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Comment l’industrie pharmaceutique a vendu son âme… Acte I

Auteur : Dr Violaine GUERIN | Editeur : Walt | Vendredi, 26 Juin 2020 - 07h16

L'histoire du parcours d'un médicament n'est pas un long fleuve tranquille.  Elle se raconte en trois actes. Le premier s'intéresse à la création du médicament : comment ? En combien de temps ? Qui ?  Le second acte évoquera comment des financements peuvent intervenir au "bon moment". Enfin le troisième et dernier acte s'attardera sur les conflits d'intérêt en citant le scandale du LancetGate. 

La recherche médicale avait jadis des objectifs louables :

comprendre une maladie donnée, trouver un ou des traitements pour la soigner et mettre au point des techniques de prévention.

La finalité était le soin des patients, dans un contexte de bénéfice/risque et la mise au point de nouveaux médicaments pour une pathologie donnée ayant un ou des traitement(s) de référence avait pour seul objectif d’améliorer l’efficacité et/ou la tolérance du traitement.

En 30 ans, différents paramètres ont transformé l’industrie du médicament en un business mondialement organisé, si lucratif que l’éthique a totalement quitté ce champ de la médecine qui est désormais manipulé par des personnes et groupes d’intérêt dépourvus d’humanité et dont la santé des patients est le cadet des soucis.

Tout le monde n’en a pas conscience, il est urgent d’ouvrir les yeux !

La crise du coronavirus est un cas d’école.

Comment créer un médicament ?

La mise au point d’un médicament destiné à être utilisé chez l’homme est dans le champ de la recherche et du développement (R&D) et peut se résumer en deux grandes étapes : la recherche pré-clinique et la recherche clinique.

En pré-clinique, plusieurs aspects sont travaillés :

1/ la découverte d’un principe actif auquel on attribue un nom qui sera sa dénomination commune internationale (DCI),

2/ la galénique qui est la mise en forme du principe actif en fonction de la voie d’administration choisie (comprimé, gélule, ampoule, …),

3/ la mise en test in vitro si applicable pour la pathologie étudiée,

4/ la mise en test sur différentes espèces animales pour évaluer avant toute chose la toxicité, puis l’efficacité s’il y a des modèles animaux pertinents pour une pathologie donnée,

5/ l’évaluation de la stabilité du produit qui permet de définir ses conditions de conservation et de péremption.

En clinique, on passe en test chez l’être humain, en 4 phases. Ce développement a pour objectif d’obtenir une autorisation de mise sur le marché (AMM) dans une indication clinique donnée. Exemple : traitement de la polyarthrite rhumatoïde

La Phase I analyse la tolérance du traitement. La « première administration chez l’homme » est réalisée sur un petit groupe de personnes, en général des volontaires sains, à différentes doses inspirées des informations recueillies lors des tests sur les animaux, en particulier, chez les singes (études réalisées par le passé).

La Phase II a pour objectif de trouver la dose la plus adaptée pour obtenir une efficacité thérapeutique dans un contexte de tolérance optimal eu égard au bénéfice/risque par rapport à la pathologie étudiée. Elle est réalisée chez des personnes malades.

Cette phase de recherche est complexe et prend beaucoup de temps quand elle est bien faite. C’est à ce stade que l’on doit également évaluer les interactions médicamenteuses possibles en cas de co-prescription et l’impact sur les comorbidités dont un patient peut souffrir, en particulier sur le sujet des insuffisances hépatiques et rénales, le foie et les reins étant les deux voies préférentielles d’élimination des médicaments.

La Phase III se résume en général à une grande étude sur une population de gens malades où le médicament va être testé soit contre placebo s’il n’existe pas encore de traitement de la pathologie, soit contre un produit faisant déjà référence, l’intérêt étant alors de prouver une meilleure efficacité et/ou une meilleure tolérance que l’existant.

