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Quel destin attend la Turquie ?

Auteur : NEO (Russie) | Editeur : Walt | Mercredi, 09 Déc. 2015 - 22h19

Il est maintenant clair que la carrière politique de Tayyip Erdogan arrive lentement mais sûrement à sa fin. Après que le bombardier russe Su-24 a été abattu au-dessus de la Syrie, alors qu’en fait il s’éloignait, et ne se dirigeait pas vers la Turquie, si Erdogan avait eu le courage de présenter immédiatement ses excuses à Moscou, il aurait eu une chance de sauver sa carrière.

Au lieu de cela, il s’est emmêlé dans un imbroglio de mensonges et d’explications ridicules, tout en se montrant impoli envers la Russie. Par-dessus le marché, essayant d’excuser les actions de l’armée de l’air turque en prétendant qu’elle avait personnellement reçu des ordres de Barack Obama lors du sommet du G20 tenu à Antalya, il a monté une accusation contre Washington. Moscou a donc été forcé de donner une réponse adéquate en fragilisant les secteurs les plus sensibles de l’économie turque : le tourisme et l’agriculture. Cela signifie que le budget de la Turquie sera bientôt privé de milliards de dollars. Mais même le dos au mur, le Président turc s’est obstinément montré irréfléchi. Cela a forcé la Russie à aller encore plus loin en dévoilant le rôle joué par la Turquie et la famille Erdogan dans la contrebande de pétrole syrien volé, en violation directe à la Résolution du Conseil de sécurité de l’ONU adoptée le 12 février 2015. Tout ceci veut dire que l’État turc est directement responsable de parrainage du terrorisme international, ce qui, selon l’ONU, devrait être punis de manière particulièrement sévère.

Cette tournure des événements a poussé à s’éloigner d’Erdogan tous ses alliés, y compris les USA. Après tout, faire du business avec un dirigeant qui aide l’EI au lieu de le combattre, signifie ternir sa réputation, en particulier dans le contexte du massacre de Paris mis à exécution par des Islamistes, des terroristes entrés en Europe en traversant le territoire turc. C’est désormais un fait bien connu que plus tôt cette année, avec l’assistance financière de la Saoudie et du Qatar, Ankara a organisé l’« exode » de masse des réfugiés vers l’Europe, ouvrant pratiquement ainsi la porte à des centaines de miliciens de l’État islamique, pour qu’ils s’infiltrent dans l’UE. Il est douteux que l’OTAN puisse jamais faire encore confiance à un « allié » de ce tonneau.

Ce qu’a fait d’Erdogan a de toute évidence mis en péril tous les efforts de la Turquie pour adhérer à l’UE, le rêve depuis des années d’un grand nombre de personnalités politiques turques et de Turcs ordinaires, en particulier ceux de la Chambre de commerce.

Chose encore plus grave, le Président lui-même s’est déshonoré publiquement devant le pays. Il perdait déjà insensiblement sa renommée, mais dès qu’il a levé le masque, sa cote a commencé brusquement à chuter. Ne se montrant pas simplement islamiste, le dirigeant de la nation turque est partisan du terrorisme international. Mais les Turcs, en particulier ceux qui sont bien éduqués, ne supportent pas de revenir à la charia, et préfèrent soutenir la transition vers les valeurs européennes basées sur des principes laïques. Les protestations du public qui ont secoué il y a quelques années la place Taksim à Istanbul, ainsi que toutes les grandes villes de Turquie, ont été incitées par cette transition silencieuse vers l’Islamisme voulu par Erdogan. Quant aux Kurdes qui constituent un tiers de la population du pays, ils ont aussi été passablement attristés par la réticence d’Erdogan à honorer sa promesse d’élargir leurs droits et libertés.

Conséquence de ces politiques du parti au pouvoir, le Parti de la justice et du développement (AKP), fondé en 2001 par d’anciens membres d’un mouvement islamiste interdit, a presque affronté une défaite humiliante aux élections générales de juin 2015. Pour reprendre la majorité au Parlement turc, Erdogan à été forcé d’organiser des élections anticipées en novembre. Les experts étaient convaincus que l’AKP allait au devant d’une amère défaite, mais soudain, à la veille de l’élection, une vague d’attentats terroristes a brusquement changé la situation. La population ayant peur que des terroristes venant de Syrie et d’Irak voisins envahissent le territoire turc, elle a voté pour l’AKP dans l’espoir que Erdogan et ses partisans consolident leur pouvoir afin de réagir adéquatement à la menace terroriste.

Dans le même temps, cherchant à accroître son nombre de sièges au Parlement, le principal parti kurde, formé par la fusion des partis et mouvements kurdes de gauche, a soudain été confronté à la défaite. L’AKP qui voulait naturellement 50% des votes, en a seulement obtenu 49,1%. Mais du fait des particularités du système de décompte des voix, il a officiellement reçu plus de 50% des sièges, avec le droit de former seul un nouveau gouvernement. Seulement, ce résultat ne permet pas à Erdogan de mener à bien les réformes constitutionnelles qui pourraient transformer le pays en république purement présidentielle dirigée par lui, « le Sultan de Turquie ».

