Répression égyptienne de la Marche mondiale vers Gaza

Vendredi, quelque 200 participants à la Marche mondiale vers Gaza ont été arrêtés à un checkpoint de sécurité à l’extérieur du Caire, en Égypte, alors qu’ils se rendaient à Ismaïlia, une ville située sur le canal de Suez, à 130 km à l’est du Caire. Après avoir été retenus au checkpoint pendant plusieurs heures et avoir vu leurs passeports temporairement confisqués, les manifestants ont été physiquement traînés dans des bus par des agents de sécurité en civil qui les ont ramenés au Caire. D’autres participants qui ont réussi à atteindre l’hôtel à Ismaïlia ont été arrêtés de la même manière, certains ont été battus et forcés à monter dans des bus pour retourner au Caire.
Les autorités égyptiennes répriment des centaines de militants internationaux arrivés dans le pays pour participer à une marche prévue vers le poste-frontière de Rafah et appeler à la fin du blocus d’Israël sur Gaza.
Ce mouvement populaire, baptisé «Marche mondiale vers Gaza», a multiplié les demandes d’autorisation auprès des ambassades égyptiennes à l’étranger dans les jours et les semaines qui ont précédé l’action prévue pour traverser le Sinaï et se rassembler à Al-Arish pour la marche. Mais, selon les organisateurs, l’Égypte a refusé d’autoriser la manifestation et les participants de 80 pays arrivés au Caire cette semaine ont été victimes de descentes dans les hôtels, de harcèlement, d’arrestations et d’expulsions.
Le groupe présent à Ismaïlia prévoyait de se rassembler dans un hôtel pour «évaluer la situation et discuter de la marche à suivre» en l’absence d’autorisation des autorités égyptiennes, a déclaré Melanie Schweizer, avocate allemande et principale organisatrice de la marche, à Drop Site. Une vidéo prise sur place montre une scène chaotique où des bouteilles d’eau et des objets sont lancés sur la foule par des personnes que les participants décrivent comme des «sbires» payés par le gouvernement égyptien.
Une publication partagée par @landpalestine : «Nous avons été transparents dès le départ» a déclaré Mme Schweizer à Drop Site. «Nous avons sollicité des réunions avec les autorités égyptiennes, soumis des documents et avons même été remerciés par des diplomates en Allemagne pour nos démarches. Aujourd’hui, nous sommes traités comme une menace».
Parallèlement à l’arrivée des manifestants au Caire, un convoi de plusieurs milliers de personnes a quitté l’Algérie en début de semaine, traversant la Tunisie et l’ouest de la Libye et regroupant des personnes en chemin. Le convoi «Sumoud» (convoi des déterminés) avait pour objectif d’atteindre l’Égypte avant le 15 juin afin de rejoindre la Marche mondiale vers Gaza, mais il a été arrêté le 12 juin dans la ville de Syrte par les autorités contrôlant l’est de la Libye.
Les manifestations prévues, auxquelles devaient participer plus de 3000 personnes, auraient été parmi les plus importantes actions visant à briser le blocus de Gaza. Cette semaine, un bateau de la Freedom Flotilla transportant des militants et de l’aide humanitaire à destination de Gaza via la Méditerranée, a été intercepté par la marine israélienne et conduit au port d’Ashdod où les participants ont été arrêtés et certains expulsés par la suite.
Les autorités égyptiennes ont déclaré que leurs actions de cette semaine sont motivées par des considérations juridiques et sécuritaires, malgré les antécédents de répression politique extrême du pays.
«Ils sont venus avec des visas touristiques, pas dans le cadre de missions humanitaires ou diplomatiques», a déclaré Tamer El Shihawy, un officier des services du renseignement militaire à la retraite et ancien membre du Parlement égyptien. «Quand ils ont dit qu’ils étaient ici pour une marche, cela violait les conditions de leur visa. Cela n’aurait pas été autorisé ni au Royaume-Uni ni aux États-Unis».
El Shihawy a également invoqué l’instabilité dans le Sinaï, où une insurrection de faible intensité menée par des militants locaux sévit depuis des années, pour justifier le blocage du convoi.
«Laisser des milliers d’inconnus traverser le Sinaï, l’une des zones les plus sensibles et les plus militarisées de la région, revient à franchir une ligne rouge», a-t-il déclaré. «Nous ne savons pas qui ils sont, ce qu’ils transportent ni quelles sont leurs idéologies. C’est une question de sécurité nationale».
L’Égypte reste liée aux accords de Camp David de 1979, qui constituent le fondement de ses relations avec les États-Unis. Elle est le deuxième bénéficiaire mondial de l’aide militaire américaine après Israël. Pendant des années, l’Égypte, seul pays autre qu’Israël à partager une frontière avec Gaza, a coordonné sa sécurité avec Israël et a contribué à l’application du blocus sur le territoire. Après l’arrivée au pouvoir d’Abdel Fattah El-Sissi en 2013, les autorités égyptiennes ont également détruit les tunnels qui assuraient la survie de Gaza et ont autorisé les drones, hélicoptères, et avions de combat israéliens à mener une campagne aérienne secrète dans le Sinaï.
