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Le Brexit signe la fin de l’illusion de l’UE

Auteur : Karine Bechet-Golovko | Editeur : Walt | Samedi, 01 Févr. 2020 - 07h17

Si le Brexit ne va pas forcément entraîner dans ses pas une vague de sortie des pays de l’UE, faute d’une élite politique apte à reprendre les rênes du pouvoir dans nos pays, il enterre l’illusion d’une Union européenne démocratique au service des peuples. À ce sujet, et le discours de Nigel Farage, et la manière dont le micro lui a été coupé juste avant que le mot « souverain » soit prononcé, quand des drapeaux nationaux britanniques ont heurté la sensibilité de la présidente McGuinness en même temps que le règlement intérieur, illustrent la profondeur du conflit dont nous sommes témoins. « La mondialisation contre le populisme » disait Farage, à moins que ce ne soit la mondialisation contre la démocratie, les deux n’étant pas compatibles. Ce que prouve l’UE.

Le dernier discours de Farage dans l’enceinte du Parlement européen, avant que le départ de la Grande-Bretagne ne devienne définitif ce 31 janvier à 23h, porte tout l’enthousiasme et l’énergie des prisonniers au moment de leur libération.

Le discours de Nigel Farage est une ode à la liberté, une ode à la souveraineté, l’un ne pouvant aller sans l’autre. Il rappelle simplement que les États européens n’ont pas besoin de l’UE pour coopérer et n’oublions pas, en passant, que l’Europe a existé bien avant cette structure mortifère. Il est à espérer qu’elle lui survive.

« Nous n’avons pas besoin d’une Commission européenne, nous n’avons pas besoin d’une Cour européenne, nous n’avons pas besoin des institutions européennes et de tout ce pouvoir et je peux vous promettre qu’à Ukip et au parti Brexit, nous aimons l’Europe, mais nous détestons l’Union européenne. C’est aussi simple que cela ».

L’on peut aimer l’Europe, sans aimer l’UE. Il semblerait même qu’il soit impossible de les aimer ensemble, tellement l’UE se révèle un projet fondamentalement antieuropéen. Loin de l’humanisme des Lumières, loin des valeurs démocratiques que nos systèmes politiques ont tant bien mal cherché à réaliser, sans forcément y arriver, mais sans se permettre de les dénigrer. Or, l’UE est projet non seulement étranger à la notion de démocratie, mais également antidémocratique, comme le souligne Farage.

Étranger, car il bafoue les deux principes de bases d’un système démocratique : le vote populaire des organes de pouvoir et la responsabilité des élus. Si les députés européens sont élus par les populations nationales, les groupes parlementaires européens sont organisés de telle manière qu’ils brisent la répartition politique à laquelle les électeurs sont habitués, vidant ainsi le vote de son sens. Quant aux autres organes décideurs, le lien démocratique est absent.

Antidémocratique, car des structures démocratiquement déficientes imposent leur vision idéologique, non seulement indépendamment de la volonté des peuples, mais contre elle, lorsque cela est nécessaire. Rappelez-vous le rejet par référendum populaire dans plusieurs pays de l’Union du traité européen portant la Constitution européenne, qui est passé finalement plus tard grâce à la veulerie des députés nationaux, sous la pression des instances européennes. Ces instances n’ont pas besoin que les peuples décident par vote, elles n’ont besoin que d’une parodie légitimante.

« En 2005, j’ai vu la Constitution rejetée par les Français par référendum, rejetée par les Hollandais par référendum. Et je vous ai vus vous, dans vos institutions, les ignorer. Ramener [la constitution] en tant que traité de Lisbonne et vous vanter que vous pouviez le faire passer sans référendum », a attaqué l’eurodéputé, rappelant par ailleurs que les Irlandais qui avaient voté « non », avaient été contraint de voter de nouveau.

La conclusion que Farage en tire est parfaitement logique, au regard des traditions européennes :

« J’espère que [le Brexit] signe le début de la fin de ce projet. C’est un mauvais projet. Il est non seulement non démocratique, mais il est antidémocratique ».

C’est effectivement la vision de deux mondes qui s’oppose : la mondialisation, portant la disparition des États comme acteur politique, ne pouvant plus que remplir un rôle de gestion des territoires et des populations qui s’y trouvent ; le populisme, c’est-à-dire la gouvernance par les États, ce qui implique la souveraineté, en fonction de leur calendrier politique et des intérêts de leur peuple.

« Vous détestez peut-être la population, mais je vous dis une chose amusante, elle devient très populaire ».

En effet, le « populisme » devient très populaire, simplement parce qu’il est l’expression traduite dans la Novlangue néolibérale de la démocratie, c’est-à-dire d’un gouvernement de la majorité. Et non pas la gouvernance d’une minorité contre la majorité, comme nous l’observons aujourd’hui dans nos systèmes néolibéraux.

Cette rupture idéologique a atteint son paroxysme lorsque simultanément Farage a fait ses adieux et voulut annoncer que la Grande-Bretagne sera heureuse de collaborer par la suite en tant « qu’État souverain » et que les députés britanniques européens ont levé de petits drapeaux de leur pays. Le micro a très rapidement été coupé avant que le mot sacrilège de « souverain » ne se répande comme une trainée de poudre dans l’hémicycle, il risquerait de rappeler des souvenirs et de donner des envies. Les drapeaux ont provoqué une réaction viscérale de la présidente de session McGuinness, qui a crûment dit aux Anglais de partir avec leur drapeau s’ils ont fini :

« Asseyez-vous, reprenez vos places, rangez vos drapeaux et emportez-les avec vous si vous partez maintenant ».

Ce qui a été fait. Le drapeau est un symbole beaucoup trop fort pour l’UE, qui ne peut se permettre, étant trop faible, une telle concurrence politique.

Pour autant, l’espoir exprimé par Farage d’une grande réflexion dans les pays européens sur l’intérêt de l’UE semble encore précoce. Tout d’abord, parce que la pression médiatique est telle que le discours public est parfaitement maîtrisé, ce qui limite les possibilités pour les populations de réagir. Ensuite, parce que, techniquement, la Grande-Bretagne n’avait pas fait l’erreur fondamentale de l’euro, ce qui facilite les choses. Dans les pays de la zone euro, il faudrait une élite politique qui allie et une compétence (que l’on n’a plus vu depuis bien longtemps et qui fut largement réduite sous l’effet de l’implantation du néomanagement), et une volonté politique implacable (ce que l’on ne voit plus du tout, il est tellement plus confortable de faire semblant, sans avoir la charge d’une réelle activité politique).

Ce qui ne veut pas dire qu’il n’existe pas de mouvement de rejet, de réflexion critique. Mais ils n’emportent aucunes conséquences politiques. Le système néolibéral dans nos pays a réussi à isoler le lieu de la prise de décision de l’expression de la volonté populaire. Ainsi, il est (relativement) possible de s’exprimer, il est (relativement) possible de manifester, puisque de toute manière cela ne changera rien.

Lire aussi: Brexit : ce qui va se passer maintenant (The Conversation)


- Source : Russie politics

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