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Grèce : la vérité sort de la bouche de «Foreign Affairs »

Auteur : Bruno Adrie | Editeur : Walt | Mercredi, 22 Juill. 2015 - 17h43

Dans un article de Mark Blyth intitulé « A Pain in the Athens: Why Greece Isn’t to Blame for the Crisis” et publié le 7 juillet 2015 dans le magazine Foreign Affairs, on découvre des affirmations surprenantes, d’autant plus surprenantes quand on sait que ce magazine est publié par le Council on Foreign Relations qui réunit l’élite américaine, l’élite bancaire new-yorkaise y étant majoritairement représentée (voir à ce sujet : Laurence H. Shoup and William Minter, Imperial Braintrust : The Council on Foreign Relations and United States Foreign Policy, 1977).

Selon l’auteur « la Grèce a peu de choses à voir avec la crise qui porte son nom.» Et pour nous le faire comprendre, il nous invite à « suivre l’argent et ceux qui l’encaissent. » Selon lui, les origines de la crise ne sont pas à chercher en Grèce mais « dans l’architecture du système bancaire européen. » En effet, pendant la première décennie de l’euro, les banques européennes, attirées par un gain facile, ont accordé des prêts massifs dans ce que l’auteur appelle « la périphérie européenne » et, en 2010, en pleine crise financière, les banques avaient accumulé un volume d’actifs périphériques dégradés (« impaired periphery assets”) correspondant à une valeur de 465 milliards d’euros pour les banques françaises et de 493 milliards d’euros pour les banques allemandes. « Seule une petite partie de ces dettes étaient grecques » mais le problème et qu’en 2010 la Grèce a affiché un budget révisé de 15% de son PIB. Pas de quoi paniquer dans l’absolu car ça ne représentait que 0,3% des PIB réunis de l’Eurozone. Mais, à cause de leurs placements périphériques et surtout d’un taux de leviérisation* deux fois plus élevé – donc deux fois plus risqué – que celui des banques américaines, les banques européennes ont eu peur qu’un défaut grec ne provoque leur effondrement. Voilà donc ce s’est vraiment passé. L’insatiable voracité des banques les a conduites à commettre, comme d’habitude, de graves imprudences et, n’acceptant pas, comme d’habitude, leur échec, elle ont arrangé les choses pour que d’autres paient les pots cassés. Rien de nouveau sous les cieux dorés de la Haute Banque sauf que, là, c’est allé un peu plus loin que d’habitude.

Ces banques ont donc mis en place le programme de la Troïka afin d’éviter une panique bancaire du marché obligataire (« bond market bank run »). Et qu’importe si ça a fait monter le chômage à 25% et détruit le tiers du PIB du pays. Les banquiers ne sont pas à ça près.

Voici donc à quoi ont servi les plans de sauvetage. Apparemment destinés à la Grèce, ils ont été élaborés par et pour les grandes banques européennes. Aujourd’hui, la situation est telle que, compte tenu du fait que les Grecs ne peuvent plus financer les banques françaises et allemandes, même les contribuables européens sont sollicités.

La Grèce n’a fait que jouer le rôle de conduit pour un sauvetage des banques françaises et allemandes notamment. Sur le total de 203 milliards d’euros correspondant à la somme des deux plans de sauvetage (2010-2013 et 2012-2014), 65% ont atterri directement dans les coffres des banques. Certains vont même jusqu’à affirmer que 90% des prêts ne sont pas passés par la Grèce. Cette approche, exprimée dans les colonnes de Foreign Affairs ne peut rien avoir d’hétérodoxe. Elle est même confirmée par l’ex-chef de la Bundesbank, Karl Otto Pöhl, qui a admis que le plan de sauvetage avait eu pour fonction de sauver les banques et spécialement les banques françaises de leurs dettes pourries.

Alors, en dépit du fait que l’Allemagne a fait défaut sur ses dettes quatre fois au XXème siècle, elle continuera d’insister pour que la Grèce paie, avec le soutien de la France. N’en déplaise à l’ignorant et prolixe French philosopher dont tout le monde connaît le décolleté mais que personne ne veut plus entendre, François Hollande n’a pas été généreux avec la Grèce. C’est bien le contraire qui s’est produit, c’est la Grèce qui a été généreuse, et contrainte de l’être, envers les banques françaises, avant que ces mêmes banques françaises ne fassent appel au contribuable français au moment où celui-ci fête sa révolution, la tête pleine d’un feu d’artifice d’idées préconçues.

Mark Blyth termine son article en disant ce que Frédéric Lordon a développé dans le détail dans son article « Le crépuscule d’une époque », c’est-à-dire que la Banque Centrale Européenne ne joue pas son rôle de banque centrale et qu’elle agit encore moins comme banque indépendante politiquement.

Selon lui, nous n’avons jamais compris la Grèce parce que nous avons refusé de voir cette crise comme ce qu’elle est en substance : une continuation du plan de sauvetage des banques privées qui a commencé en 2008. Changement dans la continuité.

On se demande comment les Français, qui sont si savants et si prompts à donner leur opinion car ils savent tout sur tout, peuvent continuer de supporter les vociférations démentes des donneurs de leçons du petit monde journalistique parisien tels que décrits par l’excellent Pierre Rimbert, dans son article « Syriza delenda est » du Monde diplomatique de juillet 2015. Plutôt qu’enterrer la Grèce, on ferait mieux de se débarrasser des gueules tordues par l’orgueil des Demorand, Elkabbach, Giesbert, Baverez, Barbier, Aphatie et autres, en les envoyant déblatérer dans le désert au milieu des scorpions traîtres et des serpents venimeux qui sont leurs frères respectables et muets.

* Une définition de la leviérisation est donnée par Frédéric Lordon dans l’article « Si le G20 voulait… » de son blog du Monde diplomatique « La Pompe à phynance » : « La leviérisation, qui consiste en tous les procédés permettant de prendre des positions au­delà des seules ressources propres de l’investisseur, est un fléau. » Elle a, « pendant la bulle, l’« excellente » propriété de dégager des rentabilités financières démultipliées (…) Elle a aussi « malheureusement l’inconvénient symétrique de démultiplier les pertes à la baisse. »


- Source : Bruno Adrie

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