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Première rencontre des chefs de la diplomatie USA-Russie : vers un nouvel ordre mondial ?

Auteur : John Laughland | Editeur : Walt | Vendredi, 17 Févr. 2017 - 22h10

La réunion Lavrov-Tillerson pourrait être vue comme un pas vers le changement de l'ordre mondial. Néanmoins, les turbulences actuelles dans les relations entre les deux pays rendent cette perspective incertaine, estime l'historien John Laughland.

Les circonstances pouvaient difficilement être moins propices pour la première rencontre entre le secrétaire d'Etat américain, Rex Tillerson, et son homologue russe, Sergueï Lavrov le 16 février à Bonn. Cette rencontre intervient moins de quarante-huit heures après le limogeage du conseiller à la Sécurité nationale, Michael Flynn, auquel on reproche ses contacts avec la Russie et après plusieurs mois d'hystérie anti-russe aux Etats-Unis dont on n'a pas vu de précédent depuis les années du sénateur McCarthy. Elle a été suivie de quelques minutes par la déclaration du collègue de Rex Tillerson, le secrétaire à la défense, James Mattis, disant que les Etats-Unis n'étaient pas prêts à collaborer militairement avec la Russie, que celle-ci avait «sans aucun doute» pesé sur les élections américaines, et qu'il fallait traiter avec la Russie «seulement à partir d'une position de force». Sur le plan humain, le contraste flagrant entre le comportement assuré du diplomate chevronné qu'est Lavrov, qui a présidé et dominé la réunion à Bonn et le côté amateur de l'ancien patron d'Exxon Mobil, qui visiblement se sent quelque peu mal à l'aise dans son nouvel environnement, n'était guère de bon augure pour un rapport professionnel et chaleureux entre les deux hommes.

Pendant toute la campagne électorale, le candidat Trump n'a cessé de répéter qu'il voulait de bonnes relations avec la Russie. Il a également insisté sur une vision plus réaliste des relations internationales, en contraste net avec le messianisme révolutionnaire des ses prédécesseurs depuis vingt-cinq ans. Cette volonté d'effectuer une détente avec Moscou lui a été vivement reprochée ; les Démocrates et leurs alliés néo-conservateurs veulent maintenant faire croire aux Américains que leur nouveau président est un agent du Kremlin. Trump va-t-il pouvoir résister aux attaques de ses ennemis, qui sont déterminés à se servir du prétexte russe pour l'évincer du pouvoir ?

Plusieurs éléments permettent d'en douter. Tout d'abord, l'inertie de la politique étrangère américaine est telle qu'il sera extrêmement difficile d'en inverser la trajectoire. Déjà en 1961, le président Eisenhower mettait les Américains en garde contre l'«influence illégitime du complexe militaro-industriel» dans son allocution de fin de mandat. Pendant les cinquante dernières années, celui-ci a radicalement augmenté son influence sur la politique américaine. Se rajoute à cette influence celle des dix-sept agences de renseignement, véritable Etat dans un Etat, et contre lesquelles le nouveau président Trump semble être en guerre ouverte.

Deuxièmement, le président Trump, malgré ses idées originales en matière de politique étrangère, sera sans doute l'otage de sa politique intérieure. Si le système militaro-industriel domine la politique aux Etats-Unis, cela est du au fait que l'industrie de l'armement donne de l'emploi à des millions d'Américains. Dans les villes où il existe une installation militaire, c'est souvent elle qui est le principal employeur. Un président qui s'est fait élire sur la promesse de réindustrialiser son pays peut difficilement tenir tête à ce secteur qui domine la production industrielle, les autres centres de production ayant été délocalisés en Chine. Or, cette industrie a besoin d'une grande menace à l'étranger pour justifier son existence et les centaines de milliards de dollars qu'elle consomme chaque année.

Troisièmement, non seulement Trump est en porte-à-faux avec le consensus du département d'Etat et des agences de renseignement, il est aussi relativement isolé au sein de sa propre administration, comme l'attestent les déclarations du général Mattis ainsi que celles de la nouvelle ambassadrice américaine aux Nations Unies, Nikki Haley. Au Conseil de sécurité le 3 février, celle-ci n'a fait que répéter, quoique sans la même comédie, les propos de son prédécesseur, Samantha Power, l'égérie de l'anti-russisme primaire.

Quatrièmement, les autres priorités à l'étranger du président Trump, notamment au Moyen-Orient, peuvent s'avérer en contradiction avec sa volonté affichée de pactiser avec Moscou. Les rapports entre Israël et la Russie étant plutôt bons, il est possible que l'abandon par Trump du soutien traditionnel de Washington pour la solution à deux Etats au conflit israelo-palestinien ne trouble pas excessivement les eaux. En revanche, les déclarations de Trump sur le dossier iranien présentent un nouveau défi pour Moscou. Sous Obama, la Russie et les Etats-Unis avaient travaillé ensemble, et en opposition au gouvernement Netanyahou, pour trouver un accord sur le programme nucléaire iranien. Sous Trump, la politique américaine se rapprochera de celle de Benjamin Netayanhou, qui en 2012 s'était ridiculisé en déclarant, à l'Assemblée générale de l'ONU, que l'Iran aurait une bombe atomique en un an. Or, l'Iran est le nouvel allié proche de Moscou dans le conflit syrien. On peut aussi considérer que l'hostilité de Trump à l'égard de la Chine compliquera les rapports américano-russes, les rapports sino-russes étant excellents.

Cinquièmement, Trump a une malencontreuse tendance à réduire les rapports internationaux à des rapports personnels. «Je ne sais pas si je m'entendrai avec Poutine» avait-il répété à plusieurs reprises, comme si la politique des Etats-Unis dépendait de sa seule personne et de ses caprices. C'est peut-être une façon de parler mais il est vrai que l'on voit mal comment le fin calculateur réservé qu'est Poutine et la grande gueule qu'est Trump réussiront à trouver une langue commune.

Le pessimisme de ces réflexions est la conséquence inévitable de la défaite subie ces derniers jours par Trump avec le limogeage de Flynn. Néanmoins, ce pessimisme est peut-être compensé par le fait que, jusqu'à présent, Trump a été sous-estimé. Il faut reconnaître que, non seulement il a répété à plusieurs reprises sa volonté de traiter avec la Russie, mais il a aussi été très ferme, pendant toute la campagne et dans son discours inaugural, sur sa détermination à en finir avec l'islam radical. Ces affirmations constituent une prise de position on ne peut plus claire sur ce choix civilisationnel définitif de notre ère, en rupture totale avec l'attitude politiquement correcte d'Obama qui a refusé de prononcer le mot «islamiste» après l'attentat terroriste d'Orlando. Si Trump a vu juste sur le plus grand enjeu de notre temps et s'il a proclamé haut et fort son opposition à l'islamophilie de ses ennemis, on peut espérer qu'il tiendra parole. Une chose est certaine : sur sa volonté de gagner et de tenir tête à ceux qui veulent sa peau, il n'y a, pour le moment au moins, pas la moindre ombre d'un doute.

L'auteur, John Laughland, est directeur des Etudes à l'Institut de la Démocratie et de la Coopération (Paris), philosophe et historien. De nationalité britannique, il est l’auteur de plusieurs ouvrages historiques et géopolitiques traduits en sept langues.


- Source : RT (Russie)

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