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Vendredi, 26 Avr. 2024

Suspension de facto de la démocratie parlementaire, la situation est terriblement explosive

Auteur : Maxime Tandonnet | Editeur : Walt | Samedi, 27 Mars 2021 - 11h23

Mais le Parlement est complétement marginalisé dans le processus de décision. Depuis la proclamation d’état de guerre par le chef de l’État et l’urgence sanitaire renouvelée à plusieurs reprises, l’autorité se concentre entre les mains du Conseil de Défense réunissant une poignée de dirigeants de l’exécutif qui siège à l’Élysée sous l’autorité du chef de l’État. Même les décisions qui suspendent les libertés (confinement, port du masque, couvre-feu) sont prises par décret. Or, les libertés relèvent en principe de la seule responsabilité du Parlement et de la loi en vertu de l’article 34 de la Constitution. Dès lors que le Parlement est dépossédé de sa compétence, il n’a aucun intérêt à se réunir pour des discussions qui ne débouchent pas sur un vote. Les parlementaires représentent la nation. Leur mission est de voter la loi, pas de s’épancher dans le vide. En refusant de siéger et de se prêter à l’opération de communication de l’exécutif, les députés commencent peut-être à montrer les limites de leur patience. Peut-être…

  • Le Parlement est-il à l’heure actuelle incapable d’assumer sa mission de contrôle de l’action du gouvernement ? L’opacité des administrations a-t-elle dissuadé les députés de demander des comptes ?

Le Parlement est suspendu de facto… Il n’existe que ponctuellement comme faire-valoir de l’exécutif, et encore… La démocratie parlementaire n’est plus qu’une fiction. Le Parlement n’exerce aucun contrôle ni sur le Conseil de Défense qui décide dans la plus totale opacité sans que ses réunions ne donnent lieu à des compte-rendu, ni sur les administrations centrales ou territoriales en vertu du principe de séparation des pouvoirs. À cela s’ajoute l’influence des médias et des « médecins de plateau » qui est déterminante sur les décisions de confinement ou de couvre-feu, par la pression qu’ils exercent sur l’opinion publique. Le circuit du pouvoir qui relie la puissance de feu médiatique, le Conseil de Défense et l’opinion publique, aisément manipulable par la peur, laisse complétement en marge le Parlement qui se présente dans le contexte actuel aux yeux des dirigeants de l’exécutif et de l’opinion comme une institution obsolète.

  • Le coronavirus a-t-il causé le délitement de l’organe législatif ou simplement accentué une tendance qui existait déjà ?

Clairement le coronavirus n’a fait que porter à sa quintessence une évolution déjà en cours. Depuis l’adoption du quinquennat en 2000, l’Assemblée nationale, élue dans la foulée des présidentielles, se trouve dans une dépendance totale envers l’Élysée. Les députés de la majorité sont les obligés du chef de l’État auxquels ils doivent leur élection. Ainsi, ils sont condamnés à une servilité à peu près totale. D’ailleurs, dans l’affaire de la crise sanitaire, ils se font volontiers hara-kiri en votant sans sourciller les renouvellements successifs de l’état d’urgence qui leur sont demandés par l’exécutif. Le drame vient autant du manque de caractère de la représentation nationale que des institutions. Une forme d’autocratie s’est de toute évidence substituée à la démocratie parlementaire. Les décisions (ou non décisions) viennent d’en haut et ne sont pas discutées. Le débat parlementaire sur la politique sanitaire est considéré comme une perte de temps et d’énergie. Au fond, c’est le discours de la présidence « Jupiter » qui trouve à s’appliquer dans le contexte de la crise sanitaire. Un tel dispositif lié à des circonstances exceptionnelles est concevable pour une brève période de quelques semaines. Or il s’éternise, dans l’indifférence générale…  Les fondements mêmes de la démocratie sont suspendus et le Parlement marginalisé.

  • La crise sanitaire va-t-elle déboucher sur une crise parlementaire ?

Non, sans doute pas une crise parlementaire dès lors que le Parlement, en tout cas l’Assemblée nationale, est largement annihilée. Mais une crise de société, sans aucun doute. Les colères qui ne trouvent pas à s’exprimer dans le Parlement risquent de se développer ailleurs notamment dans la rue. L’effacement de la démocratie parlementaire, aggrave la fracture entre la nation et ses dirigeants. Le Parlement sert en principe de courroie de transmission entre les élites dirigeantes et le peuple. Celle-ci a complétement disparu. Les dirigeants politiques se coupent ainsi de la nation. Leurs décisions dans cette crise sanitaire sont ressenties comme imposées d’en haut sans débat et sans concertation : elles suscitent une vague d’incompréhension. Selon une enquête Odoxa-Backbone consulting tirant le bilan d’un an de crise sanitaire, 83% des Français estiment que le gouvernement ne sait pas où il va. Une immense lassitude gagne le pays qui ne trouve plus à s’exprimer à travers ses représentants. La situation est terriblement explosive. Il ne manque que l’étincelle.


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