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De la valse à trois temps à la théorie des trois « E »

Auteur : Guillaume Berlat | Editeur : Walt | Mardi, 03 Nov. 2015 - 18h52

L’Histoire serait-elle un éternel recommencement ? Nous serions tentés de le croire à la lumière des récents actes de contrition de Barack Obama et de Tony Blair sur l’Afghanistan et l’Irak. Bien sûr, mieux vaut tard que jamais. Mais, l’affaire ne manque pas de sel s’agissant de deux Etats toujours prompts à administrer urbi et orbi leçons de morale et de droit international. En replaçant ces faits mineurs dans leur contexte global et dans le temps long, un constat s’impose à l’observateur critique : l’existence d’une sorte de valse à trois temps : erreurs, excuses, égarements.

Le temps des erreurs : errare humanum est

Le début du XXIème siècle constitue une « sorte de Bérézina de l’interventionnisme occidental autoproclamé » (Hubert Védrine). On connaît les conditions dans lesquelles George W. Bush engage, après les attentats du 11 septembre 2001, les Etats-Unis ainsi que ses partenaires de l’Alliance Atlantique (pour la première fois en dehors d’Europe) à faire la guerre contre le terrorisme sur le sol afghan pour y chasser les Talibans qui avaient pris le pouvoir à Kaboul. Force est de constater que si le diagnostic est faux, le traitement le sera tout autant. Quatorze ans après, les Américains et leurs alliés abandonnent l’Afghanistan en proie à de multiples convulsions et à un retour annoncé des Talibans. Tout ça pour ça, est-on tenté de dire ! On connait les conditions dans lesquelles Tony Blair s’associe à l’alliance hétéroclite (sans participation française mais avec force french bashing) mise sur pied en 2003 pour chasser du pouvoir Saddam Hussein accusé de détenir illégalement des armes de destruction massive (que personne n’a jamais trouvées en Irak) et d’avoir partie liée avec Al-Qaïda (dont on ne trouve aucune trace). Dix ans après Américains et Britanniques abandonnent un pays à feu et à sang, une sorte d’Etat failli miné par un conflit entre Chiites et Sunnites et un irrédentisme kurde. Pourquoi un tel aveuglement, est-on tenté de dire ! Dans ces deux cas, l’histoire immédiate se termine en forme d’épilogue tragique.

Le temps des excuses : mea culpa

Faute avouée est à moitié pardonnée, dit l’adage. Les semaines se suivent et se ressemblent à Washington et à Londres. Afin de gommer les effets négatifs des versions contradictoires présentées par l’exécutif américain au sujet du bombardement de l’hôpital de MSF à Kunduz (Afghanistan) par son aviation le 3 octobre 2015, le président Barack Obama présente ses excuses à la présidente de MSF International, Joanne Liu, à l’occasion d’un entretien téléphonique du 7 de ce même mois. Rappelons que l’ONG humanitaire qualifie cette attaque de « crime de guerre » et que le haut-commissaire des droits de l’homme de l’ONU n’écarte pas a priori cette qualification. Le drame de Kunduz illustre la faiblesse du pouvoir à Kaboul et le désarroi américain. Quelques semaines plus tard, c’est au tour de Tony Blair de présenter des excuses, toutes relatives, sur la guerre conduite en Irak en 2003. Il admet que les renseignements concernant les prétendues armes de destruction massive sur lesquels s’est fondée cette intervention armée étaient erronés. Et fait également acte de contrition sur « certaines erreurs de planification et, sûrement, une erreur quant à notre compréhension de ce qui allait se produire une fois le régime renversé ». Il ajoute toutefois qu’il ne s’excusera pas d’avoir chassé le dictateur Saddam Hussein. On voit ce qui motive ce mea culpa : la publication imminente des résultats de l’enquête lancée en 2009 sur la guerre en Irak. L’Occident n’est plus ce « cap » de l’humanité dont Jacques Derrida parlait naguère.

Le temps des égarements : perseverare diabolicum

A trop vouloir jouer les bons élèves de la classe, Américains et Britanniques jouent les cancres. Ils ont soif de corriger leurs erreurs, un temps confessés, par des égarements. Pour la deuxième fois depuis le début du mois d’octobre, un hôpital géré par l’ONG Médecins sans frontières (MSF) est touché par des frappes aériennes sur un terrain de conflit. Après l’hôpital de Kunduz, en Afghanistan, c’est un établissement situé dans le nord du Yémen qui est atteint par des raids de la coalition arabe dirigée par l’Arabie Saoudite. Or, tout le monde sait que cette coalition tient ses renseignements des Etats-Unis. Comment expliquer ce nouveau « crime de guerre »? Par l’inconsistance du renseignement américain alors que les coordonnées GPS de cet hôpital étaient connues des intéressés ou bien par mansuétude à l’égard de l’allié saoudien? Les Britanniques sont de retour sur le sol irakien mais aussi syrien. Que découvre-t-on à la faveur du débat sur la légalité des frappes françaises en Syrie contre un de ses ressortissants suspecté d’activité terroriste conduite au titre de la légitime défense collective (article 51 de la charte de l’ONU)? Londres procède déjà à des « assassinats extrajudiciaires » (au titre de la légitime défense collective) dans cette zone gangrénée par l’EIIL tout en informant a posteriori l’ONU. En effet le 8 septembre 2015, le gouvernement britannique annonce l’élimination de deux citoyens britanniques, Reyaad Khan et Ruhul Amin, par la Royal Air Force le 21 août en Syrie. A quoi bon la puissance, si l’on ne sait pas la tempérer ?

« Le corbeau, honteux et confus, jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus ».

La morale de la fable du corbeau et du renard de Jean de la Fontaine n’a pas pris une seule ride. S’il est heureux, que ces deux hauts responsables politiques, touchés par la grâce, confessent qu’ils se sont trompés, il le serait plus encore s’ils tiraient toutes les conséquences de leur lucidité, un temps retrouvé, pour sauver ce qui peut encore l’être. L’exercice se fait sur les mots, par sur leur contenu. En même temps qu’elle est l’illustration de l’érosion de l’empreinte anglo-saxonne au Proche et Moyen-Orient, cette affaire constitue le révélateur d’une nouvelle théorie des relations internationales fondée sur l’observation de la pratique, celle des trois « e » : erreurs, excuses, égarements !


- Source : Guillaume Berlat

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