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BFM TV and co détestent les Gilets jaunes mais adorent le Comité Adama Traoré

Auteur : Dominique Muselet | Editeur : Walt | Lundi, 15 Juin 2020 - 07h48

Les médias officiels ont atteint, samedi soir, un sommet dans le deux poids deux mesures qui fait leur charme, en se livrant à un de ces grandioses exercices d’équilibriste dont ils ont le secret, dans une débauche d’hypocrisie qui m’a laissée pantoise…

J’ai ouvert la TV vers 16 heures pour voir où en était la manifestation interdite-mais-tolérée de ce 13 juin, et j’ai zappé d’une chaîne d’information officielle à une autre, essayant de glaner quelque éclair de vérité au hasard d’un direct. Il n’y a que dans les directs, impossibles à contrôler totalement, qu’on peut échapper à l’épaisse propagande déversée à longueur de journée par les médias pour défendre et protéger l’élite, c’est-à-dire les riches qui monopolisent les leviers de commande et tiennent les cordons de la bourse contenant l’argent qu’ils nous extorquent pour financer leurs privilèges, leurs carrières, leurs guerres, leur propagande et augmenter leurs patrimoines déjà exorbitants.

Contrairement à l’une des blagues que nous répètent –sans rire – les économistes à la solde du MEDEF, les riches ne fuient pas la France à cause des impôts dont, en réalité, ils sont largement exemptés. Une rare étude indépendante vient de le démontrer. Nous le savions déjà, nous qui payons plus que de raison, mais à qui il ne servirait à rien de se délocaliser à l’étranger, car partout les gens ordinaires sont accablés d’impôts.

Selon cette étude :

« C’est en France que les riches sont les plus riches … En 20 ans, de 1997 à 2017, le niveau de vie annuel des 10 % les plus riches a progressé de 11 664 euros constants. Certes, il s’est stabilisé dans les années 2010 mais grâce aux mesures d’Emmanuel Macron, on peut espérer qu’ils aient remonté la pente… Au fil de deux décennies, les écarts se sont creusés avec les plus pauvres : aujourd’hui en France, les 10 % les plus riches reçoivent un quart de l’ensemble des revenus après impôts ».

Ça, c’est juste les salaires, il faut y ajouter les patrimoines :

« Les 10 % les plus fortunés possèdent près de la moitié – 46 % – de l’ensemble des patrimoines des ménages ».

Mais revenons à la manifestation organisée par le Comité Vérité et Justice pour Adama Traoré.

D’abord il faut souligner l’intelligence tactique du préfet de Paris, le préfet Lallement, célèbre pour son intrépide répression des Gilets jaunes. Il a quand même à son actif 1 700 blessés, 12 yeux crevés, 4 mains arrachées. Ça ne vaut pas Thiers et sa répression de la Commune de Paris, mais c’était une autre époque. En tout cas, c’est mieux que la Chine à Hong Kong. Le préfet Lallement a imaginé un dispositif ingénieux, en lien avec son ministre de tutelle, Christophe Castaner, célèbre, lui, pour avoir affirmé, envers et contre toutes les preuves visuelles, qu’il n’y avait pas de violences policières contre les Gilets jaunes. Il était alors à plat ventre devant la police, comme il l’est maintenant devant le Comité de soutien d’Adama Traoré. Pardon, là, c’est un genou à terre.

Auteur de la photo : Hervé Germain. Source : Mon gilet jaune (photo Radia Nova), le 12 janvier 2029

Vendredi, le préfet Lallement a annoncé que la manifestation interdite au titre de la loi d’urgence sanitaire serait tolérée au titre de l’émotion, et il a ordonné par décret aux commerçants, qui venaient juste de rouvrir après le confinement qui les avaient privés de recettes pendant deux mois, de fermer leurs établissements sur le parcours prévu par le Comité.

Le préfet Lallemand. Source : La voix du Nord; archives Mathieu CHAMPEAU / AFP

Et samedi, il a laissé 15 000 personnes ( ce sont ses chiffres) s’agglutiner sur la place de la République avant de les nasser pour les empêcher d’emprunter le parcours prévu. Comme d’habitude, sur les plateaux, tout le monde a prétendu que, non, les manifestants n’étaient pas nassés. Mais nous, on va en manif, et on sait que c’est seulement au bout de 2 ou 3 heures que la police commence à relâcher les manifestants au compte-goutte, sinon, bien sûr ils iraient faire leur parcours.

