque-catholique melktite de douze enfants. ordonnée prêtre en 1968 cela fait maintenant plus de 20 ans qu'il est archevêque d'Alep. Une ville de Syrie qui, il y a deux ans encore, était inaccessible. "C'était très difficile de se déplacer et de maintenir des liens avec l'extérieur", raconte-t-il, "désormais, nous pouvons maintenant sortir, il y a une route latérale qui nous permet d'aller jusqu'au Liban pour prendre l'avion, les lignes téléphoniques fonctionnent de nouveau, l'internet reprend". La vie quotidienne n'est pas pour autant meilleure : pas d'électricité, pas d'eau. "Notre eau vient de l'Euphrate, les canalisations ont été coupées par les rebelles", explique Mgr Jeanbart, "Alep est une ville de trois millions d'habitants, imaginez ce que c'est sans eau !". Autrefois, plus d'un million d'ouvriers travaillaient dans les usines, Alep étant la ville la plus industrialisée d'Orient. "Ces usines ont été rasées par les rebelles".

"De très bonnes relations avec les musulmans"

Pour autant, la moitié des chrétiens sont restés sur place. Du coup, explique l'archevêque d'Alep, "l'affluence est plus importante aux célébrations religieuses, les gens viennent plus qu'avant. Nous n'avons aucun problème à vivre notre vie religieuse là où il y a le gouvernement. Nous avons de très bonnes relations avec les musulmans. Ils représentent 80 % des habitants". Mgr Jeanbart souligne également que les écoles sont toujours debout, accueillant à la fois des élèves chrétiens et des élèves musulmans.

L'immigration : une Syrie vidée de ses "forces vives"

Quelques chiffres qui en disent long : avant le début de la guerre, la Syrie comptait 22 millions d'habitants. Aujourd'hui, 12 millions de personnes ont perdu leur logement. 8 millions ont été déplacées à l'intérieur du pays et 4 millions sont parties à l'étranger. "Devant cette grande catastrophe qu'est l'exode des chrétiens, il ne faut pas baisser les bras, même si on se demande toujours si tout le monde ne va pas partir", lance Mgr Jeanbart qui n'hésite pas à parler de "déportation". Et l'archevêque d'Alep d'expliquer : "Nous avons vu non seulement des gens partir, mais aussi des pays offrir le transport par avion gratuit, donner des visas à peine demandés... Tout à coup,  on les emmène, on prend les quelques forces humaines restantes... C'est comme si c'était une déportation". Un mot fort, que reprend à son compte le directeur général de l'AED en France, Marc Fromager : "Derrière ce mot, il y a l'action voulue et organisée de prélever de la Syrie les forces vives, on peut parler de rapt", ajoute-t-il, "La plupart des migrants arrivés cet été en Europe sont des hommes jeunes, qui pourraient reconstruire le Moyen-Orient, notamment la Syrie, lorsque la guerre sera terminée. Si tout le monde est parti, qui va reconstruire ce pays ? Le mot 'déportation' est fort mais correspond à la réalité".

Un complot occidental ?

Mgr Jeanbart, lui, va plus loin et s'interroge : "C'est la première fois de l'histoire que des centaine de milliers de personnes se déplacent comme ça, sous les yeux de la Turquie qui avait les moyens de les empêcher de passer. Cela justifiait auprès de l'opinion publique un silence et un laissez-faire face à d'éventuelles frappes", souligne l'archevêque d'Alep, "je suis de plus en plus persuadé qu'il y avait un complot pour justifier une intervention militaire musclée en Syrie. Un complot des Etats-Unis, de l'Europe, de l'OTAN. Mais la donne a changé avec l'intervention soudaine russe, ils ont été pris de court". Mgr Jeanbart le répète, il ne s'agit là pas d'une information mais d'une opinion personnelle. Il rappelle également que le pape François a, dès le début du conflit, été très positif envers la Syrie en demandant qu'il n'y ait pas de frappes. "Il a toujours poussé à une solution politique". Revenant sur la situation des migrants, il rappelle les deux points de vue. Le point de vue occidental d'abord : "Si des réfugiés arrivent, il faut les accueillir, on ne peut pas les laisser dans leur souffrance et leur désarroi". Le point de vue syrien, ensuite : "De notre côté, partir fait du tort au pays et aux immigrants eux-mêmes, car ils rêvent d'un monde meilleur. Ce monde meilleur, s'il y a des réformes dans le pays, ils l'auront sur place, peut-être mieux qu'en Europe".


Mgr Jeanbart et Marc Fromager

Pourparlers : "un signe d'espoir et de sérieux dans la recherche d'une solution politique"

Évoquant les discussions politiques : "Je trouve que la solution politique serait que tout le monde mette un peu d'eau dans son vin, on ne peut pas parler de vin avec nos frères musulmans qui ne boivent pas, c'est une expression", explique dans un sourire Mgr Jeanbart, "il faut que l'on trouve un dénominateur commun qui puisse mettre à l'aise tout le monde". Il explique : "Le gouvernement syrien refuse absolument que le dénominateur commun soit religieux, confessionnel. Il tient à un pays laïc, non dans le sens opposé à l'islam ou au christianisme, mais laissant le domaine religieux dans le privé, séparé de la politique". L'opposition rebelle n'est évidemment pas d'accord. Pour l'Archevêque, le Président Bachar Al-Assad n'est donc pas le problème. Opinion partagée par Marc Fromager : "C'est aux Syriens de décider", dit-il, "vu la dangerosité de l'Etat Islamique qui commence à se retourner contre ses parrains originaux -  locaux comme l'Arabie Saoudite, le Qatar, la Turquie ou occidentaux comme les Etats-Unis, la France et l'Allemagne - et avec l'intervention russe qui redistribue les cartes dans la région, on peut espérer qu'un jour tout le monde se mettra d'accord sur la nécessité de réduire sérieusement la capacité de nuisance des l'EI, mais pour le moment nous n'y sommes pas encore... Si l'on voulait vraiment mettre fin à cette guerre, la seule solution est pour le moment le scénario russe, défendre l'Etat syrien, d'attaquer l'ensemble des rebelles, y compris les pseudo-modérés qui n'existent pas".

Pire sans Bachar Al-Assad ?

Mgr Jeanbart défend, lui aussi, le maintien de la structure politique actuelle : "En maintenant le gouvernement, l'armée, l'Etat, on sauvegarde le pays d'une guerre civile. Si le régime coulait, le Président s'en allait, ce serait une infinité de guerres locales partout. Les gens s'entre-tueraient. Ce serait terrible. Bachar Al-Assad n'est pas seulement une personne, un symbole, il a toute une population derrière lui... Il faut donner la possibilité à la Syrie de continuer à vivre. Si la Syrie n'est plus gouvernable, les pays limitrophes pourront prendre une partie du pays et faire ce qu'ils veulent. Il faut éviter le chaos. Sans ça, vous n'aurez plus de chrétiens, de minorités, il y aura des atrocités".


- Source : Radio Notre Dame

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