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Lundi, 06 Mai 2024

De la Syrie à l’Ukraine. Esquisse des temps derniers

Auteur : Natalia Bourkova, Françoise Compoint | Editeur : Walt | Jeudi, 28 Mai 2015 - 17h05

Récemment interrogée par TV Libertés, Mère Agnès-Mariam de la Croix, Mère supérieure du couvent syrien Saint Jacques le Mutilé, avait défini la stratégie syrienne de François Hollande comme étant « schyzophrénique ».

Sa logique est irréprochable: alors donc que l’EI, accessoirement soutenu par des fractions d’Al-Qaïda et de Jabhat Al-Nosra — sauf querelles intestines sporadiques — inondent littéralement la Syrie, l’Irak et la Libye, que des citadelles terroristes dûment fortifiées bordent la frontière syro-libanaise (notamment du côté d’Ersal), il semblerait pour le peu normal de renouer diplomatiquement avec Assad. Ne serait-ce qu’au nom de l’Europe, de plus en plus exposée « grâce » aux courants d’air de Shengen. Nous relevons néanmoins une réaction contraire au bon sens.

Certains experts, tel Bassam Tahhan, ont tendance à croire que l’obstination française n’est que le fruit véreux de l’orgueil de la classe dirigeante. On s’est trompé, Al-Nosra n’est pas composé de gentils rebelles, mais le reconnaître, non, c’est trop demander! Je pense pour ma part que cet argument est trop indulgent. Il disculpe les vrais coupables et indemnisent les ignorants qui pour beaucoup se targuent d’une ignorance qui les arrange, dans le genre, je ne vois que ce que je veux voir, tant pis si le tableau brossé ne correspond pas à la réalité du terrain.Mère Agnès-Mariam de la Croix nous apprend ainsi, propos souvent très nuancés à l’appui, que l’ASL dont on avait initialement parlé existait bel et bien mais qu’elle s’est vite désagrégée et s’est fondue dans ce qu’elle a appelé « Le Croissant-Rouge Libre » qui est composé de membres laïcs orientés dans leur combat contre l’agresseur salafiste. Le problème, c’est que ces jeunes gens, des volontaires, sont pour la plupart au chômage. Ils ont donc la choix entre rejoindre les rangs de l’armée syrienne — option privilégiée par la majorité — ou rejoindre ceux de l’EI où ils sont nourris comme des dieux et toucheraient un salaire honorable. Cette observation nous amène à une conclusion très simple qui est la thèse centrale de la Révérende Mère: le combat qui est mené en Syrie n’est pas une confrontation sanglante entre un peuple libéral et ce que le mainstream appelle vulgairement le « régime d’Assad » mais bien une guerre du peuple dans son ensemble contre des groupes terroristes hétérogènes. Nous ne sommes par conséquent pas dans une optique de guerre civile, comme on a longtemps voulu nous le faire croire, mais dans une optique de guerre populaire contre une nébuleuse terroriste particulièrement expansive et totalitaire dont les intérêts sont opportunément soutenus par des « forces subversives » aux fins obscures que l’intervenante se garde de nommer.

Ces forces subversives et ces fins obscures — avant tout au sens moral du terme — nous les connaissons très bien. Il suffit de se demander comment est-ce qu’une organisation terroriste arrive à vendre le pétrole syrien volé à la Turquie, un pays membre de l’OTAN à qui l’on fait en plus miroiter l’éventualité d’une intégration à l’UE. C’est sans compter qu’Israël, faisant fi de ses intérêts long-termistes, est aussi demandeur. Par ailleurs, l’aviation américaine a été plus d’une fois accusée de « balancer » du matériel militaire dans les zones contrôlées par l’EI, soi-disant par erreur. Cette erreur se répète constamment.

Faut-il s’en étonner quand on sait que le siège perfide de la Syrie n’est qu’une étape provisoire qui devra conduire à l’embrasement d’un conflit sur le sol iranien? L’Iran détruit, le croissant chiite qui est l’Axe de Résistance par excellence se morcellera avant de se réduire en poussière. L’UE étant sous la houlette américaine, cela explique son alliance contre-nature avec les monarchies wahabbites du Golfe pour qui l’EI n’est au fond qu’un concurrent, un embryon de califat qui, si sa construction aboutie, priverait l’Arabie Saoudite du rôle central symbolique qu’elle détient au coeur du monde sunnite. Pour le reste, même paire de gants: n’est-ce pas la chaîne qatari Al-Jazeera qui a diffusé le 8 mai de l’année en cours un débat portant sur l’éventuelle nécessité de massacrer les Alaouites? Selon les données des derniers sondages, l’écrasante majorité du peuple qatari partagerait cette vision qui n’a rien à envier aux horreurs historiques des guerres de religion. On le voit bien, le clan néo-conservteur américain instrumentalise avec beaucoup d’adresse cette intolérance hallucinée et hallucinante, jouant sur les contradictions ethniques et confessionnelles des peuples à soumettre ou… à génocider.

