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Chili : effondrement néolibéral et fin de la post-dictature

Auteur : Paul Walder | Editeur : Walt | Mardi, 22 Oct. 2019 - 22h21

Le Chili a vécu des journées de protestations citoyennes sans précédent dans la mémoire collective immédiate. Il est possible de retrouver des situations similaires pendant la dictature, bien que toutes répondent à des stratégies canalisées et ordonnées avec des objectifs politiques plus limités et visibles.

Les protestations qui secouent toutes les villes chiliennes ces jours-ci, déclenchées par un sujet à première vue anodin d’une augmentation de 30 pesos du tarif du ticket de métro à Santiago, ont explosé en une nuit avec une intensité stupéfiante.

Le rythme des incidents s’accélère. D’abord à Santiago, avec des écoliers en masse ne payant pas le métro, puis des barricades, des affrontements avec des carabiniers dans le centre de la ville pour faire place à une nuit de feu le vendredi 18.

Des centaines d’établissements commerciaux incendiés, des milliers de barricades, des pillages de supermarchés qui s’étendent à toute la ville, l’accent étant mis sur les quartiers les plus reculés et les plus pauvres. Aux petites heures du matin, le gouvernement de Sebastián Piñera a décrété l’état d’urgence et remet la gestion de l’ordre public à un général de l’armée.

Samedi matin, c’est la continuité amplifiée. Sur les places, dans les stations de métro de Santiago, des groupes tapent sur des casseroles, des milliers d’automobilistes klaxonnent et, l’après-midi, des jeunes dressent des barricades incendiaires pour interrompre la circulation.

Malgré le déploiement de la police et de 500 soldats, les citoyens continuent à protester massivement. À cet instant, ce qui avait commencé à Santiago s’étend à d’autres villes du pays. De Concepción à Valparaíso et d’Arica à Punta Arenas. Le prix du ticket de métro à Santiago n’était que l’étincelle.

Piñera, disparu depuis plusieurs heures (une photo diffusée sur les réseaux sociaux l’a montré dans une pizzeria du quartier Alto pendant que la ville brûlait) a déclaré qu’il allait révoquer l’augmentation de 30 pesos du métro. Mais il l’a annoncé trop tard, les protestations se répandaient et l’incendie était en pleine expansion.

Au même moment et encore plus intensément quelques heures après, des centaines de stations de métro, de véhicules, de succursales de banques, de supermarchés, de chaînes de pharmacies, de stations-service, de postes de péage, de délégations de ministères et de mairies étaient incendiés. Tout ce qui représente le pouvoir politique et, en particulier, le pouvoir économique. Parce que l’explosion sociale, qui est politique, trouve son origine dans le contrôle économique.

Les protestations massives ont conduit au chaos et au pillage. Et face à cela, une fois de plus, la réponse du gouvernement a été le contrôle avec le décret du couvre-feu à Santiago de 22:00 à 7:00, qui a plus tard été appliqué à Valparaíso. Malgré l’augmentation des équipements militaires dans les rues et l’interdiction de circuler, la population est restée dans les rues jusqu’à l’aube. Une désobéissance qui exprime aussi une confrontation, une répudiation, contre une armée jusqu’à aujourd’hui identifiée aux violations des droits de l’homme.

L’action du gouvernement a été tardive et inutile. Depuis le début, Piñera a prouvé qu’il ne connaît pas le pays dans lequel il vit. Il y a quelques jours, il a déclaré, sans humour ni ironie, mais peut-être à cause du cynisme de sa classe ou de sa naïveté sincère, que le Chili était une « oasis » en Amérique Latine.

La porte-parole du gouvernement a déclaré que le gouvernement était préoccupé par la tenue du sommet de l’APEC en novembre et de la COP25 en décembre, tout en réaffirmant le « leadership » du président et en insistant pour que le pays retourne à la normale le plus rapidement possible.

Mais c’est à cause de cette compréhension de la « normalité » que les Chiliens se sont élevés. D’une normalité basée sur un ordre qui a livré la vie quotidienne, le présent et l’avenir des générations aux grandes entreprises et leurs profits excessifs.

C’est la hausse des prix des transports publics, mais c’est aussi l’éducation et la santé en tant qu’entreprises, les bas salaires et les horaires de travail épuisants, les dettes écrasantes, les pensions misérables, la corruption politique, les injustices manifestes exprimées en différences sociales, le vol de millions par les officiers des Carabiniers et des forces armées.

C’est l’exclusion sociale et économique, la détérioration de l’éducation, la consommation comme seul horizon et seul sens de la vie. Face à tout cela, les protestations sont contre cette maudite « normalité » imposée par les élites. Face à ce glossaire des misères, la question est de savoir pourquoi cette explosion a pris tant d’années.

Le Chili est un pays qui a été construit pour le plaisir des grandes capitales. Avec une législation faite par des politiciens corrompus achetés par les grandes entreprises, les profits énormes ont été pendant des décennies au détriment de l’exploitation des citoyens, en tant que travailleurs et consommateurs, de la même manière que les ressources naturelles sont exploitées.

Piñera n’est pas le seul responsable. Il aura peut-être bientôt à répondre avec son bureau, mais cette évaluation politique est très prématurée, même si elle est probable. Les responsables sont tous, absolument tous les gouvernements et politiciens qui ont gouverné le Chili depuis la dictature. De « la justice dans la mesure du possible » de Patricio Aylwin, à Ricardo Lagos, avec la livraison finale de tous les services publics à la cupidité des grands investisseurs.

Cette classe politique est aujourd’hui dans un silence total. Et il vaut mieux qu’elle reste silencieuse. Parce que c’est elle qui a approuvé il y a à peine une semaine une réforme fiscale au profit des plus riches, un contrôle préventif de l’identité des mineurs et une réforme des retraites.

Le gouvernement de Piñera insiste sur la normalité dans la mesure où il soutient le maintien du régime qui a donné tant d’avantages aux entreprises et infligé tant de mal aux Chiliens. Jusqu’à présent, il ne veut pas entendre ou est incapable de comprendre qu’il s’agit d’une rébellion qui exprime l’effondrement néolibéral, c’est un choc de grande ampleur, qui n’accepte ni réformes, ni reports, ni modifications difficiles. Le Chili s’est réveillé.

C’est le cri de la fin.

Traduction Réseau International


- Source : Estrategia (Laos)

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