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Pourrait-on cesser d’accuser l’Afrique de surpopulation ?

Auteur : La Relève et la Peste | Editeur : Walt | Vendredi, 02 Août 2019 - 18h13

« Qu’est-ce que c’est que toutes ces famines en Éthiopie ? Quel est le problème exactement ?  Le problème, c’est trop peu de terres pour trop de gens. » Sir David Attenborough

Les voix qui s’élèvent pour clamer que le monde est surpeuplé le font depuis plus de deux-cents ans, depuis une période où la Terre comptait peut-être un milliard d’habitants. Nous sommes environ huit fois plus nombreux aujourd’hui, et il est devenu normal de blâmer ces milliards de personnes – nous – pour les maux qui accablent la « nature ».

Nous sommes trop nombreux et nous épuisons les ressources de la planète. Mais est-ce la réalité ? Et que doit-on faire pour résoudre ce problème ?

Il est nécessaire de citer une série de chiffres si l’on veut parvenir à une réponse raisonnée. Le premier est bien sûr le nombre d’habitants dans une région donnée à une époque donnée. Ce chiffre, bien évidemment, change constamment avec la naissance de nouveaux enfants et la mort de personnes âgées.

Crédit photo : Wegener

Le deuxième facteur important est donc la cadence à laquelle la population mondiale croît. Voilà la base sur laquelle repose toute prévision. Si l’on s’attarde un instant sur ces deux chiffres, on se trouve face à une première surprise : la population globale est certes en augmentation, mais le taux de croissance, lui, est en régression depuis les années 1970.

Ce n’est pas tout, car le taux de fertilité lui aussi est en baisse. Dans le Nord global, soit dans les pays les plus riches (appelons-les simplement le Nord), il est passé en-dessous du seuil de renouvellement, comme d’ailleurs dans près de la moitié des pays du monde. Si l’on détachait cette moitié de l’autre, la population serait en fait en train d’y décroître. Des problèmes ne tarderaient alors pas à apparaître car il n’y aurait plus assez de travailleurs actifs pour prendre soin de tous ceux qui ont besoin d’aide, mais laissons cela de côté.

Si ce n’est pas ce qui se passe en ce moment, c’est parce que la population totale dans le Nord ne diminue pas : elle augmente, bien que lentement (à un taux de 0,7% en Amérique du Nord et de 0,2% dans l’Union européenne). Cela est dû à l’arrivée de gens du Sud global (le Sud), soit de pays plus pauvres. Donc le Nord, en lui-même, ne connaît pas plus de problèmes de surpopulation qu’au cours des dernières générations. Mais les taux de croissance de la population dans le Sud sont plus élevés que dans le Nord, et dépassent le seuil de renouvellement.

La population dans son ensemble y est en croissance ; donc s’il existe réellement un problème de surpopulation, il faut le chercher dans le Sud. C’est ce que veulent dire la plupart des défenseurs de l’environnement quand ils pointent du doigt la « surpopulation ».

Ajoutons maintenant un autre facteur, celui de la densité de population, c’est-à-dire le nombre d’habitants par kilomètre carré. Si l’on considère uniquement l’Afrique subsaharienne (l’Afrique est le continent dont le taux de fertilité est le plus élevé, c’est donc un exemple clé), le taux de croissance de la population est élevé (2,7%), mais la densité de population est en réalité très basse. En fait, pour un carré de cent kilomètres de côté, il y a un demi-million d’habitants en Afrique contre plus de quatre millions en Angleterre. En termes de surpopulation, le problème de l’Afrique n’est donc pas du tout comparable à celui de l’Angleterre. Il est vrai que, si le taux de croissance se maintient au taux actuel, une surpopulation surviendrait dans le futur ; il est par ailleurs parfaitement vrai, comme peut le constater tout visiteur, que les grandes villes d’Afrique sont terriblement surpeuplées.

Crédit photo : Annie Spratt

Pourquoi le taux de croissance est-il très bas dans le Nord mais haut dans le Sud ? Les facteurs sont probablement multiples, mais une chose semble claire : le taux chute quand le niveau de vie augmente. Il y a bien sûr de multiples raisons pour avoir des enfants, mais certains principes de base semblent s’appliquer : lorsque les gens ont un niveau de vie élevé, ils ont un plus grand sentiment de sécurité et dépendent moins d’une famille nombreuse pour prendre soin d’eux dans l’infirmité ou la vieillesse.

Ils pensent également que leurs enfants risquent moins de mourir en bas âge. Quoi qu’il en soit – soit dit en passant, l’idée que les femmes africaines ne savent pas comment diminuer leur fertilité est aussi sotte que raciste –, on fait en moyenne moins d’enfants quand on est riche que quand on est pauvre. Donc, s’il est vrai que la population de l’Afrique subsaharienne est en forte augmentation, celle-ci a lieu dans une région du monde bien moins peuplée que le Nord global.

