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Vendredi, 19 Avr. 2024

Macron tente de passer en force pour casser les retraites

Auteur : Jacques Valentin | Editeur : Walt | Jeudi, 06 Févr. 2020 - 09h25

Première Partie: Le Conseil d’État épingle la réforme

La réforme des retraites, mesure phare de la présidence Macron a été approuvé le 24 janvier en conseil des ministres. Le conseil d’Etat (CE) qui évalue la cohérence et l’impact des lois et prévient des risques d’anti-constitutionnalité, a émis un avis d’une rare sévérité. Il n’a disposé que de trois semaines pour examiner le projet, pendant lesquelles le gouvernement l’a modifié à plusieurs reprises. Le CE l’a toutefois jugé lacunaire, c’est-à-dire que la réforme n’est pas correctement chiffrée en terme de recettes et de dépenses.

D’innombrables dispositions structurantes échappent au législateur et sont renvoyées à 29 ordonnances dont le président déciderait avec le gouvernement. L’étendue du recours aux ordonnances est telle que le Parlement va voter une loi largement vidée de son contenu, que l’exécutif écrira ensuite dans les coulisses. Le pouvoir tente ainsi par tous les moyens de dissimuler la gravité des atteintes aux droits à la retraite des travailleurs.

Six chercheurs, dont l'économiste Thomas Piketty, estiment dans une tribune du Monde que l'étude d'impact n'a donc «aucune valeur informative» et «alimente le soupçon de dissimulation des effets réels de la réforme».

Néanmoins, même le rapport préparé par le Conseil d’État sous ces conditions donne raison aux pires craintes des travailleurs mobilisés en lutte contre cette réforme. La casse des différents systèmes de retraite et le passage à un système de retraites par «points» de valeur monétaire variable prépare en effet une baisse généralisée des niveaux de vie des travailleurs retraités.

La réforme est constituée de deux projets de loi, une loi ordinaire fusionnant les 42 systèmes de retraites existants, applicable aux personnes nées à partir de 1975 et une loi organique qui porte l’obligation d’équilibre budgétaire du système. Cette loi, applicable dès 2025, prévoit le pilotage unifié du système de retraite et impose l’équilibre budgétaire sur une période glissante de cinq ans, soit en réduisant le montant des retraites soit en retardant la date de départ en retraite et en augmentant les années de cotisation.

Auparavant, quand le système de retraite entrait en déficit, les gouvernements imposaient des réformes négociées avec les partenaires sociaux pour réduire les retraites notamment en 1995, 2003 et 2010. Ces réformes donnaient lieu à des grèves souvent importantes, mais les réformes adoptées étaient de plus en plus défavorables à la classe ouvrière.

La classe dirigeante voulait absolument se libérer du carcan de ces négociations périodiques, politiquement risquées, l’obligeant malgré tout à faire certaines concessions aux travailleurs. Elle a chargé Macron d’imposer une réforme permettant de rabaisser automatiquement les retraites en organisant la diminution des recettes qui leurs sont dédiées. Ceci intervient après d’autres attaques sociale dont la loi travail, la réduction drastique des allocations-chômage, la casse des statuts des fonctionnaires et des cheminots, et les attaques contre le logement social.

Le retour à l’équilibre pourra intervenir dans le cadre du vote annuel du budget des retraites. Le gouvernement veut aussi plafonner la part des dépenses de retraite à un maximum de 14 pour cent du PIB, avec un objectif de baisse à 13 pour cent, voire moins en 2050. Avec l’augmentation de l’espérance de vie, les crises économiques et le vieillissement de la population, ceci se traduirait mécaniquement par de fortes baisses des niveaux des pensions.

La pénibilité n’est prise en compte qu’à la marge, seulement pour les marins qui vont conserver leur âge de départ anticipé. Pour les autres corps de métiers, les départs anticipés existants pour travail pénible sont plafonnés à 2 ans de retraite anticipée et dépendent donc de l’âge de départ légal. De nombreux salariés exerçant des travaux pénibles ou manipulant des produits nocifs n’y ont pas accès. Les travailleurs concernés, souvent en mauvaise santé, doivent pourtant chercher du travail jusqu’à un âge avancé, avec de longues périodes de chômage à la clé.

