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Dimanche, 19 Mai 2024

Bonheur à consommer et à jeter

Auteur : Carlos Miguélez Monroy | Editeur : Walt | Samedi, 20 Oct. 2018 - 19h28

« Le secret du bonheur n’est pas de se marier ou d’avoir un enfant, mais de voyager ». C’est ainsi qu’un journal nomme un « article » qui apparaît dans sa version numérique et qui fait référence aux résultats d’une enquête réalisée par Booking.com, un site de voyage.

Les dizaines de milliers de voyageurs invétérés qui partagent cet article sur Facebook et Twitter ne semblent pas remarquer que l’article donne comme recette du bonheur précisément ce qu’il vend : le voyage.

Mais aucun des trois ne peut vous apporter LE bonheur. Si un bonheur aussi certain et absolu dépendait de quelque chose d’extérieur, nous risquerions peut-être de le confondre avec une projection de nos défauts. Nous pourrions nous retrouver devant l’abîme d’être exclus de la possibilité d’être heureux si nous n’avons pas d’argent pour voyager, si nos obligations ou autres obstacles nous en empêchent.

« Le monde est de plus en plus destiné à nous déprimer. Le bonheur n’est pas très bon pour l’économie. Si nous étions satisfaits de ce que nous avions, pourquoi aurions-nous besoin de plus ? Comment vendre une crème hydratante anti-âge à quelqu’un ? Vous faites en sorte qu’il s’inquiète pour son vieillissement. Comment faire pour que les gens votent pour un parti politique ? Vous les inquiétez avec l’immigration. Comment leur faire souscrire une assurance ? Vous les faîtes s’inquiéter pour tout. Comment vous leur faîtes faire de la chirurgie esthétique ? Vous mettez l’accent sur leurs défauts physiques. Comment les amener à regarder une émission de télévision ? Vous leur faites craindre d’être laissés pour compte, comment les convaincre d’acheter un nouveau Smartphone ? Vous leur donnez l’impression qu’ils sont en retard. Être calme devient donc un acte révolutionnaire« , affirme Matt Haig dans son livre Reasons to Stay Alive, avec une évidence : le moteur de notre système capitaliste est enraciné dans l’insatisfaction et la frustration, avec pour objectif « il faut avoir » pour « être heureux ».

Il ne s’agit plus seulement d’obtenir des choses matérielles. De l’accumulation de voitures, de maisons, de bijoux et d’autres objets matériels, nous sommes passés à l’absurdité de « collectionner des moments ». On peut se demander s’ils se collectionnent sur Facebook, sur Instagram ou dans notre fragile mémoire sélective, incapables de retenir des expériences qui nous échappent comme du sable entre les doigts, peu importe à quel point nous nous y accrochons.

Cette obsession des moments collectés transforme les voyages en recueil de photos d’ici et là : voir le monde non plus à travers l’objectif de l’appareil photo, mais à travers l’écran de son Smartphone, indispensable aussi pour un bonheur désormais inaccessible aux « fous » qui se marient et ont des enfants.

Il n’est peut-être pas nécessaire de parcourir des dizaines de milliers de kilomètres pour profiter d’un coucher de soleil, d’une plage ou d’une forêt, même si nos photos d’Instagram ne nous plaisent pas beaucoup. Mais le marketing a envahi notre langage et notre imaginaire à tel point que beaucoup de gens en viennent à sentir qu’ils passent à côté de leur bonheur avec des expériences et des paysages qu’ils ont à leur portée et à quelques kilomètres de chez eux.

Le financement de diverses pages pour la publication de contenus sur différents supports contribue à l’essor de ce type de livres de recettes, qui ont toujours neuf ou dix clés pour atteindre le succès ou le bonheur en lettres capitales : « les neuf habitudes des gens émotionnellement intelligents », « les neuf habitudes des gens productifs », « le secret du bonheur, selon 12 des philosophes les plus sages de l’histoire ». Même les journalistes abusent de cette simplicité et jouent à ce jeu pour attirer plus de clics et peut-être obtenir plus de publicité des annonceurs : « Les neuf clés pour comprendre le conflit en Syrie », « sept réponses pour atteindre la lumière », « huit conséquences de l’arrivée au pouvoir de Trump ».

Les médias reflètent également ces niveaux élevés d’insatisfaction et de frustration par le bombardement de mauvaises nouvelles et de tragédies. Le consumérisme se nourrit de l’isolement qui découle de la peur et de la déconnexion causées par les menaces qui pèsent sur une zone de confort surévaluée, souvent confondue avec un bonheur authentique et imparfait.

Traduit par Pascal, revu par Martha pour Réseau International


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