Introduisons un autre facteur encore : la consommation. Il est crucial car la question de la population ne devient problématique que si elle dépasse le seuil jusque auquel un territoire peut fournir des ressources sans que son environnement soit dévasté. Le terme de « consommation » englobe évidemment bien plus de choses que ce que les gens mangent. Le plus important est peut-être la quantité d’énergie nécessaire à la production de nourriture, au logement, aux transports et à tout ce qui est consommé. Ce n’est pas aussi simple que ça en a l’air.

Crédit photo : Doug Linstedt

Pour prendre un exemple, si vous avez une vieille voiture en piètre état qui utilise beaucoup d’essence polluante, mais que vous l’avez depuis des décennies et que vous ne voyagez que sur de courtes distances, vous utilisez peut-être moins d’énergie et causez moins de pollution que si vous possédez une voiture électrique que vous changez régulièrement. La même quantité d’énergie est utilisée pour fabriquer une nouvelle voiture que lorsqu’on en utilise une vieille pendant des années, et l’énergie nécessaire pour faire fonctionner les deux est grosso modo la même, que le carburant se trouve dans le réservoir embarqué ou qu’il provienne d’une centrale électrique.

Il y a bien sûr des centaines de variables, mais l’important reste que plus les gens consomment, plus leur impact sur l’environnement est grand. Il n’y a pas de bonne façon de mesurer cela mais, pour se faire une idée, on peut se tourner vers la manière courante de mesurer la richesse, le produit intérieur brut (PIB). Pour simplifier, on peut dire que les habitants des pays ayant un PIB élevé vont généralement consommer davantage que ceux des pays ayant un PIB modeste.

Si l’on applique ce raisonnement à notre exemple de l’Afrique subsaharienne, nous voyons que le PIB par habitant aux États-Unis est environ quarante fois plus élevé que celui de l’Africain moyen. Alors oui, la population africaine croît rapidement, c’est vrai, mais le continent est peu peuplé et sa consommation par habitant est extrêmement basse.

Quelles que soient leurs aspirations, beaucoup de gens en Afrique ne monteront jamais dans un avion, ne rouleront jamais dans leur propre voiture, n’auront pas une nouvelle machine à laver ou un nouveau téléviseur tous les deux ans, utilisent peu d’électricité ou de carburants fossiles et ne jettent pas chaque jour des quantités astronomiques de nourriture.

Nous pouvons en conclure que, si la surpopulation est un problème parce qu’elle grève les ressources de la planète, alors le meilleur endroit où régler ce problème le plus efficacement n’est absolument pas en Afrique, mais au Nord, en réduisant la consommation, car le Nord utilise aujourd’hui bien plus que sa part de ressources. Ensuite, si les taux de croissance démographique continuent de chuter là où le niveau de vie augmente, le meilleur moyen de traiter la question – en Afrique même – est sûrement de stopper le flux massif de ressources qui quittent le continent et de faire en sorte qu’une plus grande part de ses immenses richesses naturelles restent sur place et bénéficient enfin à leurs propriétaires légitimes.

Crédit photo : Oladimeji Odunsi

En d’autres termes, pour traiter le problème de la « surpopulation », les pays riches doivent faire deux choses : consommer moins et cesser de piller les ressources de l’Afrique. Toutes les deux impliquent qu’il y en ait moins pour le Nord global, et c’est bien sûr là que le bât blesse avec mon explication simplifiée.

Celle-ci suggère en effet que la réponse à la surpopulation et à l’usage excessif de ressources précieuses n’a rien à voir avec une réduction du nombre d’Africains, mais simplement qu’il y ait des règles du jeu plus équitables entre eux et ceux d’entre nous dans le Nord qui prenons et consommons leurs richesses. Mais comme le mouvement de protection de l’environnement et sa crainte de la surpopulation viennent du même endroit, les pays riches, il sera toujours plus facile et plus gratifiant de rejeter la faute sur le trop grand nombre d’Africains pauvres et de fermer les yeux sur le vrai coupable, qui se reflète dans notre miroir. Le fait que l’accusé soit généralement noir et que l’accusateur soit généralement blanc ne devrait pas échapper à notre attention !

Et les famines en Éthiopie dont parle Attenborough ? En réalité, elles surviennent depuis des siècles, depuis une époque où le pays comptait infiniment moins d’habitants. Les famines bien connues des années 1980 – qui nous ont donné le refrain accrocheur et inepte du Band Aid de 1985, « Do they know it’s Christmas ? » – furent largement le fait de violentes politiques gouvernementales, du vol de terres et de ressources, et de la guerre. En 1984, la BBC parla d’une famine « biblique », ce qui aurait pu encourager Attenborough et d’autres à faire le lien avec l’Histoire.

Pourrait-on cesser d’accuser l’Afrique de surpopulation ?

Sir David Attenborough Credit photo : John Cairns / Creative commons


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