www.zejournal.mobi
Jeudi, 28 Mars 2024

Comment devenir un célèbre « expert en terrorisme » dans les médias

Auteur : Elijah J. Magnier | Editeur : Walt | Samedi, 07 Oct. 2017 - 20h00

Que vous soyez un-e militaire revenu-e à la vie civile et qui s’ennuie, un-e journaliste, bloggeur-se, ou tout simplement un-e jeune ambitieux-se enthousiaste en quête de gloire, voici tout ce que vous avez à faire pour vous présenter comme un-e expert-e en terrorisme.

Si vous êtes assez intelligent-e pour apprendre quelques mots d’arabe et vous entrainer à les prononcer correctement, vous pouvez devenir un ETA, un-e « expert-e du terrorisme arabe ». En fait, vos maigres mots en arabe sonneront mieux s’ils sont prononcés avec un accent occidental. Cela va impressionner l’audience, montrer beaucoup d’intelligence, et certainement démontrer une énorme quantité de connaissances ! Voilà pourquoi les « expert-e-s » utilisent des mots arabes face à un public qui sait à peine où la Syrie, l’Irak, le Liban et le Yémen se situent sur la carte.

La prochaine étape consiste à aller sur les médias sociaux et à suivre des comptes de franchises d’al-Qaïda et de « jihadistes du clavier » du groupe Etat islamique (EI) pour pouvoir reproduire et publier leurs infos. Quand vous voyez un commentaire, contentez vous de le copier, de le traduire dans votre propre langue maternelle, et de le publier sur Twitter ou Facebook. Une fois posté, vous êtes assuré-e de recevoir des dizaines d’appels chaque semaine, de la part de journaux, radios et de télévisions du monde entier, à la recherche pour leur programme ou article de la valeur ajoutée en commentaires d’un-e « expert-e en terrorisme ».

Vous pouvez en profiter en postant sur Twitter : « Je serai sur telle chaine à 14h pour discuter de l’EI ». Vous pouvez commencer à discuter avec les Moudjahidin qui vous suivent pour aiguiser des informations en temps opportun et les poster sur Tweeter, affirmant davantage votre expertise. Vous pouvez même parler à des rebelles en Syrie, les rencontrer autour d’un interminable café dans des hôtels 5 étoiles au Moyen-Orient, puis écrire un livre à leur sujet, qui reflète leur version, vous qui ferez semblant d’être quelqu’un qui passe sa vie à arpenter les rues en Syrie.

Vous pourriez aussi envisager de visiter le Liban, passer quelques jours à parler aux chauffeurs de taxi, ou en faire davantage en vous rendant dans la banlieue de Beyrouth, assis-e à la table restaurant, parlant aux gens autour. Puis, dès que vous le pouvez, revenir et écrire sur vos « sources crédibles » au sein du Hezbollah. Ce sera très sexy sur le papier : vous devenez un expert du Hezbollah, vous pouvez répéter « Lab’baiki Ya Zaynab » à chaque occasion et dire que « le Hezbollah est né dans le sud Liban » ! Vraiment pas difficile…

Une fois que vous êtes un-e analyste célèbre, vous gardez un œil sur tout phénomène qui commence à prendre de l’importance dans les médias sociaux. Vous avez juste besoin d’être assez rapide pour suivre et ainsi être parmi les premier-e-s. Habituellement, ça commence par un groupe d’analystes, tous assis dans un think tank en faisant semblant de réfléchir. En fait, comme la plupart travaille pour le même groupe à travers le monde, ils se favorisent mutuellement. Ils regardent le monde avec des jumelles, dictent aux gouvernements occidentaux ce qu’ils devraient ou ne devraient pas faire et se mettent en colère quand ces gouvernements n’écoutent pas ce « conseil unique » – des conseils qui dans leur perception sont l’équivalent de « la seule bouteille de Coca -Cola dans le désert ». Une fois que l’idée est balancée sur les médias sociaux, tout le monde court pour la ramasser et la mâcher, chacun sous un angle différent.

Ne vous inquiétez pas si elle est fausse. Tout le monde dit la même chose et tout le monde va tourner la page quand c’est faux et commencer à chercher une autre idée. De toute façon, qui se soucie que ce soit vrai ou faux ?

Voilà pourquoi le terrorisme est aujourd’hui le domaine d’étude le plus populaire dans la société occidentale. Le nombre de chercheurs et de théoriciens spécialisés dans le terrorisme a explosé depuis le 11 septembre 2001. Leonard Weinberg a déclaré :

« La bibliothèque à l’université où je travaille contient près de cinq mille livres sur le terrorisme. Lorsque je me connecte sur Google et cherche sous le thème « terrorisme », le résultat fait état de près de cinquante millions d’entrées ».

Le budget du renseignement des Etats-Unis dépensé dans la lutte contre le terrorisme et à payer des think tank pour faire le travail de réflexion à leur place, a atteint environ 70 milliards de dollars par an. Ce montant est encore relativement faible par rapport au coût de la guerre en Irak.

Nous n’avons pas besoin de chercher plus loin la raison pour laquelle « les gens nous haïssent ». Il suffit d’écouter ce que le président des États-Unis dit :

« Selon les derniers chiffres compilés par l’Iraq Body Count, à ce jour, plus de 200 000 civils irakiens ont été tués, bien que d’autres sources disent que les victimes sont deux fois plus nombreuses. Plus de 4 000 soldats états-uniens ont été tués en Irak, et des dizaines de milliers d’autres ont été blessés et mutilés. La guerre a coûté aux contribuables états-uniens plus de 800 milliards de dollars ».

Dans un entretien avec le fondateur de VICE, Shane Smith, Obama a déclaré que « la montée de l’État islamique était une conséquence directe de l’invasion désastreuse [de l’Irak]. L’EI est une conséquence directe d’al-Qaïda en Irak, qui a grandi hors de notre invasion, ce qui est un exemple des conséquences inattendues. C’est la raison pour laquelle nous devrions généralement viser avant de tirer ».

Les meilleurs rapports et analyses du renseignement sont sans valeur si les décideurs ne sont pas convaincus et les rejettent. Je crois que les études en terrorisme menées par des chercheurs et des universitaires peuvent fournir des perspectives uniques auxquelles les analystes et les journalistes peuvent avantageusement recourir. En fait, les chercheurs et les théoriciens peuvent exceller quand ils peuvent se joindre et travailler en commun avec des personnes qui ont couvert les événements sur le terrain, offrant un aperçu de haute qualité. C’est la manière dont une analyse faite à temps peut trouver un écho auprès des décideurs.

Analyste en risques politiques, l'auteur, Elijah J Magnier a passé plus de 30 ans à couvrir le Moyen-Orient, notamment l’Iran, l’Irak, le Liban, la Libye, le Soudan, et la Syrie.


Cela peut vous intéresser

Commentaires

Envoyer votre commentaire avec :



Fermé

Recherche
Vous aimez notre site ?
(230 K)
Derniers Articles
Articles les plus lus
Loading...
Loading...
Loading...