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La lutte contre la désinformation, une affaire lucrative

Auteur : Oriental Review (Russie) | Editeur : Walt | Lundi, 04 Févr. 2019 - 20h05

La lutte contre la désinformation en Occident devient rapidement une activité lucrative. Des campagnes médiatiques très médiatisées autour des prétendues fausses informations dans la sphère politique ne sont que la partie visible de l’iceberg qui, à bien des égards, cache la réalité et les objectifs de ceux qui sont réellement impliqués. Le phénomène des fausses informations préoccupe particulièrement la communauté internationale, en particulier les pays occidentaux depuis deux ans. L’expression a reçu un regain de popularité remarquable lors des élections présidentielles américaines de 2016.

En 2017, l’éditeur britannique Collins a désigné l’expression « Fake News »  comme le mot de l’année, le définissant comme une information fausse, souvent sensationnelle, dissimulée sous le couvert de reportage.

En réalité, le phénomène des fausses informations est lié à la manière dont le fil d’actualités de Facebook et le service micro-blogging de Twitter fonctionnent. Une grande partie des internautes, principalement occidentaux, utilisent Facebook ou Twitter pour s’informer. Cette préférence, combinée à la tendance des internautes à lire les gros titres, ainsi qu’à la personnalisation des résultats de recherches (Le Filter bubble) a permis d’exercer une influence puissante sur les processus en cours dans la société.

Les ‘Fake News‘  peuvent être définies comme de fausses informations ou la diffusion délibérée de désinformations sur les médias sociaux et traditionnels dans le but de tromper à des fins financières ou politiques. En même temps, réaliser un profit direct selon les mêmes principes tels que les click-baiting pour attirer le trafic n’entraine pas d’importantes conséquences sociales. Des titres accrocheurs ou des faits inventés avec très peu de substances sont utilisés pour créer de telles histoires. Cependant, le dispositif fonctionne de manière complètement différente en matière de propagande politique ou de pratiques commerciale déloyales.

Les entreprises utilisent aujourd’hui activement internet et les médias sociaux. Cela constitue une partie intégrante de leurs stratégies de marketing et permet de relever les défis de longue date à l’aide des nouvelles technologies. Le médial devient de plus en plus exposé aux abus et à la fraude pure et simple. Cela permet toutes sortes d’attaques contre les concurrents, du vol d’informations sensibles et autres contenus, aux escroqueries marketing en ligne et aux opérations complexes, en vue de saper complètement la position des entreprises sur le marché.

Au début de l’année 2017, la multinationale américaine Procter&Gamble, le plus grand annonceur mondial, a entamé une révision de ses contrats de publicité afin d’accroitre la transparence de sa chaine d’approvisionnement. Les experts de P & G ont également élaboré un plan en quatre points, en cours de mise en œuvre,  et dont le but est de rendre le traitement de l’achat des médias plus honnête.

De nombreuses grandes marques d’annonceurs, telles que McDonald’s et L’Oréal, ont également dénoncé la fraude sur le marché de l’achat des médias. Les entreprises optimisent la procédure : elles déterminent les taux d’efficacité, confient la vérification aux entreprise accréditées et passent en revue les contacts en cours afin d’améliorer la transparence.

En mars 2017, un certain nombre de multinationales ont décidé de ne plus faire d’annonces sur des sites appartenant à Google pour des problèmes de « sécurité de marque ». La décision a été prise après avoir découvert que leurs publicités étaient placées à coté d’autres contenus de violences, de haines, et d’extrémismes. Selon une enquête du Times,  de grandes entreprises ont financé par naïveté des extrémistes, des pro-nazies et des pornographes.

Malgré les excuses de Google, les raisons de la distribution apparemment incontrôlée de mauvais contenus sur des sites appartenant au géant des média restent floues. Certains parlementaires britanniques ont estimé que Google profitait toujours des messages de haines. Yvette Cooper, parlementaire, présidente du comité restreint des affaires intérieures, a déclaré que l’échec de Google pour supprimer les vidéos de haines était ‘franchement surprenant’.

En vérité, la présence de matériels en ligne qui pourraient être utilisé pour discréditer des organisations et des individus rivaux est un outil trop efficace pour s’en débarrasser. Et Google le sait mieux que quiconque.

L’utilisation d’informations compromettantes pour détruire des rivaux, y compris des informations fausses ou complétement fabriquées, a une longue histoire en Occident. A la fin du 19e siècle, pratiquement à l’aube des médias de masse, il y a eu des cas  d’utilisation efficace de telles méthodes pour le contrôle du marché des matières premières stratégiques. Il s’agissait notamment de chasser la noble opale du marché européen de la bijouterie, puisqu’à l’époque, elle régnait sur le continent et empêchait le développement en forte croissance de l’industrie du diamant sur laquelle la Grande Bretagne voulait établir un monopole.

Au début des années 1870, la presse européenne commença à publier des récits visant à donner à l’opale une valeur d’usage négative. On a fait croire aux acheteurs potentiels que la pierre pouvait porter malchance à son porteur. Le flot de publications a été suivi des superstitions qu’elles ont générées. Parallèlement,  des informations sur le diamant, peint dans les couleurs les plus positives, ont circulé. L’histoire culmine en 1875 au moment même où l’Espagne se trouvait en plein milieu d’une épidémie de choléra. Le roi Alphonse XII d’Espagne a offert à sa femme la reine Marie de Mercedes une bague d’opale extrêmement belle servant de talisman contre les maladies mortelles. La reine est morte. La bague a été donnée à une princesse qui est également décédée peu de temps après. Le roi lui-même a commencé à porter la bague d’opale et lui aussi a été victime du choléra.