Pour une évaluation objective, les études de phase III doivent être conduites « en double aveugle », c’est-à-dire que ni le patient, ni le médecin réalisant l’évaluation du traitement ne connaissent le produit administré. Pour ce faire, l’inclusion dans l’étude se fait par tirage au sort du traitement (randomisation) et les lots cliniques (médicaments ou placebo) doivent être identiques dans leur présentation.

La Phase IV concerne des études permettant d’approfondir la connaissance du médicament. Elles ont, avec le temps, perdu cet objectif et sont devenues des études de « prescription » pour inciter les médecins à tester le médicament une fois obtenue l’AMM.

Le développement correct d’un médicament dure entre 10 et 15 ans,

En fonction des difficultés rencontrées et pouvant survenir à tous les stades, qu’ils soient pré-cliniques ou cliniques. Cela nécessite des investissements très importants.

Un suivi de la tolérance doit être effectué après la mise sur le marché, c’est ce que l’on appelle la pharmacovigilance. C’est une surveillance fondamentale, car l’utilisation à très grande échelle d’un médicament peut révéler de nouveaux effets indésirables, des événements peuvent n’être visibles qu’à grande distance de l’administration et les complications secondaires aux usages chroniques ne peuvent généralement pas être évalués sur les phases III dont la durée est limitée.

Trente années de dérive en R&D

Par le passé, chaque pays avait une agence du médicament, qui était responsable de l’évaluation des dossiers et attribuait les AMM. Les développements cliniques étaient alors faits pays par pays, en particulier les phases III. Ceci avait une pertinence puisque ces études étaient réalisées dans le contexte de soin du pays et avec une population représentative du pays.

On ne prend pas en charge de la même façon un patient souffrant d’un infarctus du myocarde en France, en Biélorussie et au Mali, par exemple, et les profils des patients ne sont pas les mêmes.

Trois éléments majeurs sont venus pervertir la R&D dans le secteur de l’industrie pharmaceutique : le profit, la mondialisation des études cliniques et la centralisation des AMM pour ce qui est de l’Europe.

Le profit

Dans une économie de court terme, 10-15 ans de R&D c’est trop long quand on veut un retour sur investissement rapide. A ce stade, il convient de rappeler, qu’à l’origine, les entreprises de « la pharma » furent créées le plus souvent par des pharmaciens ou des médecins et que leur développement était souvent familial. La plupart de ces laboratoires, où qualité du travail et éthique étaient deux valeurs essentielles, ont tous été vendus avec le temps pour devenir des entreprises cotées en bourse avec un objectif central de rentabilité. On assiste depuis à des phases de concentration et déconcentration de cette industrie aux airs de big bang/big crunch avec des stratégies d’externalisation maximales de la coûteuse R&D qui ont conduit à l’avènement des entreprises de « biotech » chargées de trouver de nouvelles molécules et des CRO (contract research organization) mandatées pour en assurer le développement.

Pour financer les screenings de molécules et débuter leur développement, les biotech recherchent des investisseurs et ne peuvent les attirer qu’avec des promesses de rentabilité faramineuses sous-tendues par des annonces de résultats prometteurs, pas toujours faciles à décrypter pour des non scientifiques. Mais, cela marche et biotech et laboratoires pharmaceutiques savent parfaitement manipuler les cours de bourses avec les annonces faites autour du mot presque magique de « PIPELINE », traduisez le nombre de molécules « dans le tuyau » du développement. Rien de mieux pour créer du mouvement en bourse que d’annoncer la fusion de structures, la création de joint-venture ou des partenariats de commercialisation alors qu’aucune certitude thérapeutique n’existe encore. Rien de mieux également pour créer du mouvement en bourse que l’annonce d’un arrêt de développement favorisant une OPA (offre publique d’achat) potentielle pour racheter un concurrent.

Un développement de 10 ans, c’est un peu long pour créer du mouvement, c’est là qu’interviennent les CRO.

