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Etats en crise: le monde entre chaos et dictatures

Auteur : AgoraVox | Editeur : Rémi | Mercredi, 26 Févr. 2014 - 19h43

Les crises s’enchaînent depuis 2007, révélant des instabilités et autres déséquilibres dans les deux secteurs déterminants de l’activité humaine, l’économie et le politique. Mais 2014 ne ressemble pas à 1914. Les ensembles humains ne sont pas aussi statiques qu’à l’époque des Empires et des Etats-Nations avec des blocs délimités et le sentiment national qui dominait. Les tensions contemporaines sont plus le fait d’antagonismes économiques et de compétitions à la fois pour produire mais aussi et surtout pour capter les richesses du monde. Le naturel humain est revenu au galop comme le dit si bien la formule. Mais l’humain a-t-il vraiment dépassé le naturel ? Il l’a cru avec les lubies des Lumières métamorphosées le siècle suivant en illusions internationaliste. Genre humain, et merde, le genre m’emmerde ! Le genre déterminant, c’est le genre prédateur, cupide, dans un monde où la compétition naturelle ne vise pas les ressources alimentaire mais plutôt des ressources dites naturelles et géophysiques, parce qu’elles sont nécessaires au fonctionnement de la production et qu’elles représentent une valeur. La ressource universelle que se disputent les hommes, c’est l’argent et le profit. Dans la jungle darwinienne post-moderne, les chasseurs cueilleurs ne vont pas dans les forêts mais plutôt dans les salles de marchés, chez les notaires, les cabinets des maires, les banquiers ou les dealers et partout où il est possible de faire des transactions juteuses.

Elargissons le tableau avec quelques clichés sur la prédation. D’abord celle qui se déroule dans les Etats démocratique, avec les règles du marché habilement utilisées, parfois à la limite de la légalité. Les subprimes américaines par exemple, ou la spéculation foncière organisée par l’Etat français avec des règles fiscales ou des décisions dans les zones constructibles. Des fortunes se font et d’échangent. C’est le capitalisme oligarchique dans l’Etat de droit. Dans d’autres pays, la confiscation des richesses se fait de manière institutionnelle, avec l’Etat dictatorial. Avec des spécialités locales. Les classiques républiques bananières en Afrique mais aussi tous les régimes autoritaires dans les anciennes républiques soviétiques d’Asie, de l’Azerbaïdjan au Turkménistan. Le troisième mode de prédation financière est incarné par le crime organisé, mafias et gangs, avec des spécialités locales, en Colombie et Mexique, en Afrique où au sud de la Libye d’intenses trafics se déroulent. En Europe aussi, des structures locales, la mafia au sud de l’Italie et le crime organisé dans les pays balkaniques après la fin de la Yougoslavie. Plusieurs spécialités, la prostitution, la drogue, la contrefaçon, l’évasion fiscale, le tout avec des règles strictes mais pas celles de l’OMC et des centaines de milliards d’euros pour les acteurs de cette économie illégale. Mais qui souvent bénéficie des structures politiques locales, voire nationales. Dans les dictatures comme on le sait mais aussi dans les démocraties.

Le sort des Etats est central à notre époque. On observe que parmi les Etats, certains s’effondrent alors que d’autres se renforcent mais en devenant autoritaire. Un Etat absent permet des tas de trafics et favorise l’implantation du crime organisé. On le constate dans quelques pays, nord du Mali, Libye, Irak. Même dans les Etats forts et démocratique, le crime a une place mais bien plus réduite. Dans les dictatures, on pourrait dire que le crime est organisé par l’Etat.

A moins de vivre dans une caverne, le sort de l’Etat au 21ème siècle devrait être un des thèmes majeurs de réflexion philosophique. L’Etat est à la base de la philosophie politique moderne et occidentale. L’Etat moderne est né en Europe, il a subit des métamorphoses, a engendré des tragédies, s’est relevé, a permis le développement des société, organisé le vivre ensemble. Une idée erronée traîne autour de l’Etat qui est considéré comme une structure de pouvoir qui asservit les peuples. Pourtant, on constate que lorsque l’Etat est déficient voire absent, les pays sont livrés au chaos et à la domination des puissants et des clans armés en se livrant à divers trafics. Les Etats qui s’effondrent rapidement sont visibles dans les médias. Inutile de rappeler les événements en Ukraine causés par trois facteurs. L’Etat soviétique a disparu, les oligarques ont pris le pouvoir, le peuple est divisé. Il est trop facile d’accuser le capitalisme. L’unité d’un pays suppose que ses habitants partagent l’idée d’un vivre ensemble mais aussi se soutiennent mutuellement. Le cas de l’Italie est emblématique. L’égoïsme régionaliste a pris l’ascendant. Les régions du nord ne veulent plus payer pour un sud moins industrialisé. C’est le même cas de figure en Ukraine. Les travailleurs de Donetsk, région industrielle, ne veulent pas payer pour l’Ukraine de l’Ouest, moins riche. Le travailleur de Donetsk gagne peu, enrichit les oligarques mais il peste contre les « fainéants » qui étudient à Kiev. En France, les bonnets rouges réunissent patrons et employés dans une fronde régionaliste.

