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Comment Bruxelles veut protéger les abeilles sans bannir les pesticides

Auteur : | Editeur : Admin | Samedi, 02 Févr. 2013 - 13h23

Comment Bruxelles veut protéger les abeilles sans bannir les pesticides

 La Commission européenne a annoncé, jeudi 31 janvier, une série de restrictions concernant trois pesticides, suspectés par l’Agence européenne de la sécurité des aliments (EFSA) d’accroître la mortalité abeilles. Ces trois néonicotinoïdes – le Clothianidin, l’Imidacloprid et le Thiametoxam, omniprésents dans l’agriculture sous les noms, par exemple, de Cruiser ou de Gaucho – pourraient voir leur usage limité au sein de l’Union européenne pendant deux ans, à compter du 1er juillet, si les Etats membres valident les mesures proposées par Bruxelles.

 La Commission avait déjà annoncé qu’une « interdiction totale ne serait pas justifiée ». Elle a finalement choisi de cibler uniquement les cultures attractives pour les abeilles pollinisatrices (le colza, le tournesol, le coton et le maïs) et non les céréales d’hiver, comme le blé ou l’orge. La Commission prévoit aussi de limiter leur usage aux professionnels, alors qu’ils ont largement fait leur entrée dans les jardins et les potagers des particuliers.

Pour le moment, ce sont les Etats membres qui, chacun de leur côté, ont pris des mesures contre ces substances. Comme la France, qui a retiré l’autorisation de mise sur le marché du Cruiser en juillet, accusé d’égarer les abeilles, qui meurent de ne jamais retrouver leur ruche. S’il est banni des champs de colza, ce produit est toutefois encore autorisé dans ceux de maïs. L’Italie et l’Allemagne interdisent quant à eux ces trois pesticides pour le maïs, les Pays-Bas les ont exclus des cultures qui attirent les abeilles, tandis que la Slovénie les a totalement proscrits.

« COMPLÈTEMENT INEFFICACE »

La proposition formulée à Bruxellesa suscité de sérieuses réserves de la part de plusieurs pays, notamment l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Espagne. En France, la confédération paysanne a jugé « scandaleux » que les restrictions de ces pesticides ne concernent que certaines cultures. Le syndicat dénonce une proposition « qui indique une totale méconnaissance de la question », à moins « qu’il ne s’agisse encore une fois de défendre les intérêts industriels ».

Le fait que ces interdictions ne ciblent que certaines cultures, et pour une durée de deux ans seulement, est aussi dénoncé par l’Union nationale de l’apiculture française, qui prône l’interdiction totale de ces néonicotinoïdes. Son président, Olivier Belval, qualifie la mesure de « complètement inefficace » dans ces conditions, même s’il s’agit d’un« premier pas », « attendu depuis une vingtaine d’années ».

En effet, ces pesticides ont la particularité de persister pendant des années dans la terre. Ainsi, si un agriculteur traite son champ pour son blé d’hiver, le produit sera toujours bien présent dans le sol au printemps, pour sa nouvelle culture. En outre, explique Olivier Belval, les plantes, en transpirant, concentrent ces substances toxiques dans les goutelettes qui perlent au bout de leurs feuilles – la guttation. Or les abeilles puisent dans ces goutelettes, riches en sucre et sels minéraux, mais aussi en pesticides, pour boire et ramener, chaque matin, de l’eau à la ruche. Autre source d’exposition : les pesticides présents dans les poussières sont emmenés par le vent et déposés sur les fleurs butinées par les abeilles à des kilomètres des champs traités.

De son côté, Dave Goulson, professeur à l’université de Stirling, au Royaume-Uni, estime que la durée de l’interdiction proposée par la Commission sera trop limitée pour percevoir une amélioration de la santé des abeilles, « étant donné la longévité des néonicotinoïdes dans le sol« . La mesure a cependant un avantage à ses yeux : elle donnera l’opportunité de mesurer le rôle réel de ces pesticides dans l’augmentation des rendements, loin d’être prouvé selon lui.

UN DANGER DÉSORMAIS RECONNU

Mi-janvier, déjà, l’EFSA avait pointé la dangerosité de ces trois pesticides dits « systémiques » qui, au lieu d’être épandus sur les cultures, enrobent la graine avant qu’elles ne soit semée. La plante sécrète ensuite la substance toxique tout au long de son développement. La dose létale de ces produits étant de quelques milliardièmes de gramme par abeille, un simple contact peut être fatal à l’insecte.   

La reconnaissance de cette dangerosité était attendue de longue date par les apiculteurs et écologistes. Mais pour le président de l’UNAF, le tout n’est pas simplement d’interdire ces pesticides, mais aussi de « régler le scandale à l’origine de la mise sur le marché de ces néonicotinoïdes, due à des conflits d’intérêts et à l’entrée systématique de puissants lobbies industriels dans les décisions européennes ».

Sur ce point l’EFSA admettait en juillet que les protocoles conçus pour évaluer les risques de ces pesticides, et pour autoriser leur mise sur le marché, présentent une série de faiblesses et d’incohérences sérieuses. Par exemple, rien n’est prévu pour tester les produits qui, comme les néonicotinoïdes, imprègnent la plante tout au long de sa croissance ; l’exposition des abeilles par inhalation, aux poussières, à la guttation, ou encore l’exposition des larves, ne sont pas prises en compte ; la taille des champs testés représentent une portion dérisoire (de 0,01 à 0,05 %) du territoire exploré par l’abeille, etc.

SYNDROME D’EFFONDREMENT

Au fil des années, les études scientifiques ont permis d’établir que ces pesticides néonicotinoïdes ont bien un impact mortel sur les abeilles, notamment en les déboussolant. En parallèle, les colonies d’abeilles des pays industrialisés s’effondrent, sans que la cause de cette mortalité – passée de 5 % à 30 % en une quinzaine d’années, et qui peut atteindre 85 % des colonies, selon l’AFP – n’apparaisse clairement.

Face aux arguments déployés par l’EFSA, les agrochimistes Bayer et Syngenta font valoir que les bénéfices tirés des néonicotinoïdes s’élèveraient à 4,5 milliards d’euros par an pour l’économie européenne, et que leur abandon se solderait par la destruction de 50 000 emplois agricoles, d’après eux. Ce à quoi l’UNAF rétorque que l’activité des insectes pollinisateurs, cruciale pour l’alimentation humaine, « se traduit sur le plan économique par des services évalués au niveau mondial à 153 milliards d’euros », soit près de 10 % de la valeur de la production mondiale de produits agricoles. « Aux Etats-Unis, où les colonies d’abeilles ont été détruites, ce service de pollinisation, généralement gratuit en Europe, est devenu très cher« , explique son président.

Angela Bolis sur Le Monde


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