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La diplomatie du Vatican s'est réveillée. Peut-elle jouer un rôle dans les conflits du monde?

Auteur : Henri Tincq | Editeur : Walt | Mercredi, 04 Juin 2014 - 23h23

A la différence de Benoît XVI, son prédécesseur, le pape François s’est entouré au Vatican d’un secrétaire d’Etat —à la fois Premier ministre et ministre des affaires étrangères— qui est un vrai professionnel de la diplomatie. Le cardinal italien Pietro Parolin, 59 ans, issu de l’Académie ecclésiastique pontificale (qui forme les diplomates de l’Eglise), ancien nonce (ambassadeur) en Afrique et en Amérique latine, a succédé en octobre dernier au cardinal Tarcisio Bertone. Le numéro deux de Benoît XVI n’avait jamais exercé de fonction diplomatique et porta toujours comme un péché le fait de n’être pas issu du sérail. Son amateurisme en avait fait l’un des acteurs et responsables du scandale Vatileaks en 2012.

En un an, le changement de pape et de secrétaire d’Etat a redonné des couleurs à la politique étrangère du Vatican. Appuyée sur un réseau de près de 180 ambassadeurs —autant que de pays avec lesquels le Vatican entretient des relations diplomatiques, la diplomatie de l’Eglise fait un grand retour sur la scène internationale. Très politique et bien dosé, le récent voyage du pape argentin en Jordanie, dans les territoires palestiniens et en Israël a révélé un homme habile, engagé au cœur des dossiers les plus brûlants. Au mois d’août, son prochain déplacement, en Asie, le plongera cette fois dans les conflits de la péninsule coréenne.

En Israël et en Cisjordanie, le pape jésuite a invité —initiative sans précédent— les présidents israélien et palestinien, Shimon Peres et Mahmoud Abbas, à une réunion commune de … prières, dans ce qu’il a appelé sa «maison» de Rome!  La «maison» est un concept qui plait à Rome, synonyme de convivialité là où ne règnent que les rapports de force.

Le pape ainsi sort l’arme spirituelle au service d’une relance de la négociation entre Israël et la Palestine. La surprise est que sa proposition a été acceptée sur le champ. La rencontre à trois (pape François, Shimon Peres et Mahmoud Abbas) aura probablement lieu le 7 juin au Vatican et ne manquera pas d’allure.

Il ne faut cependant pas se bercer d’illusions. Shimon Peres est en fin de mandat (juillet) et il n’est pas l’acteur principal d’une négociation qui a échoué, en avril dernier, devant le refus palestinien de reconnaître le caractère juif de l’Etat hébreu. C’est le Premier ministre, Benjamin Netanyahou, qui en est le maître et il s’est montré très réservé devant l’initative du Vatican. Celle-ci n’en reste pas moins audacieuse.

L’idée de faire prier ensemble, au centre mondial du catholicisme, deux personnalités juive et musulmane peut sembler naïve au regard des conflits passés, de l’imaginaire des croisades et de l’Inquisition et de la pression des extrémismes religieux. Mais le pape jésuite reprend ce rôle international qu’avait joué le Polonais Jean Paul II sur la scène européenne. Il rêve de refaire du «siège de Pierre» (Vatican) la «maison ­commune» de l’humanité.

Contre l'instrumentalisation politique de la religion

En Terre sainte, le pape Jorge-Mario Bergoglio a ajouté deux gestes, aussi surprenants —et inédits pour un pape— que symboliques. Près de Bethléem (Cisjordanie), il s’est recueilli, debout et en silence, devant le fameux «mur» de sécurité construit par Israël qui enclave les territoires palestiniens. Il y a posé la main et le front, comme font les croyants juifs au … mur des lamentations de Jérusalem! Par ce geste démonstratif —imprévu au programme et critiqué par les extrémistes juifs—, le pape a tenté d’interpeller le fond de la conscience israélienne.