Bref, après les discours et plusieurs heures de nassage, il a commencé à y avoir des échauffourées, comme on pouvait s’y attendre, le préfet en tête. D’ailleurs il était prêt. Armé de Twitter, il a géré la manifestation de main de maître, depuis son quartier général, comme les officiers étasuniens larguent des drones sur les mariages afghans. Il nous a informés, par Twitter, que la manif statique était finie, que les manifestants devaient se disperser dans le calme et que les commerces abusivement fermés pouvaient rouvrir.

Au lieu d’obtempérer, un groupe de manifestants a attaqué un peloton de CRS caché derrière des barrières anti-émeutes, pour le plus grand bonheur des médias et de Macron, qui pourra ainsi donner un ton à la fois martial (transformation de l’état d’urgence en liberté surveillée) et vertueux (plus anti-raciste que moi, tu meurs !) à l’allocution solennelle (plus le monologue est creux, plus son nom est grandiloquent) qu’il nous prépare pour dimanche soir.

Attention, nous ont averti les médias, il ne s’agissait que d’un tout petit groupe qui n’avait rien à voir avec les manifestants du Comité de soutien d’Adama Traoré qui levaient le poing de manière tout à fait pacifique à l’autre bout de la place. C’était un groupe composé uniquement de Gilets jaunes (il suffit qu’il y en ait un dans un rayon de 10 mètres pour que ce soit sa faute), de membres de l’ultra-gauche (bizarrement on n’a pas entendu le terme Black bloc sans doute trop violent dans le contexte), et selon les plateaux et les tendances politiques de l’extrême-droite.

Les médias n’étaient pas aussi nuancés lorsqu’ils commentaient les méfaits des soi-disant ultra-jaunes qui marchaient encagés comme des bêtes derrière un double ou triple cordon de CRS, avant d’être sauvagement attaqués à coup de matraque, de LBD et de canons à eau et d’être emmenés par dizaines dans des fourgons de police, pour être jugés en comparution immédiate et condamnés à de la prison ou des amendes exorbitantes, comme dans les films de Costa-Gavras sur des dictatures d’Amérique latine.

À propos d’extrême-droite, les médias sont pudiquement passés sur les injures antisémites hurlées par des manifestants aux Identitaires qui avaient déployé une banderole contre le racisme anti-blanc. Je m’attendais à ce qu’ils en accusent les Gilets jaunes qui étaient tous des antisémites, vous vous rappelez ? Mais non, ils ont préféré botter en touche.

Je regardais les images de la manif et je me grattais la tête. Il manquait quelque chose, mais quoi ? Ah oui, les canons à eau, les blindés de la gendarmerie, les LBD, les agents provocateurs. Les CRS n’avaient que des gaz lacrymogènes à leur disposition et, le moins qu’on puisse dire, est qu’ils n’en ont pas abusé. Pareil pour les arrestations : 26 personnes (dont 12 Identitaires) dans une manifestation illégale de 15 000 personnes et pas une seule amende. Quand on pense aux canons à eau et aux pluies de gaz et de balles en caoutchouc qui ont accueilli les manifestations tout aussi pacifiques et légitimes des Gilets jaunes, on s’inquiète vraiment pour eux. Perdraient-ils la main ?

Mais non, apprend-on par la bouche de Dominique Rizet, consultant justice police de BFM TV et orfèvre de la langue de bois au service du pouvoir en place, c’est parce que : « c’est la démocratie de permettre la manifestation » illégale, je le rappelle. Mais quand les Gilets jaunes manifestaient en toute légalité, là, c’était la démocratie de les réprimer sauvagement, les tabasser, leur arracher des yeux et des mains et les mettre en garde à vue parce qu’ils avaient un masque (oui, ceux qui sont obligatoires aujourd’hui !) dans leur voiture…

Vendredi c’était la démocratie de laisser la manif illégale aller de la place de la République à l’Opéra, en privant les commerçants de leur gagne-pain ; samedi, c’était la démocratie, de la maintenir statique parce que, entre-temps, le préfet s’était avisé que les policiers, furieux du soupçon avéré de racisme que faisait peser sur eux Castaner, risquaient de ne pas donner le meilleur d’eux-mêmes dans l’exercice de leur fonction ; et bientôt, ce sera la démocratie, d’inscrire l’état d’urgence sanitaire dans la loi… On connait la musique !

Pourquoi les médias sont-ils en extase devant le comité de soutien à Adama Traoré ?

