www.zejournal.mobi
Jeudi, 09 Mai 2024

Le Conseil de toutes les lâchetés : du Brexit à l’Eurexit

Auteur : Karine Bechet-Golovko | Editeur : Walt | Lundi, 22 Févr. 2016 - 12h17

"Je n’aime pas Bruxelles, mais j’aime la Grande Bretagne". La conclusion lancée au visage comme une gifle souverainiste par D. Cameron négociant (ou imposant ?) le statut spécial de l’Angleterre a sonné le glas du projet européen. En s’applatissant devant les revendications de la Grande Bretagne, l’Union européenne vient de sacrifier l’Europe continentale. Ce que Junker résume par cette phrase : "J’aime Bruxelles plus que d’autres parties de l’Europe". Lisez, l’intérêt de l’UE prime sur l’intérêt des pays européens.

Le 19 février, les dirigeants des pays européens se réunissaient pour discuter des risques du Brexit. Le Brexit est arrivé sur la scène médiatico-politique avec la crise grècque de l’été 2015. C’est donc avant tout un cri de la City, qui vient de comprendre qu’elle a besoin de l’état britannique pour se développer et prospérer. L’âme doit alors trouver les moyens de protéger le corps.

Dès novembre 2015, D. Cameron envoie une lettre à D. Tusk expliquant à quel prix, pour l’UE, la Grande Bretagne est prête à envisager de ne pas quitter l’hyper structure bureaucratique qu’est devenu l’idéal européen. Ses déclarations devant les citoyens britaniques alors sont limpides :

"Que les choses soient claires :la Grande-Bretagne n’est pas intéressée par une Union toujours plus étroite et je vais régler la question".

Depuis, le rapport de force s’est mis en route, le danger étant de faire exploser cette étrangre structure, qui se veut supranationale. D’autres états seraient intéressés par un statut spécial, surtout depuis l’arrivée massive d’immigrés et les crise socio-économiques qui touchent la zone euro.

Comme le relève le correspondant du Monde, le scénario de la sortie de crise a été très bien minuté:

"Londres voulait aussi soigner la « chorégraphie » autour des discussions, tout le monde surjouant un peu en évoquant la difficulté des négociations. Il fallait laisserà M. Cameron la possibilité d’affirmer qu’il s’était battu comme un lion, tandis que les autres membres de l’UE voulaient prouver qu’ils avaient résisté de toutes leurs forces".

Alors que finalement, comme le déclare F. Hollande, avec la subtilité qui le caractérise, il ne s’y passe pas grand chose. Et pour cause, tout est ficelé depuis longtemps entre les pays qui comptent, les autres, doivent avaler, la Grèce ses migrants et le Danemark ses pertes de souveraineté. Non, pas d’autres pays n’auront de statut spécial, les règles devant être les mêmes pour tous - sauf pour la Grande Bretagne. Qui n’est pas comme les autres, elle est un état.

C’est une victoire sans partage de D. Cameron. Il a protégé les éléments de la souveraineté nationale en rejettant le développement de la construction européenne, en mettant fin aux mécanismes intégratifs, tout en protégeant la City et en renforçant le libre-échange. En résumé, voici ce qui a été obtenu:

1.Immigration : "Cameron a obtenu une clause de sauvegarde de sept ans sur certaines aides sociales pour les nouveaux migrants, qui permet de limiter les versements selon une échelle graduelle. Un système sera également mis en place pour indexer les allocations familiales au niveau de vie du pays où vivent les enfants. Cela s’applique aux nouveaux demandeurs mais peut être étendu aux bénéficiaires actuels à partir de 2020.

2.Souveraineté : "David Cameron s’est assuré d’une exemption pour le Royaume-Uni sur "l’Union toujours plus étroite", qui doit être inscrite dans les traités si l’opportunité de leur remaniement se présentait. Le "carton rouge" (permettant de ne pas appliquer un acte de l’UE) est présent sous condition d’une alliance de 55% des votes alloués aux parlements nationaux, ce qui le rend compliqué en pratique. Sur le principe de subsidiarité, Cameron a indiqué qu’il prévoyait de prendre de nouvelles mesures pour protéger la souveraineté britannique".