En contrepartie, il s’est aussi incliné, à Jérusalem, devant le mémorial des victimes israéliennes du terrorisme et, au Mont-Herzl, devant la tombe du fondateur du sionisme, Theodor Herzl. Ces deux gestes illustrent parfaitement l’équilibre de la position du Vatican dans ce conflit: la reconnaissance du droit des deux Etats, israélien et palestinien, à exister et à jouir de la paix et de la sécurité dans des frontières internationalement reconnues.

Le pape jésuite aime se définir comme «un po furbo» (un peu rusé). Il avait dit que son voyage au berceau des trois religions monothéistes serait «strictement religieux». En fait, dans une région également déchirée par l’ancestral conflit entre l’axe chiite et l’axe sunnite de l‘islam (en Irak, en Syrie, au Liban), il a multiplié les interventions politiques, dénoncé la répression et la guerre en Syrie, accusé la poursuite de la colonisation israélienne, réclamé le libre accès aux lieux saints de Jérusalem pour les chrétiens et les musulmans, stigmatisé l’antisémitisme, l’extrémisme religieux et l’instrumentalisation politique de la religion.

Une diplomatie pour les «périphéries»

«Le pape fait de la religion une partie de la solution, quand elle est perçue par tout le monde comme une complication», explique un prêtre palestinien au New York Times. Cet homme, venu d’Amérique latine, porte une vision globale du monde dans laquelle, contrairement à celle de ses prédécesseurs, l’Europe n’occupe plus le centre.

Pour lui et pour son secrétaire d’Etat Pietro Parolin, l’Eglise doit «sortir d’elle-même et aller vers les périphéries», engager une «culture du dialogue», s’impliquer plus directement dans les affaires internationales. Les audiences privées du pape avec les dirigeants politiques ponctuent son agenda quotidien et le réseau des ambassadeurs de la «multinationale» Eglise est beaucoup plus souvent sollicité qu’autrefois par la «secrétairerie» d’Etat.

Sur l’île de Lampedusa, il y a près d’un an, le pape François avait déjà secoué l’opinion en dénonçant la «mondialisation de l‘indifférence» devant les tragédies meurtrières de l’immigration en Méditerranée. Depuis, il a fait du trafic des êtres humains un thème répété de ses interventions. «Il se préoccupe de ceux qui souffrent. Il développe une diplomatie pour les pauvres et les pays en difficulté», souligne Marco Impagliazzo, président de la communauté de Sant’Egidio, cellule «officieuse» de la diplomatie vaticane, très active en Afrique et dans les conflits.  

Lorsque le pape reçoit début mai en audience privée Martin Schulz, président du Parlement européen, ce n’est pas pour discuter des racines chrétiennes de l‘Europe, mais pour l’interroger sur ce que fait l’Europe pour les migrants et contre le chômage des jeunes.

De même, la menace de frappes occidentales en Syrie, début septembre 2013, avait-elle donné lieu à une offensive diplomatique visible et coordonnée: une journée de jeûne et de prières à Rome, mais aussi une proposition de règlement présentée devant 71 ambassadeurs à Rome le 5 septembre, puis l‘envoi d’une lettre du pape à tous les pays du G20. Soit une implication dans un conflit proche-oriental qui n’avait pas été remarquée depuis celle de Jean-Paul II en 2003 contre l’intervention américaine et la guerre en Irak.

«C’est le réveil de la Belle au bois dormant», dit un ambassadeur européen à propos de ce dynamisme renaissant de la politique étrangère du Vatican, traditionnellement réputée pour son savoir-faire et son professionalisme dans les conflits européens ou l’éveil de pays, en Asie, en Amérique latine, en Afrique, écrasés par la misère ou la dictature.

Brillante, mais souvent inefficace sous Pie XI dans l’entre-deux-guerres, sous Pie XII et Jean Paul II, elle s’était assoupie sous Benoît XVI. Si on doute que Rome puisse se faire entendre aujourd’hui au Proche-Orient, le rôle désormais joué par les religions dans les conflits du monde lui assigne une double responsabilité: peser sur les dirigeants pour sortir des impasses politiques et combattre le fanatisme religieux et la violence odieusement commise au nom de Dieu.


- Source : Henri Tincq

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