Il y a évidemment la fascination qu’opère la rédemption sur le commun des mortels. Voilà une famille dont les mauvaises langues prétendent qu’elle est composée d’un père, de quatre mères et de 17 enfants, dont 5 seraient des délinquants qui feraient régner la terreur dans certains quartiers, et qui, tout à coup, frappée par la tragédie, se convertit à ce qu’il y a de plus beau au monde aux yeux de médias, puisque ça nous vient des Etats-Unis, l’empire voyou du bien, et que ça arrange le gouvernement qui veut faire oublier sa gestion calamiteuse de la crise sanitaire et la cure de précarité qu’il nous concocte, je veux bien sûr parler de l’antiracisme. Une cause qui semble même avoir dépassé en beauté, en vertu, en urgence, et même en popularité, l’antisémitisme. Ce n’était pas gagné !

Loin de moi, l’idée de me moquer de la rédemption, de l’antiracisme ou de l’antisémitisme, encore plus loin de moi l’idée de nier la douleur de perdre un être cher et la grandeur du combat pour la justice et la vérité.

C’est juste que tous les ingrédients sont réunis pour que les médias s’emballent. Et quand les médias s’emballent, tout devient possible. On a vu comment, aidés par la science, ils ont terrorisé toute la planète avec la pandémie du coronavirus, au point de nous faire tous enfermer pendant deux mois, de décourager les familles de renvoyer leurs enfants à l’école, de causer la faillite de centaines de petites entreprises et commerces, d’appauvrir toujours plus la population.

Le seul obstacle à leur adhésion totale et inconditionnelle, c’est la police. Hélas, la police ne partage pas leur engouement pour la famille Traoré, ni leur foi du charbonnier dans sa rédemption. La police est méfiante par nature et le récent lâchage de son ministre l’a rendue plus méfiante encore. De plus, ce ne sont pas les simples policiers qui ont décidé de la militarisation de la police sous l’égide d’Israël qui a acquis, en plus de 50 ans de répression barbare des Palestiniens, une expertise reconnue par tous les pouvoirs policiers dans le domaine de la guerre contre son propre peuple. Ils n’ont pas non plus décidé de la nouvelle doctrine du maintien de l’ordre. On comprend qu’ils n’aient pas envie de servir de boucs émissaires à ce pouvoir en perdition.

Les médias qui ont soutenue aveuglément la police malgré toutes les exactions qu’elle a commises, avec la bénédiction de sa hiérarchie et de la justice, contre les gilets jaunes et dans les banlieues, ne peuvent pas se permettre de se fâcher avec elle. La sécurité est leur fonds de commerce et il y a une marge entre jouer avec le feu de la délinquance et se priver de ses sources dans la police. Que feraient-ils de leurs innombrables consultants justice police?

Heureusement, les médias sont passés maîtres dans l’art de dire une chose et son contraire, de soutenir tous les camps (sauf les gilets jaunes), de ménager la chèvre et le chou, de critiquer, dénoncer, reprocher, mais pas trop, quitte à nier la réalité, à l’instar de la Macronie qui, fidèle à sa doctrine du en même temps, a choisi de « laisser manifester mais pas trop» comme l’explique avec un demi-sourire un policier du syndicat Unité SGP.

Et donc, les présentateurs tentent de se maintenir sur le fil du rasoir et de ne contrarier ni Assa Traoré, ni la police. Vont-ils faire un faux-pas ? Le suspense est grand. « Tout de même, on a envie d’avoir une police irréprochable », entend-on avec stupeur un commentateur de BFM TV dire à un syndicaliste de la police. Comment la police n’est pas irréprochable ? BFM TV ne nous a-t-il pas toujours affirmé que les Gilets jaunes étaient les seuls responsables de leurs malheurs ?

Si seulement les médias étaient aussi irréprochables qu’ils demandent à la police de l’être !

Sur le coup de 19 heures, juste au moment où on avait enfin trouvé sur les plateaux un bouc émissaire qui mettait tout le monde d’accord, la police, le comité Traoré et les médias, à savoir la justice, sa lenteur, ses ratés et son deux poids deux mesures, le Juge des référés du Conseil d’état, ayant sans doute pris en pitié les pouvoirs en place et leurs porte-paroles médiatiques, a fait cesser le suspense, en décidant de suspendre l’interdiction générale absolue de manifester sur la voie publique. Ouf, il était temps. Ça devenait vraiment casse-gueule ! Même Macron aurait eu du mal à expliquer, pendant son allocution solennelle (enregistrée et retransmise) de dimanche soir, pourquoi on ne pouvait pas se réunir à 10 pour un mariage mais qu’on pouvait se réunir à 15 000 pour une manif de soutien à Adama Traoré.

