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La grève des LGBT, enfants chéris d’Israël

Auteur : Gideon Levy | Editeur : Walt | Mardi, 24 Juill. 2018 - 21h41

C’est une  communauté qui est devenue puissante, bien connectée et à la mode. Il ne s’agit pas de la communauté arabe, mais LGBT.

Une nouvelle journée de plaisir en perspective : la grève des LGBT. Cela a pris une ampleur jamais vue depuis la protestation contre les prix du  fromage cottage en 2011, mais cette fois, ça a un logo. Pas qu’un seul : une mer de logos. Une pléthore  de marques israéliennes se sont engagées à la soutenir.

La protestation est présentée comme quelque chose de jamais vu auparavant : des dizaines d’entreprises de premier plan laissent leurs employés faire la grève dimanche, avec une implication sociale et une sensibilité impressionnantes. Elles  publient des explications rédigées par leurs cabinets de relations publiques bien payés : on n’avait pas vu ça  depuis la Révolution d’Octobre.

Rosa Luxemburg pour Cellcom, Lech Walesa pour Isracard. Le succès est assuré : ne laissons pas Gaza tout gâcher.

C’est déjà suspect : la chaîne de supermarchés Super-Sol et la protestation ? Le cabinet d’avocats Herzog, Fox & Neeman et la protestation ? Que recherchent exactement ces entreprises avec une grève ? La justice ? L’égalité ?

C’est très drôle. Vont-ils maintenant laisser leurs employés faire la grève pour d’autres raisons, chacun.e pour sa cause préférée ? C’est encore plus drôle. La communauté LGBT a réussi à enrôler l’économie dans sa lutte : la puissance de sa protestation est admirable.

Les priorités de la société israélienne, sa boussole sociale et morale sont à l’ordre du jour. Israël est en grève dimanche, pas pour une question pour laquelle il est urgent de faire grève. Il n’est pas en grève pour un groupe qui est l’un des plus démunis, opprimés ou discriminés. En fait, peu d’autres groupes sont aussi puissants, bien branchés et à la mode que la communauté LGBT. Ses membres ont gagné en puissance honnêtement grâce à leur lutte qui, bien sûr, n’est pas finie.

Le succès relatif ne dit rien sur le droit et l’obligation de la communauté de continuer à se battre pour ses droits et sur la justesse de sa voie. Mais la grève de dimanche dit tout sur une société qui choisit une fois de plus de fuir vers sa zone de confort, où il n’y a pas de prix à payer pour la lutte. C’est seulement pour que les gens se sentent bien dans leur peau, embellissent leur image et surtout nettoient leur conscience des marques noires les plus noires de leurs autres maladies et crimes.

Israël devrait être en grève dimanche, soutenu par Super-Sol, McCann et Cellcom, contre la loi de l’État-nation, en sympathie avec les Arabes de ce pays, sur les visages desquels la Knesset a craché, en leur disant officiellement et légalement : vous êtes des citoyens de seconde classe.

Quel effet de guérison et d’espoir une telle grève aurait comme signe d’identification avec les villes arabes de Sakhnin et Nazareth. Quelle fraternité serait dans l’air, quel fruit serait porté pour toute la société à partir d’une telle solidarité. Mais pour cela, il faudrait une dose de courage et une boussole morale claire, deux produits que les entreprises leaders n’ont pas en stock et dont toute la société a besoin.

Plus personne ne s’attend à ce qu’Israël descende dans la rue pour protester massivement contre l’occupation, le blocus de Gaza ou les colonies de peuplement : il y a eu trop de lavage de cerveau et trop d’angoisse a été instillée.

Mais la loi sur l’État-nation, qui a été adoptée quelques heures seulement après l’adoption du projet de loi sur les mères porteuses, est essentielle. Elle est  beaucoup plus discriminatoire et excluante que la loi sur les mères porteuses. Elle ne rend pas difficile d’être parent. Elle rend difficile d’appartenir à ce pays. Pour certains Israéliens, elle montre la sortie. Elle montre à tous les Israéliens qu’ils vivent désormais dans un État d’apartheid de jure, pas seulement de facto.

Et la trajectoire est également différente. La communauté LGBT est sur la voie du succès : Une protestation de plus, un vote de plus, et la maternité de substitution, une façon problématique d’être parent, parfois plus méprisée que la prostitution, sera également approuvée pour les hommes. La législation contre les Arabes va dans l’autre sens : la loi de l’État-nation n’est qu’une promo. La pente est glissante et claire. Le dimanche de protestation de masse contre cette loi aurait pu marquer un changement.

Mais Israël marchera dimanche pour une autre de ses protestations de chouchous. Les rues seront décorées de drapeaux multicolores, le sentiment de satisfaction grandira. Seuls les « tskers »* – comme les appelle mon collègue de Haaretz Nitzan Horowitz – souriront amèrement. Nous remercions la communauté, nous remercions les banques et nous remercions les entreprises de publicité et de haute technologie. Nous avons une société dynamique et protestataire. Les vrais opprimés peuvent attendre.

NdT: Tskers : ceux qui font tsk ( claquement de langue) pour marquer leur agacement ou leur  désapprobation

Traduit par Fausto Giudice

Photo d'illustration: Tel Aviv, Gay Parade 2012.  Image Flickr


- Source : Haaretz (Israël)

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