Nous sommes à présent confrontés à la situation où Ahmet Davutoglu, dirigeant de l’AKP et Premier ministre en exercice, qui a été largement affermi par la victoire du parti au pouvoir, bénéficie d’autant d’ascendant que le président. Et après l’attentat contre le bombardier russe, bien qu’il n’ait pas décidé de se distancier publiquement du président, il a même encore renforcé sa position. On peut à coup sûr supposer qu’il attend juste tranquillement l’occasion idéale pour frapper un coup mortel. Ce n’est rien de moins qu’un concurrent dangereux se préparant à remplacer Erdogan à un moment donné. Contrairement à Erdogan qui a grandi dans les bidonvilles d’Istanbul, et a appris à faire son chemin par la ruse et la tromperie, Davutoglu a grandi dans une famille bien éduquée. Au fil des ans, il a été employé par le ministère des relations internationales à l’université de Marmara, et a été professeur invité dans les académies militaires de Turquie. En 2003, il a été intronisé au rang d’ambassadeur extraordinaire et de plénipotentiaire. Puis, en 2009, il a été nommé au poste de ministre des Affaires étrangères de la République de Turquie, et a occupé ce poste jusqu’en 2014, moment où il a été élu leader de Justice et Développement, le parti au pouvoir.

Ahmet Davutoglu a fait une déclaration disant que les forces armées turques se sont conformées directement à ses ordres lors de l’attentat contre le Su-24, mais il est plus probable qu’improbable qu’il a tout simplement essayé de couvrir le président. Une chose est claire : à présent, ce n’est plus simplement un vieux professeur, c’est un politicien endurci, un Islamiste qui regarde vers l’Ouest.

Autre sérieux concurrent d’Erdogan, Abdullah Gül, l’ancien président de Turquie. Il a également occupé les fonctions de Premier ministre de la Turquie, de 1er Vice-Premier ministre et de ministre des Affaires étrangères. Fervent partisan de l’intégration européenne, il a déployé beaucoup d’efforts au début des négociations sur l’adhésion de la Turquie à l’UE. Il est en même temps considéré comme un partisan des valeurs islamiques, bien que beaucoup moins radical que Erdogan et son entourage. Il est en outre connu pour ses liens étroits avec Washington. Pourquoi le président en exercice a décidé de se débarrasser de lui est toujours une question politiquement sans réponse. Il semble plutôt que Gül soit devenu fatigué des idées démentielles de son ancien supérieur, en particulier dans le domaine de la coopération avec l’État islamique. Ce n’est pas par hasard si Abdullah Gül a fait récemment une visite à Washington. Les politiciens étasuniens sont apparemment intéressés par l’intronisation de ce vieux politicien en tant que nouveau président, car ils en ont manifestement assez de l’imprévisibilité de Erdogan.

Tout ceci ne signifie pas bien sûr que la Turquie va destituer le président en poste ou qu’il partira demain. L’effet réel des mesures économiques prises par la Fédération de Russie contre Ankara sera apparent en avril-mai, au moment où les agriculteurs turcs n’auront pas de marché pour vendre leurs légumes, tandis que la saison touristique sera un insuccès amer pour les hommes d’affaires locaux, les 3,5 millions de touristes russes n’étant pas près de revenir de si tôt. Les forces opposées, à la fois au sein de l’AKP et des autres partis, profiteront naturellement de la situation. Elles seront soutenues par la majorité des milieux d’affaires turcs, qui dépendent du niveau de coopération entre la Turquie et la Russie.

Mais la destitution de Erdogan est un scénario relativement positif. Ceux qui se souviennent de l’histoire turque devraient savoir qu’il est haï par le commandement militaire des forces armées turques, qui joue traditionnellement un rôle crucial dans le maintien de la stabilité du pays. Pour trahison présumée, il a fichu au cachot un paquet de généraux et d’officiers supérieurs. La majorité d’entre eux devraient être libérés maintenant. Et ces généraux, tout comme ceux qui ont survécu aux répressions de Erdogan, rêvent de le faire partir, de mettre fin à l’islamisation de la Turquie. L’armée ne recevant aucun revenu de la contrebande de pétrole illégale, si les liens entre l’EI et Ankara devaient être maintenus, le commandement militaire, tout en bénéficiant de l’appui de ses alliés de l’OTAN, pourrait lancer un coup d’État et reprendre le pouvoir qu’il avait il y a trente ans. Mais ce scénario ne satisferait pas les Kurdes locaux et les autres minorités ethniques et religieuses, qui ont enduré la cruauté de l’armée lors de la suppression de leurs droits personnels.

Il est donc tout à fait possible que nous soyons confrontés au second scénario – le plus défavorable pour le pays. Quand l’AKP au pouvoir va se retrouver opposé à la fois à l’armée et à l’opposition légale, avec 22 millions de Kurdes conduits par le parti interdit des travailleurs du Kurdistan (PKK), la Turquie sera plongée dans le chaos politique. Le conflit civil pourrait alors entraîner l’effondrement de l’État turc, avec les régions kurdes (le sud-est de l’Anatolie entier) qui se sépareraient, cherchant des moyens pour créer un Kurdistan indépendant qui annexerait certains territoires syriens et irakiens, en changeant l’équilibre des forces dans tout le Moyen-Orient.

Quoi qu’il arrive, une chose est claire : Tayyip Erdogan sera contraint de répondre de son entêtement, de son incapacité à respecter les autres, de sa dictature, de sa corruption, et de ses liens avec l’EI. Et par-dessus tout, il devra rendre des comptes au peuple de Turquie. Et aussi à la Russie pour les lâches attentats qui ont coûté la vie à deux soldats russes qui combattaient vaillamment le terrorisme.

Peter Lvov

Traduit par Petrus Lombard


- Source : NEO (Russie)

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