Les Etats modernes sont nés en Europe entre les 16ème et 17ème siècles. Les Nations se sont unifiées au 19ème siècle autour de l’Etat. Les Nations européennes se sont déchirées au 20ème siècle. Les Etats se sont reconstitués après 1945. A partir de 1990, les Etats ont commencés à se décomposer, parfois brutalement en Asie soviétique, à l’Est européen, en ex-Yougoslavie, parfois lentement et de manière ambiguë dans les démocraties de l’Ouest. L’Etat a perdu son autorité dans bien des domaines mais dans le champ sécuritaire, l’Etat devient autoritaire. L’éducation nationale dépérit mais la police envoie ses chiens pour traquer les possesseurs de cannabis dans les transports en commun. Le processus « de décomposition républicaine », amorcé sous Sarkozy, Chatel et Hortefeux, se poursuit avec Hollande, Valls et Peillon. La politique marquée par le pacte d’irresponsabilité auquel s’ajoutent les mouvances communautaires, sectaires, intégristes, régionalistes, les lobbys, les mafias locales, les corporatismes. Et comme ça ne suffisait pas, l’Etat est devenu autoritariste mais aussi bureaucratique, instaurant une dictature des normes. L’Etat républicain remplacé par les normes, les évaluations, les chiffres. Et pour faire ces calculs, des centaines de structures, missions, hauts conseils, comités, hautes autorités, etc.

L’affaiblissement républicain et social de l’Etat va de pair avec l’accroissement des tendances autoritaires de l’Etat. On observe ce processus dans la plupart des pays occidentaux. Ce n’est pas tant l’économie que l’Etat qui est en crise. Partout dans le monde et quelle que soit sa nature. En ce moment, la Turquie, le Venezuela, la Thaïlande, l’Argentine, le Mexique mais aussi l’Inde, le Pakistan, pour ne parler que de quelques nations où existent des procédures démocratiques. Dans les dictatures d’Afrique et d’Asie, les dirigeants craignent l’effet domino avec le printemps arabe et la révolution en Ukraine. Les crises des Etats sont en ce sens emblématiques de la fin de la Modernité, si l’on convient que l’Etat tel qu’on le connaît depuis deux siècles est une invention moderne.

La crise de l’Etat moderne annonce peut-être la fin de la Modernité. Ce qui ne signifie par la fin de l’Etat mais un nouvel ordre politique avec un Etat post-moderne inséré dans une société où l’on ne sait pas encore quels seront les contours sociaux, culturels, humains et techniques. Pour l’instant, deux tendances prédominent, vers le chaos et vers l’ordre sécuritaire et technique avec deux variantes, démocratique ou autoritaire. Ces tendances ont comme ressort la captation (légale et parfois illégale) des richesses par divers groupes, oligarchies, élites, capitalistes, affairistes, opportunistes, mafias, gangs, classes sociales. Alors qu’une frange de population est exploitée ou délaissée.

Dans ce contexte, on observe des prises de conscience sur la situation, le progrès, les dangers de la technique, les illusions de l’économie. Une intelligence nouvelle se dessine avec là aussi la fin de la science moderne comme référentiel et la découverte d’un nouveau sens pour la nature univers. Un émerveillement. A l’autre extrémité, la bêtise s’accroît. Les Etats sont en crise, le chaos nous guette mais certains proposent de lutter contre le réchauffement climatique. La bêtise est décidément sans limites. Et l’époque dangereuse mais intéressante à plusieurs égards. Le défi, ce n’est plus tant faire progresser le monde que le préserver, voire le sauver. Il y a du boulot !


- Source : AgoraVox

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