Le cas ukrainien ne fait que confirmer, pour la énième fois, la véracité de ce constat. Il a d’ailleurs été décrit dans les Evangiles apocalyptiques, Mère Agnès-Mariam y fait référence, où l’on retrouve le détail de ce que serait la révolte de l’homme contre lui-même les temps derniers venus. Ne voyons-nous pas une oligarchie supranationale détentrice du système financier mondial alimenter sa machine à sous en sang? Ne la voyons-nous pas exploiter des entités fanatiques marginales de nature ultra-nationaliste (bandéristes ukrainiens) ou religieuse (Al-Qaïda et dérivé, EI) à des fins de division et de purge? S’il faudra livrer l’Europe, aucun souci, les peuples ne valant de toute façon rien.

Quelles sont les circonstances envisageables qui pourraient mettre un terme au fonctionnement de cette machine infernale? C’est difficile à dire. Peut-être faudrait-il enfin que ces mêmes peuples se réveillent comme l’a déjà fait une grande partie du peuple syrien et celui du Donbass? L’Histoire y apportera une réponse.

 

Témoignage exclusif de Mère Agnès-Mariam de la Croix

Les erreurs géostratégiques coûtent toujours très cher. Elles se payent par les larmes et par le sang des peuples que des hyperpuissances de type impérialiste ont soumis à leurs intérêts pervers. Une question se pose aujourd'hui, plus lancinante que jamais: Damas, tiendra-t-il?

La prise de Palmyre par les hordes sanglantes de l'EI a secoué le champ médiatique atlantiste qui s'offusquerait surtout de voir tomber les splendides colonnes d'une ville qui de par son ancienneté fait pâlir Paris. Même s'il est vrai que la perle du désert pourrait finir comme le musée de Mossoul, on en serait presque à croire que l'assassinat de ses habitants et, plus globalement, celui de millions d'innocents à travers le Moyen-Orient et l'Afrique subsaharienne a moins apitoyé la bien-pensance bruxello-washingtonienne que l'éventualité d'un acte de barbarie contre l'Histoire.

Comme il est difficile de croire à un accès altruiste aigu, peut-être faudrait-il chercher ailleurs en se rendant compte que les pyromanes crient toujours au feu quand la flamme se rapproche de leur logis et qu'ils décident de l'éteindre. Mais il faut préparer l'opinion publique comme il se doit. En ce sens, Palmyre convient à merveille: comment peut-on livrer aux mains de ces salafistes une cité où rôde encore l'âme de la glorieuse reine Zénobie, libératrice de la Syrie et du Levant dans son ensemble, parangon de tolérance religieuse et de haute culture? Livrerait-on le Louvre à des bouchers obscurantistes? De deux choses l'une: soit le Pentagone entend rétropédaler — inutile de dire que Paris en fera aussitôt autant — ayant perdu le contrôle de Daesh, soit que l'idée de frapper la Syrie qui remonte à août 2013 est réagitée par des faucons toujours influents tels que McCain.

Dans le premier cas, il faudrait savoir si la coalition est prête à mener des opérations au sol. La réponse est certainement non. Les Occidentaux seront prêts à combattre jusqu'au dernier Syrien mais pas même jusqu'au premier Britannique ou Français. Sans opérations au sol, les frappes chaotiques de la coalition n'ont aucun sens. On le voit à l'image de la progression ambiante de l'EI.

Toujours dans le premier cas, il faudrait aussi déterminer quelle est la part d'influence des USA sur le couple israélo-saoudien uni par deux ennemis communs: l'Iran et la Syrie. Or, en dehors d'une alliance opportuniste de l'Occident avec Téhéran et Damas, l'EI, avec ses clients pétroliers, ses prodigieux comptes bancaires et le soutien militaire dont il jouit, ne sera jamais défait. On sait ce que ça peut donner avec les courants d'air que nous devons à Shengen et aux travaux d'infiltration idéologique du Qatar dans les banlieues des grandes villes européennes. Feu Kadhafi et Assad n'ont jamais été ambivalents là-dessus. « A l'enfer qu'est l'Irak! » aurait dit Sadam Hussein la corde au cou, quelques secondes avant son exécution, alors même que ses bourreaux, prêts à ouvrir la trappe, l'envoyaient au diable.

Il semble peu probable que le gouvernement d'Obama ait beaucoup d'influence sur Tel-Aviv quand on sait quelle fut la réaction de Benjamin Netanyahu suite aux négociations de Washington avec Téhéran sur le nucléaire. On constate la folle intransigeance d'Israël qui a préféré conclure un pacte de non-agression avec al-Nosra et relancer ses frappes contre le Hezbollah libanais, allié par excellence de l'armée arabe syrienne contre le salafisme. 

Dans le deuxième cas, inutile de préciser que les frappes aériennes de la coalition soi-disant contre l'EI en Syrie augmenteront le niveau d'entropie livrant le pays au chaos total.