Sous le fallacieux prétexte d’être plus équitable, le système universel à point vise en réalité à durcir les inégalités en reportant de façon beaucoup plus précise les inégalités de revenus de la vie active sur le montant des retraites. Les inégalités d’espérance de vie étant fortement corrélées au niveau de revenu, les retraités plus aisés sont assurés également d’une durée bien plus longue.

Le gouvernement claironne que la réforme garantira un minimum de revenu aux travailleurs les plus modestes. En réalité, le minimum de retraite passera de 973 euros pour les salariés du privé et 900 euros pour les agriculteurs à 1000 euros pour tous, à condition d’avoir effectué la totalité du nombre d’années de cotisations exigibles, alors que l’âge de départ en retraite augmentera sans cesse. Il ne s’appliquera pas rétroactivement aux personnes retraitées avant 2022, ainsi l'augmentation sera dérisoire pour le privé et ne s'appliquera qu'à un petit nombre de paysans, le nombre de paysans en activité ayant beaucoup diminué.

Un minimum d’à peine 85 pour cent du SMIC pour 2025 a été évoqué par Philippe, mais ce minimum ne sera pas indexé sur le SMIC. Il suivra l’évolution de l’ensemble du futur système de retraite dont la revalorisation sera vraisemblablement très inférieure à l’inflation.

Avec les bas salaires, les périodes de chômage, l’intérim, les carrières hachées et le calcul des pensions sur toute la durée de vie travaillée, le nombre de retraités au minimum ou en dessous augmentera fortement dans les années à venir, bien avant l’entrée en vigueur du nouveau dispositif. Le gouvernement veut poursuivre et aggraver la trajectoire actuelle de paupérisation des retraités qui caractérise son action. Déjà la CSG a impacté les retraites; la fixation de la revalorisation des retraites très en dessous de l’inflation depuis deux ans, marque elle une rupture sans précédent en France.

L’exemple allemand souligne la volonté d’appauvrir les travailleurs retraités à travers l’Europe.

L’Allemagne étant la puissance économique dominante en Europe, la France tente de s’aligner sur elle, en généralisant le travail précaire et les retraites de misère.

Depuis les lois Hartz de 2003-2005 du gouvernement social-démocrate, le secteur des travailleurs pauvres a énormément augmenté en Allemagne. Selon l’Office fédéral de la statistique, les salaires réels moyens allemands se situent en-dessous du niveau de 1995. Les faibles revenus ont connu une baisse réelle horaire allant jusqu’à 20 pour cent depuis 1995; les hauts revenus eux ont augmenté considérablement.

L’âge de la retraite a été porté de 65 à 67 ans par une réforme entrée en vigueur en 2012 et devrait même à moyen terme passer à 69 ans. Selon l’Institut allemand de recherche économique (DIW), la proportion de retraités pauvres devrait passer de 16,8 à 21,6 pour cent d’ici à 2039.

A titre de comparaison, selon Eurostat, en 2017, le taux de pauvreté des plus de 65 ans était de 17 pour cent en Allemagne, contre «seulement» 7,8 pour cent en France. La situation est si dramatique que Berlin a décidé d’une hausse du minimum vieillesse au 1er janvier 2021. La retraite misérable allemande ressemble trait pour trait au minimum retraite annoncé par Philippe en France.

La situation des travailleurs âgés en France reste toujours très préoccupante, du fait de la crise de 2008 et des carrières qui s’allongent sans cesse à cause des réformes des retraites déjà intervenues. En 2018, le taux de chômage chez les actifs de plus de 55 ans était de 6,5 pour cent, inférieur à le moyenne générale de 9,1 pour cent certes, mais avec des évolutions très inquiétantes.

2,6 pour cent des 55-64 ans ont abandonné toute recherche d’emploi et se trouvent le plus souvent en situation de grande pauvreté aux minima sociaux. Le nombre de chômeurs chez les seniors a augmenté de 179% pour cent pour les plus de 55 ans contre 21 pour cent pour les 15-64 ans sur la décennie 2008-2018. Les séniors au chômage ont beaucoup de difficulté à retrouver du travail, ainsi 60% des plus de 55 ans étaient au chômage depuis plus d’un an en 2018, contre 41,8% pour l’ensemble des chômeurs de 15 à 64 ans.