La seconde raison pour laquelle les médias adorent la famille Traoré et haïssent les Gilets jaunes, c’est parce que la famille Traoré, qui demande un procès équitable au nom de l’antiracisme en se réclamant de Black Lives matter, ne menace pas le pouvoir en place.

Ce n’est pas un mouvement social, à la différence des Gilets jaunes, comme Yves Veyrier l’a très bien dit sur LCI : « Un mouvement social a des revendications sur les salaires, les retraites, le chômage, là, non ».

Ainsi que nous l’explique Paul Street dans un article tout à fait passionnant intitulé : Qu’est-ce que les Black Panthers penseraient de Black Lives Matter ? :

« Black Lives Matter – fondé par trois militantes professionnelles des associations à but non lucratif et de la collecte de fonds (Garza, Cullors et Opal Tometi) ayant depuis longtemps des « liens étroits avec des entreprises, des fondations, des universités et des agences gouvernementales » – ne représente aucune menace similaire aux Black Panthers envers l’ordre établi … Il n’appelle pas à une large rébellion populaire contre les structures d’oppression combinées et interconnectées du racisme, du capitalisme, de l’impérialisme et du patriarcat ».

Qu’est-ce que les Black Panthers penseraient de Black Lives Matter ?

La réponse à la question posée dans le titre nous intéresse tous, Américains comme Français.

D’ailleurs, en août 2016, BLM a « obtenu 100 millions de dollars de la Fondation Ford et d’autres philanthro-capitalistes d’élite (dont la Fondation Hill-Snowden, la Fondation NoVo, Solidaire, JPMorgan Chase et la Fondation Kellogg) ». Dis-moi qui te finance et je te dirai qui tu es…

Croyez-vous vraiment que BFM TV, Castaner, les démocrates étasuniens et tous les progressistes occidentaux qui peuplent les allées du pouvoir encenseraient les manifestants comme ils le font et leur déclareraient allégeance en pliant le genou devant eux, si leur mouvement était véritablement révolutionnaire, au lieu de n’être qu’un mouvement « progressiste, rempli des dernières et meilleures idées libérales et sociales-démocrates pour créer un capitalisme américain plus juste, plus inclusif, plus démocratique et plus durable sur le plan social, économique et racial ».

Rien à voir avec les black panthers, comme l’explique encore Paul Street : « Nous croyons », écrivait en 1969 le ministre de l’Information des Panthers, Eldridge Cleaver, « à la nécessité d’un mouvement révolutionnaire unifié … informé par les principes révolutionnaires du socialisme scientifique ». Formés par de jeunes intellectuels noirs qui avaient lu Marx, Lénine, Mao, W.E.B. Du Bois, Malcom X et Frantz Fanon, les Panthers avaient fusionné le nationalisme noir avec le marxisme dans une opposition militante à tous les maux cités par King, en accord avec sa conclusion selon laquelle la « vraie question à affronter » au-delà des questions « superficielles » était « la reconstruction radicale de la société elle-même ».

La solution, selon les Panthers, était la révolution, une transformation de toute la société, à réaliser en combinant les forces des « prolétariats » noir, brun, jaune, rouge et blanc en opposition à l’empire capitaliste et raciste américain. Cette idée était le « Black Power » mais aussi et, plus largement, le « Power to the People » (« Pouvoir pour le peuple »). Comme l’a expliqué le jeune et légendaire Black Panther de Chicago Fred Hampton dans un discours prononcé en 1969 :

Nous devons faire face à certains faits. Que les masses sont pauvres, que les masses appartiennent à ce que vous appelez la classe inférieure, et quand je parle des masses, je parle des masses blanches, je parle des masses noires, et des masses brunes, et des masses jaunes aussi. Nous devons admettre que certains disent que le feu est le meilleur moyen de combattre le feu, mais nous disons que l’eau est le meilleur moyen d’éteindre le feu. Nous disons qu’on ne combat pas le racisme par le racisme. Nous allons combattre le racisme par la solidarité. Nous disons qu’on ne combat pas le capitalisme en rejetant le capitalisme noir, mais qu’on combat le capitalisme par le socialisme ».

Les Panthers, comme les Gilets jaunes, comme les Communards, comme tous ceux qui remettent en cause les fondements du capitalisme et le pouvoir de la bourgeoisie, ont fait, font et feront toujours face à une répression féroce, c’est même à cela qu’on les reconnait.


- Source : Salaire à Vie

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