Que l'on apprécie ou non la politique d'Assad — et c'est de toute façon à son peuple de l'apprécier — il est très clair que la solution est à Damas. N'en déplaise à mes collègues qui au lieu de s'attaquer à l'essentiel avaient martelé que l'EI s'était emparé de Palmyre parce que c'est là que se trouvait la plus terrible prison du Moyen-Orient et qu'ils en ont libéré les détenus ce qui est hautement symbolique. De qui se moque-t-on?

Quand un pays souffre le martyr et que le contexte de ce martyr est soigneusement occulté par les grandes démocraties, il est doublement salutaire de s'adresser aux gens qui sont sur place et qui, jour après jour, portent courageusement leur croix. C'est littéralement le cas de Mère Agnès-Mariam de la Croix, Mère supérieure du monastère Saint Jacques le Mutilé qui se trouve à Qara, à 97 km de Damas. Mère Agnès-Mariam a eu le courage d'intervenir sur nos ondes.

Radio Sputnik. Comment définiriez-vous la façon dont les évènements de ces derniers mois évoluent en Syrie? Observe-t-on une lente mais certaine progression des forces gouvernementales à travers les zones contrôlées par les djihadistes? Qu'en est-il de l'offensive de l'EI et d'autres groupes radicaux de sensibilité salafiste? Prend-elle de l'ampleur?

Mère Agnès-Mariam de la Croix. Malheureusement, l'offensive prend beaucoup d'ampleur, que ce soit par rapport aux mouvements de l'EI qui ont récemment mis la main sur la ville multimillénaire de Palmyre — la capitale culturelle de la Syrie — mais aussi par rapport à ceux de Jabbat al-Nosra, branche syrienne d'Al-Qaïda qui s'est emparé de Jisr al-Chohour et, dernièrement, d'Idleb. Tout comme en Irak, de grandes fils de réfugiés se constituent à travers le pays et semble en appeler à la conscience de la communauté internationale. D'un autre côté, les forces gouvernementales font ce qu'elles peuvent, elles essayent actuellement d'endiguer le déploiement des djihadistes dans la région du Qalamoun frontalière du Liban.

Radio Sputnik. Dans une récente intervention, vous avez dénoncé l'incohérence totale de la politique syrienne de François Hollande. Pourriez-vous étayer SVP cette thèse? Pourquoi est-ce que selon vous cette politique reste ce qu'elle est, intransigeante et immuable en dépit du bon sens?

Mère Agnès-Mariam de la Croix. Premièrement, je ne parle pas de politique mais d'éthique. Ce qui nous lamente de plus en plus par les temps qui courent, c'est que de hauts responsables politiques internationaux font fi des lois internationales et des lois avant tout humanitaires pour remplir un agenda politique dont le contenu est contraire aux intérêts des peuples. La politique de l'autruche qui est menée par François Hollande n'est sans doute pas approuvée par l'ensemble du peuple français qui est un peuple noble et courageux et dont la culture a toujours été un critère d'excellence pour l'Europe et le monde. Je pense plus particulièrement à ses valeurs chrétiennes qui à ma plus grande amertume sont en passe d'être enterrées sous le gouvernement actuel. Nous vivons donc sur le terrain les conséquences de cette piètre politique qui ne laisse aucune place au culturel, à l'humain et aux aspirations de la majorité silencieuse du peuple syrien. On nous fait cyniquement subir l'invasion d'un terrorisme d'envergure internationale en privilégiant des intérêts que je qualifierais d' "occultes".

Radio Sputnik. Au vu des évènements tragiques qui déchirent en ce moment la Syrie depuis voilà près de quatre ans — c'est aussi le cas de l'ensemble du Moyen-Orient et de l'Afrique subsaharienne — comment voyez-vous l'avenir des chrétiens de ces régions? Peut-on rester modérément optimiste?

Agnès-Mariam de la Croix. Je ne suis pas du tout optimiste. Je pense que le monde a oublié la valeur de la présence chrétienne dans des sociétés majoritairement musulmanes. Or, il s'agit d'une présence de cohésion, de responsabilisation culturelle et humaine. Bien malheureusement, il semblerait que l'objectif des grandes puissances occidentales consiste à faire revenir nos régions à un état pré-civilisationnel afin d'y instaurer le "chaos creator" qui nous avait été annoncé à l'époque par Condoleezza Rice lors de son voyage à Beyrouth, et pour implanter, ultérieurement, ce que j'ai appelé le "génie du chaos". Ce dernier constitue un crime contre l'humanité. J'espère qu'il se trouvera des personnes de bonne volonté pour créer un réseau de réinformation et de soutien afin que non seulement la présence chrétienne soit sauvegardée mais aussi la présence de toutes les composantes du riche tissu qui définit nos sociétés, moyen-orientales mais aussi nord-africaines. Il faut que des voix s'élèvent enfin et que nous traduisions les coupables, quelle que soit leur nationalité, en justice ».


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