Au cours des derniers mois, la condamnation internationale du blocus brutal et des bombardements incessants de Gaza par Israël s’est amplifiée. Le blocus total imposé par Israël depuis le 2 mars a plongé l’ensemble de la population de Gaza au bord de la famine. La Gaza Humanitarian Foundation, un nouveau programme soutenu par les États-Unis et Israël qui a mis en place quatre «centres de distribution d’aide» dans des zones reculées de Gaza fin mai, a été accusée par l’ONU et des organisations internationales de détourner l’aide à des fins militaires. Les forces d’occupation ont tiré presque quotidiennement sur des Palestiniens à proximité des centres d’aide, faisant plus de 270 morts dans ce que le ministère de la Santé de Gaza a qualifié de «massacres de l’aide humanitaire».
L’Égypte a condamné le blocus de Gaza, mais a également sévèrement réprimé toute manifestation pro-palestinienne non autorisée par l’État. Elle a arrêté 186 personnes au cours des 20 derniers mois, dont plus d’une centaine sont actuellement derrière les barreaux. Avec l’arrivée au Caire de centaines de personnes venues participer à une marche prévue vers Rafah, la répression égyptienne s’est intensifiée. Les militants et observateurs estiment désormais que des centaines de participants ont été arrêtés, interrogés ou expulsés.
«Nous estimons qu’entre 300 et 400 personnes ont été expulsées jusqu’à présent, voire plus», a déclaré Ragia Omran, éminente avocate égyptienne spécialisée dans les droits de l’homme. «Beaucoup ont été arrêtées à l’aéroport ou emmenées depuis leur hôtel. Deux vols complets ont été refoulés. Parmi les personnes concernées figurent des ressortissants espagnols, grecs, français, allemands, italiens, américains, canadiens, colombiens, vénézuéliens, sud-africains, norvégiens et néerlandais».
Les raids dans les hôtels auraient eu lieu sans mandat. Mme Omran a déclaré que les agents sont entrés avec des listes de noms, ont fouillé les téléphones et les sacs, et ont escorté les clients directement vers des zones de détention aéroportuaires en attendant leur expulsion.
«Il n’y a aucune base légale pour empêcher des personnes qui se rendent pacifiquement à un poste frontière dans un but humanitaire», a-t-elle ajouté. «En vertu du droit international, l’Égypte ne devrait pas se rendre complice du blocus».
En réponse aux accusations de complicité dans le blocus de Gaza, El Shihawy, l’ancien député, a été catégorique :
«L’Égypte a fait plus que la plupart des pays pour Gaza. Nous avons rouvert Rafah, négocié des cessez-le-feu, envoyé des tonnes d’aide. Mais nous ne pouvons pas permettre aux gens de parcourir des centaines de kilomètres à travers une zone militarisée. Ce n’est pas ainsi que fonctionnent les États».
Le ministère égyptien des Affaires étrangères a publié une déclaration le 11 juin, invoquant la sécurité nationale et des «autorisations manquantes» pour justifier le refus d’accès à Rafah. Cependant, les organisateurs du convoi affirment avoir reçu auparavant l’encouragement des ambassades égyptiennes à l’étranger.
Le 11 mai, Mme Schweizer a contacté l’ambassadeur égyptien à Berlin par e-mail pour demander un rendez-vous.
«Une semaine plus tard, j’ai reçu un appel du personnel consulaire m’invitant à un entretien. Ils nous ont donné l’impression d’approuver la mission», a-t-elle déclaré.
Les acteurs de la société civile égyptienne, depuis longtemps à l’avant-garde des mouvements de solidarité régionaux, sont restés largement en retrait, craignant une répression plus sévère contre les militants nationaux.
«Nous nous sommes dit que si des Égyptiens rejoignaient la marche, celle-ci pourrait être interdite», a déclaré Mahienour El-Massry, éminente avocate et militante basée à Alexandrie.
Ahmed Douma, ancien prisonnier politique et militant, a abondé dans ce sens :
«Les Égyptiens étaient présents par l’esprit, mais nous avons pris la décision stratégique de ne pas rejoindre physiquement la marche, à moins qu’il ne soit clair que cela ne mette pas le convoi en danger».
Les avocats spécialisés dans les droits de l’homme estiment que l’Égypte aurait pu mieux gérer la situation.
«L’Égypte a manqué une occasion de s’opposer au blocus de Gaza en arrêtant des civils pacifiques – des médecins, des étudiants, voire le petit-fils de Nelson Mandela – alors qu’elle aurait pu définir des conditions et les laisser passer», a déclaré Omran.
Traduction: Spirit of Free Speech
- Source : Drop Site (Etats-Unis)