25,5 pour cent des plus de 55 ans occupaient un emploi à temps partiel en 2019, contre 18,5 pour cent des autres actifs. Le nombre de retraités pauvres va donc augmenter fortement et le recul de l’âge de la retraite qui interviendra rapidement va encore aggraver l’impact de la réforme sur les retraités.

Toutefois, malgré la montée de la colère sociale en Allemagne en parallèle avec les grèves en France, les appareils syndicaux et les partis établis de part et d’autre du Rhin n’ont rien fait pour unifier les luttes croissantes des travailleurs français et allemands.

2e Partie: les appareils syndicaux préparent les retraites par capitalisation

Malgré la fin de la grève des transports à la RATP et à la SNCF, l’opposition des travailleurs au projet de loi sur les retraites que veut imposer le gouvernement reste massive. Les grèves se poursuivent dans de nombreux secteurs et la participation aux manifestations partout en France est importante. Les sondages montrent le soutien continu aux grévistes et l’opposition grandissante à la réforme dans l’opinion, ainsi qu’un effondrement du soutien à l’action et à la réforme du président.

Les syndicats viennent de commencer à négocier le volet financier du projet de retraite, comme si de rien n’était, alors qu’une grève des transports de six semaines se termine à peine. La CGT vient de mettre fin à son opposition de façade avec la CFDT, et le chef de la CGT Philippe Martinez assiste aux négociations pour organiser l'austérité avec les autres dirigeants syndicaaux.

Tout en organisant des coupes drastiques pour le futur régime de retraite, leur réforme fait des cadeaux fastueux aux groupes financiers pour leurs produits de retraite par capitalisation et autres placements. L’asservissement de Macron à la finance s’est illustré, comme l’a révélé le Canard Enchainé, par l’organisation d’un mini-Davos au sein même du palais de l’Élysée au mois d'octobre 2017. L’Élysée a été privatisé pour l’occasion, du jamais vu en France, pour inviter les pontes de la finance internationale, dont la multinationale BlackRock. Cinq ministres, dont Edouard Philippe ainsi que le président sont venus leur faire des courbettes.

Pour satisfaire les groupes financiers, les cotisations qui sont obligatoires jusqu'à 324.000 euros de salaire annuel ne le seront plus que jusqu'à 120 000 euros dans le futur régime. Au-delà sera acquittée une cotisation de solidarité de 2,81 pour cent non génératrice de droits. Selon Les Echos, de 300 à 350.000 assurés sont concernés: 200.000 salariés, 100.000 libéraux, 30.000 artisans-commerçants agriculteurs et 15.000 fonctionnaires ou salariés des régimes spéciaux.

Un salarié payé 200.000 euros annuels verra ses cotisations allégées de 6.000 euros sur la partie supérieure à 120.000 euros. S'il gagne 300.000 euros, il gagnera 13.400 euros de revenu net.

Cela entraînera une perte de recettes de 4,5 milliards d’euros par an pour le régime de retraite. C’est une très bonne affaire pour les entreprises, qui ne paieront plus leur part des cotisations pour les salariés concernés et surtout c’est une aubaine extraordinaire pour les grands groupes financiers qui verront affluer de très nombreux gros clients à la recherche de placements pour leur épargne.

Avec la loi Pacte et via différents dispositifs, le gouvernement veut inciter les couches sociales les plus aisées à cotiser dans des systèmes de retraites complémentaires privés, tandis que la retraite de la grande majorité des travailleurs qui n’y auront pas accès sera sans cesse réduite.

Alors que le projet de loi apparaît de plus en plus pour ce qu’il est, un coup de force contre les travailleurs rejeté par l’opinion, le fait que le gouvernement ait pu déposer le projet de loi dans les délais prévu, malgré les grèves et les manifestations, tient au rôle traître joué par les syndicats. Ceux-ci ont participés sans faiblir pendant deux ans à l’imposture des négociations avec Jean-Paul Delevoye, le Haut-commissaire à la Réforme des retraites, selon un mécanisme bien rodé qu’ils ont également suivi pour tous les autres projets de casse sociale du gouvernement.

La décision des appareils syndicaux de négocier la réforme des retraites est réactionnaire et régressive, car il n’y a rien à négocier avec le gouvernement.

