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Sapin veut favoriser l’usage de la carte bancaire: « De la poudre aux yeux »

Auteur : L'Expansion | Editeur : Walt | Jeudi, 04 Juin 2015 - 19h37

Avec la campagne effrénée contre l’argent liquide, la France, de par sa culture vis à vis de l’argent, semblait se présenter comme un futur bastion de la résistance. Hélas, le pauvre village gaulois finira par faire comme tout le monde, les agents de l’empire travaillent efficacement de l’intérieur. La démarche de Bercy n’ a pas d’autre but que de saper le lien particulier qui existe entre les Français et l’argent liquide, en augmentant l’usage de la carte bancaire.

Bercy entend lever les freins au paiement par carte pour les petites sommes. Serge Maître, président de l’Association française des usagers des banques, nous explique pourquoi il trouve cette annonce contradictoire et inutile.

Les Français adorent payer par carte bancaire. Selon un sondage CSA commandé par Bercy, 71% la désignent comme leur moyen de paiement préféré, loin devant l’argent liquide (15%). Le même sondage indique que 61% souhaiteraient pouvoir l’utiliser davantage au quotidien. Des chiffres sur lesquels s’appuie Michel Sapin pour expliquer que les besoins en la matière ne sont pas satisfaits. Le ministre des Finances a souhaité ce mardi que le seuil de 15 euros pour le paiement par CB chez les commerçants soit supprimé, et que les commissions minimales payées par les commerçants sur ces paiements soient divisées par deux. La part fixe de la commission sera supprimée. Ainsi il espère inciter les commerces de proximité à accepter ce moyen de paiement pour les petites sommes.

Pourtant, avec 9 milliards de transactions chaque année, la France est déjà championne des paiements par carte bancaire en zone euro. Et l’enquête du CSA montre aussi que 84% des sondés préfèrent le liquide quand la facture est inférieure à 10 euros. Pourquoi, alors, risquer de faire retomber les frais bancaires sur les consommateurs ? C’est ce que craint l’Afub (Association française des usagers des banques). Entretien avec son président, Serge Maître.

Est-il utile de renforcer encore davantage le paiement par carte bancaire? S’agit-il d’un besoin exprimé?

Les pouvoirs publics chassent les espèces, car elles sont non traçables, et car leur gestion coûte cher: les billets s’usent vite, leur rotation est très rapide. Cette annonce s’inscrit dans la volonté européenne de privilégier des moyens de paiement purement scripturaux, tels que le virement et le prélèvement (sur lesquels la France est comparativement en retard en Europe, ndlr). Ce n’est donc pas une surprise. En revanche, à l’Afub, nous ne recevons aucune plainte concernant le refus de paiement chez les commerçants. D’où le côté démagogique de la démarche du ministre. Alors que les plaintes contre le sans contact (que Bercy a aussi annoncé vouloir développer, ndlr) imposé par les banques, ça c’est une réalité. Je considère donc que le ministre n’est pas très cohérent. C’est pour cela que nous avons boudé sa grand-messe de ce matin. Il n’y a eu aucune concertation, aucune conciliation.

Pourquoi estimez-vous que la démarche du gouvernement est incohérente?

Premièrement, elle est contradictoire, et pour plusieurs raisons. Il annonce abaisser le seuil de 15 euros pour le paiement par CB, alors que les planchers sont fixés par contrat entre le commerçant et sa banque ; il annonce la suppression de la part fixe de la commission bancaire, sans mettre complètement les pieds dans le plat des tarifs bancaires puisque c’est la commission commerciale qui est la plus importante (0,5 à 3% de la facture) ; enfin c’est presque un sabordage du développement des technologies de paiement sans contact, qu’il annonce vouloir favoriser.

Deuxièmement, elle ne répond pas aux besoins : le consommateur risque de voir le tarif de sa carte bancaire augmenter, puisque les banques estiment que les commissions sont représentatives d’un travail. Elle voudront récupérer ailleurs ce qu’elles perdront chez les commerçants. En conclusion, la démarche de Michel Sapin a un côté manipulateur et opportuniste. C’est de la poudre aux yeux, et cela ne résout en rien les problèmes des commerçants.

Quel gain macro-économique peut-on espérer de ces mesures?

Par extrapolation, le gain pour l’économie serait de 3 milliards d’euros, montant estimé par un rapport de l’Assemblée nationale des commissions interbancaires sur les paiements par carte. C’est-à-dire ce qui est payé par la banque du commerçant à celle du porteur de la carte.

Peut-on attendre un effet en termes de consommation?

Quand les commissions interbancaires ont été limitées en 2011, cela n’a eu strictement aucun effet.

Dans le même temps, le porte-monnaie électronique Moneo, qui permettait de payer par carte de petites sommes, cessera d’exister le 30 juin. Quelle est la logique?

Moneo était sur la plupart des cartes bancaires, mais c’est un échec. Les banques cherchent maintenant un nouveau moyen de capter le plus grand nombre possible de flux financiers, et de renforcer encore un peu plus la dépendance des consommateurs à l’industrie bancaire. Notamment avec le paiement sans contact.

Ce que vous nous dîtes, c’est que le gouvernement fait le jeu des banques.

Tout comme Bruxelles.

Vous avez aussi parlé de la recherche de traçabilité. Vraiment? Pour des sommes inférieures à 15 euros?

Il ne s’agit pas de tracer le consommateur, mais plutôt de pouvoir mieux contrôler les commerçants qui drainent beaucoup de liquide.


- Source : L'Expansion

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