3.City : "David Cameron revendique avoir obtenu des protections pour la City contre toute discrimination des pays utilisant la monnaie unique, estimant que l’UE reconnaissait "pour la première fois" qu’elle avait plusieurs monnaies".

4.Libre-échange : "Moins de charges administratives, libre-circulation du capital, des biens et des services : telles étaient les demande de Cameron dans ce domaine. Cette partie n’a jamais été vraiment problématique".

Sous ces conditions, évidemment, D. Cameron peut déclarer au maire de Londres, Boris Johnson, pour le convaincre de faire campagne pour le oui au référendum :

"nous serons plus en sécurité, plus forts et plus prospères dans l’Union européenne"

Ce Conseil européen marque un tournant dans la politique européenne. En s’écrasant comme ils l’ont fait, les pays européens continentaux ont signé leur acte de réddition. Au sommet de l’hypocrisie ou de la traîtrise, un tel niveau d’incompétence est inconcevable, l’on appréciera particulièrement les déclarations de F. Hollande, toujours au mieux de sa forme:

"Aujourd’hui, le Royaume-Uni a une place particulière en Europe mais il n’y a pas eu de dérogation aux règles du marché unique"

Déclaration quelque peu surprenante, au regard de la celle de D. Cameron à la fin des négociations, plus proche du monde réel, affirmant "l’Europe à la carte":

« Le Royaume-Uni ne fera jamais partie d’un super Etat de l’Union européenne, le pays n’adoptera jamais l’euro, nous ne participerons pas aux parties de l’Union qui ne fonctionnent pas[Schengen, l’euro] »

En fin de compte, que s’est-il passé ?

La Grande Bretagne n’a jamais caché que l’UE l’intéresse dans son volet économique, permettant de lever les entraves nationales à la circulation des biens, des capitaux et des personnes, surtout lorsque ces personnes sont des hommes d’affaires. Le volet politique n’intéresse pas du tout le pays qui se voit comme une nation souveraine et entend le rester, quant au volet social il n’entre simplement pas dans sa conception de la gouvernance. Au Conseil européen, D. Cameron a obtenu que sa vision politique soit consacrée. Mais qu’elle ne le soit que pour la Grande Bretagne. Et c’est ici que le bât blesse.

Que la Grande Bretagne se batte pour défendre ses intérêts, c’est normal. Que les autres pays européens ne le fasse pas est problématique. Au nom d’une construction "européenne", qui ne porte d’européen plus que le nom. La Grande Bretagne a obtenu le droit de rester un état, au prix des autres états qui se sont écrasés pour sauver une structure qui ne correspond plus au projet pour lequel elle avait été créée. L’UE a bradé l’intérêt des états européens continentaux pour sauver son existence. Et l’on retrouve cette scission historique entre pays européens continentaux et anglo-saxons à nouveau se dresser devant nous.

L’UE se replie sur l’Europe continentale qu’elle continue à affaiblir, à destructurer, à "désétatiser". Ce territoire qui va devoir se débrouiller avec les crises économiques, sociales, les immigrés. Et la Grande Bretagne, protégeant la City de son corps, va pouvoir regarder à distance, aider l’UE à se développer, à créer ce Super-état européen, monstre désarticulé sans colonne vertébrale, le tout en gardant un accès facilité au marché, en protégeant ses institutions étatiques, sans lesquelles aucune société ne peut prospérer.

Il ne reste qu’une voie : "l’Eurexit". Mais avoir le droit d’être un état, aujourd’hui, ça se mérite. Et l’Europe continentale vient d’abdiquer ce droit.


Cela peut vous intéresser

Commentaires

Envoyer votre commentaire avec :



Fermé

Recherche
Vous aimez notre site ?
(230 K)
Derniers Articles
Articles les plus lus
Loading...
Loading...
Loading...