Le premier ministre a indiqué que les mesures proposées étaient non négociables, avec trois milliards d'euros d'économies à faire dès 2022, augmentées par palier à 12 milliards en 2027 pour préparer les mesures d’austérité encore plus drastiques qui prévaudront avec la retraite à point. Il a clairement expliqué que dans la négociation les syndicats pourront «choisir» entre porter la retraite à 64 ans ou sabrer dans le montant des retraites. Cela n’a pas dissuadé les syndicats de venir négocier.

Les fédérations syndicales oeuvrent contre leurs propres bases

La décision des centrales syndicales de négocier la casse des acquis sociaux est significative, car la réforme de Macron vise en particulier leurs propres bases: les travailleurs du secteur public. Le gouvernement a promis un âge de départ spécifique dérogatoire pour les militaires et les policiers, qui sont devenus les piliers du régime pour attaquer les manifestants. En général, par contre, la réforme appauvrit les fonctionnaires, un des objectifs essentiels de la réforme étant de débarrasser l’État de la gestion de leurs retraites.

Cétait d’autant plus urgent qu’une loi de 2019 permet d’embaucher de plus en plus d’agents de droit privé dans l’administration, aggravant ainsi le déficit du système actuel. Les fonctionnaires partent dans le meilleur des cas avec 75 pour cent du dernier salaire, pour ceux ayant effectué une carrière complète dans l’administration et ayant toutes leurs annuités. La retraite est calculée hors les primes qui sont une composante souvent importante de leur salaire. Ces 75 pour cent compensent les très longues périodes de début de carrière mal payées de la plupart des fonctionnaires.

Malgré cela les retraites restent faibles pour les agents d’exécution de catégorie C, représentant environ 50 pour cent des emplois et dont les salaires de fin de carrière restent modestes. On s’attend donc à ce que la réforme entraîne une baisse considérable du niveau des retraites.

La nécessité de comités d’action inédpendants des syndicats

Face au rôle réactionnaire des appareils syndicaux et de leurs alliés, la voie pour aller de l’avant est de construire des comités d’action, indépendants des syndicats. Déjà, les grèves et les luttes ne s’organisent que lorsque la base déborde les appareils syndicaux et leur impose la grève. Au courant de l’année dernière, à travers le monde – avec les grèves de l’automobile aux USA et au Mexique, des plantations de thé au Sri Lanka, ou dans les manifestations en Algérie et en Irak – les luttes commencent uniquement quand les travailleurs débordent les vieux appareils.

Ce phénomène de radicalisation de la base s’est progressivement amplifié au cours de 2019, notamment en France sous l’influence depuis 15 mois du mouvement des "gilets jaunes". En temps normal, les syndicats français se contentaient d’organiser des grèves ponctuelles ou perlées inefficaces, qui ont pour seul but de démoraliser les travailleurs.

Ce phénomène est lié à la transformation radicale de la fonction sociale des syndicats qui ne représentent plus les travailleurs mais sont liés par une multitude de liens à la classe dirigeante, contre laquelle ils sont impuissants dans une société capitaliste mondialisée.

Dans le contexte du capitalisme en déclin, de la montée vertigineuse des inégalités sociales et du pillage des richesses par une élite minuscule, les syndicats sont étroitement associés au démantèlement des acquis sociaux. Dépourvus d’une base ouvrière de masse, et dépendant financièrement du patronat et de l’État, ils négocient l’austérité pour assurer la compétitivité de «leur» capitalisme. Dans tous les pays, ils suivent attentivement le niveau d’exploitation des travailleurs pour que l’activité économique soit plus rentable que chez leurs rivaux économiques.

Les «gilets jaunes» ont démontré par contre la force potentielle d’un mouvement organisé indépendamment des syndicats, et qui refuse la perspective de négocier avec l’État. Le Parti de l’égalité socialiste insiste que ce mouvement, qui mobilisait à peine quelques centaines de milliers de personnes, a démontré la puissance potentielle d’un mouvement qui mobiliserait les travailleurs dans leur ensemble en France et internationalement dans une lutte pour le pouvoir. Les organes qui permettraient d’organiser une telle lutte sont des comités d’action indépendants, mobilisés sur une perspective internationaliste, socialiste et révolutionnaire.


- Source : WSWS

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