Au 19e siècle la recherche était empirique puis s’est petit à petit structurée de telle sorte que chaque laboratoire conséquent disposait d’une équipe de R&D et assurait elle-même cette partie du « D » de façon consciencieuse. Des médecins étaient sollicités en tant qu’« investigateurs » pour tester les nouvelles molécules auprès des patients. L’avènement du recueil du consentement éclairé des patients a été très important pour garantir une transparence aux études faites sur le terrain et les Bonnes Pratiques Cliniques (BPC) ont apporté une démarche qualité très utile en recherche. Le métier d’attaché de recherche clinique (ARC) est né et les données cliniques recueillies auprès des investigateurs étaient soigneusement consignées dans des cahiers d’observation eux-mêmes soigneusement analysés par les médecins de R&D pour en vérifier la cohérence avant analyse statistique, ce travail générant souvent des allers-retours de questions entre médecins investigateurs et médecins de R&D. Les observations saisies étaient alors de bonne qualité, les informations de tolérance étaient correctement documentées, en aveugle.

On était à ce stade dans le bon côté du concept d’Evidence-Based Medicine de Gordon Guyatt avec prise en compte de l’expertise des cliniciens, du patient et de données cliniques fiables, recueillies avec transparence et éthique.

Mais, la qualité a un coût et prend du temps, tous paramètres incompatibles avec un retour sur investissement (ROI - return on investment) rapide. La sous-traitance des études cliniques a débuté, les CRO sont nées avec pour objectif de faire plus vite et moins cher. Les cahiers d’observation des patients n’ont plus été analysés un par un par des médecins et les informations collectées ont été saisies dans des bases de données dont la cohérence est devenue douteuse.

La mondialisation des études cliniques

Recruter des patients pour une étude clinique est également un processus long, il a fallu trouver des solutions pour le raccourcir. On a motivé des investigateurs en les rémunérant fortement et on s’est mis à faire du développement multi-pays, en particulier dans des pays où les patients n’étaient pas pris en charge par des systèmes de santé efficients, comme ce fut le cas dans les années 90 en Europe centrale. Quand 10 patients pouvaient être recrutés par semaine en France dans une étude sur l’infarctus du myocarde, il était aisé d’en recruter 100 en Roumanie ou en Hongrie ; les investigateurs étaient motivés par la recherche, les possibilités offertes à leurs patients n’ayant pas accès aux soins et un précieux revenu.

L’industrie pharmaceutique a compris qu’en mondialisant ainsi la recherche, le temps de R&D pouvait être compressé et s’est donc mise à communiquer sur des « BLOCKBUSTER » de leur pipeline qui ont inéluctablement passionné les cours de bourse.

Mais, démontrer une meilleure efficacité et ou tolérance de produits existants, en particulier sur des marchés aussi lucratifs que les pathologies inflammatoires, les maladies coronariennes, l’hypertension artérielle ou le diabète, c’est extrêmement difficile. Sont donc nées les études de « non-infériorité » dans lesquelles il suffit d’obtenir une équivalence avec le(s) produit(s) référents, en arrivant à démontrer quelques micros avantages à prescrire cette nouvelle molécule, travail réalisé, entre autres, par les très actives structures de lobbying des laboratoires.

Deux objectifs à cela :

contrer la problématique des pertes de brevets sur les molécules originales et obtenir un meilleur prix de vente dans les négociations avec les Etats.

La centralisation des AMM

En Europe, un paramètre également fondamental à prendre en compte, a été la création de l’Agence Européenne du Médicament, EMEA, initialement basée à Londres. L’attribution d’une AMM a donc évolué sur plusieurs années, passant d’une AMM par pays à une procédure de reconnaissance mutuelle entre les pays européens pour finir par une procédure centralisée. Lors de l’instauration de la procédure centralisée, un laboratoire définissait de façon très stratégique à quel pays il allait confier l’évaluation de ses dossiers et les deux critères majeurs étaient la rapidité de réponse qui allait être donnée et le minimum de questions qui seraient posées, voire le minimum d’investigations complémentaires exigées. A cette période, la Suède est devenue la championne des enregistrements et la France a été quasiment exclue du processus.

Tout cela était bien sûr plus économique que scientifique et a conduit à de nombreuses dérives, toutes en défaveur des patients.


- Source : FranceSoir

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