Cette histoire malheureuse a eu un succès retentissant dans la presse européenne de l’époque et a provoqué un long moment de suspicion. Plutôt que de manifester de la sympathie pour les souffrances endurées par la famille royale, les nouvelles alarmantes portaient sur la nocivité de l’opale et des bijoux d’opale. De nombreux exemples historiques ont été cités et qui ont prouvé de manière convaincante que c’était le port de l’opale qui avait entrainé la mort des membres de la famille royale et d’autres personnalités. Plusieurs astrologues, psychiatres, professeurs de médecines et même des géologues ont secoué la tête avec regret en parlant aux consommateurs perplexes de la nocivité de cette pierre précieuse maudite, soulignant les radiations mortelles émises par les opales, leurs capacités à attirer des forces perverses et leurs manières de provoquer de terribles maladies. Après quelques années, il n’y avait plus de marché pour la malheureuse opale. Elle avait éclaté comme une bulle.

Il va s’en dire que les décès dans la famille royale espagnole n’ont pas été causés par les propriétés magiques de l’opale, mais par le système d’eau et d’assainissement mal conçu du palais royal. Quoi qu’il en soit cependant, un segment important du marché de la bijouterie a été purgé d’un concurrent avec succès.

Les technologies de l’information modernes ont en fait rendu l’utilisation de ces méthodes plus accessible à un public plus large. Et pas seulement les géants des médias, mais aussi les multinationales. L’idée des fausses informations s’est tellement banalement répandue, à telle enseigne que la lutte contre l’intoxication est devenu un créneau prometteur d’offre de services.  De plus en plus de start-ups se spécialisent dans la lutte contre les fausses nouvelles en cherchant à en tirer le plus grand profit possible. Les experts estiment que le marché pourrait atteindre 200 milliards de dollar dans les 5 prochaines années.

Il est intéressant de noter que tout en agissant dans l’intérêt de leurs clients, les entreprises qui font dans la lutte contre les fausses nouvelles sont non seulement capables d’assumer des fonctions de protection mais aussi peuvent exécuter des tâches de rectifications et même de prévention afin d’influencer l’opinion publique exactement de la même manière que les campagnes d’intoxication. Cela ne ressemble plus seulement à un combat, mais à une véritable guerre de l’information avec des objectifs commerciaux.

Le danger dans cette situation est que l’espace médiatique ne soit pas débarrassé de la désinformation comme le souhaite la société mais qu’il sera plutôt envahi d’un volume beaucoup plus important d’informations spécialement crées et ciblées. Tout cela sera facilité par les forces du marché puisqu’il est bien connu que là où il y a de la demande, il y a de l’offre..

Comme le note Jonathan Morgan, PDG de la firme de cyber sécurité New Knowledge «  Disons que nous détectons très tôt que des personnes travaillent ensemble pour faire comprendre que Beyonce est une espionne russe. C’est ridicule. Donc si nous le voyons assez tôt, avant que les tendances ne se développent sur Twitter, sur infoWars ou sur Fox, nous pouvons proposer une alternative : Beyonce est une patriote américaine » Cet exemple soulève une question légitime concernant les critères d’évaluation des informations. Qui déterminent si l’information est vraie ou fausse ? Dans la politique et la société d’aujourd’hui, tout n’est pas aussi évident que Jonathan Morgan le croit. Et l’idée que Beyonce soit une espionne russe n’est pas aussi ridicule au vu des accusations portées contre le président américain et son entourage. Il convient de noter que New Knowledge a remporté un franc succès dans sa lutte contre les fausses informations. Financièrement du moins.  Bien que l’efficacité de ses méthodes puisse encore faire l’objet de débat, les 11 millions de dollar que l’entreprise a réussi à amasser en 2018 parlent d’eux mêmes.

Facebook a suspendu les comptes de cinq américains, y compris d’un imminent chercheur des réseaux sociaux, pour avoir prétendument dirigé une campagne de désinformation politique à la russe, lors de l’élection spéciale du sénat en 2017 en Alabama.

Les fondateurs de New Knowledge sont des experts en systèmes de sécurité et en intelligence artificielle qui ont déjà servi dans la NSA. La société a acquis une renommée pour son enquête sur l’ingérence de la Russie dans les élections américaines. Mais à la suite du scandale qui a éclaté aux Etats-Unis à la fin de l’année dernière au sujet des trolls imaginaires russes utilisés par les démocrates contre les républicains, on a découvert que les experts de la société avaient eux-mêmes lancé des cyberattaques contre le républicain Roy Moore, qui prenait part à la course électorale pour devenir sénateur de l’Alabama. A cette fin, New Knowledge a créé mille faux comptes Twitter russes qui ont soudainement commencé à suivre le compte Twitter de Roy Moore, provoquant une réaction négative dans les médias et la société américaine et qui a entrainé une baisse de popularité du républicain pendant la course en Alabama. Le siège a été remporté par son adversaire, le démocrate Doug Jones.

Traduit par Balele Éric Bamouni revu par Martha pour Réseau International


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