www.zejournal.mobi
Mercredi, 22 Mai 2024

L’épée de Damoclès au-dessus des écuries d’Augias : l’affaire Bygmalion

Auteur : Dominique Jamet | Editeur : Walt | Lundi, 09 Nov. 2015 - 15h53

Qui a fait quoi ? Qui savait quoi ? D’où venait l’argent ? Où est-il allé ? Qui s’est servi au passage ? Et pour quel usage ? Une partie a-t-elle alimenté des caisses noires ? Une partie a-t-elle rempli des poches on ne peut plus privées ?

De révélation en révélation, l’affaire Bygmalion va son train, on n’ose dire de sénateur, et le montant des sommes évoquées comme le nombre et la qualité des personnes impliquées ne cessent de croître. Aux dernières nouvelles, telles que les distille Jérôme Lavrilleux qui, tantôt muet comme une carpe, tantôt bavard comme une pie, tient à préciser qu’il n’a pas l’intention de finir comme Robert Boulin, noyé dans vingt centimètres d’eau, ce n’est pas seulement de dix-neuf millions de fausses factures à payer par l’UMP, mais de dix autres millions d’origine indéterminée qu’il faudrait alourdir le budget de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, dont il estime le coût total à cinquante millions d’euros. Si l’ancien homme de confiance de Jean-François Copé dit vrai, c’est de près de trente millions d’euros qu’aurait été dépassé le montant des dépenses autorisées par la loi. Le plafond n’aurait pas été simplement franchi mais littéralement crevé et qui croira, dans ces conditions, que le personnel dirigeant de l’UMP, l’état-major de campagne et le candidat lui-même aient été tenus dans l’ignorance du délit dont ils étaient organisateurs, acteurs et bénéficiaires ?

On souhaite bien du plaisir aux magistrats instructeurs qui ont, et plus tard au tribunal qui aura, la très lourde charge de démêler le complexe écheveau des culpabilités, des complicités, des faiblesses, des ignorances volontaires ou réelles et de s’y retrouver dans le flot des faux témoignages, des vraies accusations, des dénégations, des contradictions, des mensonges et de l’omerta qui caractérisent une affaire et une époque où l’UMP, pas encore rebaptisée « républicaine », était plutôt du genre mafieux.

Certes, ne serait-ce que d’un point de vue moral, on peut se réjouir que celui qui, quoi qu’il dise, semble bien avoir été le cerveau et le cœur du système, ait finalement été recalé par le corps électoral. Et l’on serait tenté de saluer une justice qui, le glaive à la main, ayant desserré le bandeau qui lui couvre parfois les yeux, poursuit indifféremment, impartialement, sans haine et sans crainte les puissants et les misérables. Quel beau tableau allégorique cela nous aurait fait, du temps où il y avait des Salons, avec un titre à la Michel Audiard : L’épée de Damoclès plane sur les écuries d’Augias !

Ne soyons pas naïfs. Quelle que soit l’issue judiciaire de l’affaire Bygmalion, celle-ci illustre parfaitement la réalité, en permanence scandaleuse, de notre démocratie à deux vitesses. Tandis que les petits partis, par vertu ou par nécessité, respectent les règles compliquées et contraignantes qui encadrent notre vie politique, les grands partis de gouvernement, non contents de bénéficier des subventions de l’État en fonction des voix et des sièges qu’ils recueillent, recourent pour boucler leur budget et financer leurs diverses activités à des méthodes et à des sources de financement opaques. L’argent qui y coule à flots irrigue mystérieusement leurs terres, leurs fiefs et leurs campagnes. Qui sait, au cas où le Parti socialiste – on ne sait jamais – viendrait à perdre le pouvoir, si la justice ne trouverait pas, comme ce fut le cas par le passé, quelques irrégularités dans ses comptes ?

Et c’est ici que le bât blesse. Croit-on vraiment, si Nicolas Sarkozy avait été réélu en 2012, que la justice de notre pays déploierait le même zèle pour dévoiler et punir ses éventuelles turpitudes ? Rappelons-nous l’étonnante jurisprudence qu’inaugura le Conseil constitutionnel, alors présidé par Roland Dumas, en faveur de Jacques Chirac. Les comptes frauduleux de celui-ci auraient dû être rejetés et, donc, son élection à la présidence de la République annulée. Trop compliqué, décidèrent les Sages, où irions-nous si nous nous mêlions de faire respecter les lois sans nous soucier des conséquences ? Et c’est ainsi que Supermenteur fut admis à passer avec la France un premier bail, renouvelé pour notre malheur en 2002.

La menace d’une mise en examen, d’une comparution, voire d’une condamnation pèse sur Nicolas Sarkozy. L’éventuelle mise en œuvre de cette menace peut à tout instant faire trébucher le président des Républicains sur le chemin de grande randonnée qui est censé le reconduire rue du faubourg Saint-Honoré. Les choses et les hommes étant ce qu’ils sont, y verrait-on une preuve d’indépendance ou une démonstration de la partialité, voire de la servilité de certains magistrats ? L’abandon des poursuites contre l’ancien président de la République serait une démission. Son procès ne servirait l’image ni de la justice ni du prévenu ni de la politique. L’affaire Bygmalion n’a pas fini de nous empoisonner.


- Source : Dominique Jamet

Cela peut vous intéresser

Commentaires

Envoyer votre commentaire avec :



Fermé

Recherche
Vous aimez notre site ?
(230 K)
Derniers Articles
Articles les plus lus
Loading...
Loading...
Loading...