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Affaire Tapie : une relaxe, trois leçons

Auteur : Régis de Castelnau | Editeur : Walt | Mardi, 16 Juill. 2019 - 17h06

Ainsi donc, il s’est trouvé une collégialité de magistrats, en l’occurrence ceux du Tribunal correctionnel de Paris pour refuser de poursuivre à l’encontre de Bernard Tapie ce qui n’était rien d’autre qu’une vendetta politique. Le courageux et juridiquement très solide jugement de relaxe rendu par la 13e chambre au profit des personnes poursuivies pour, excusez du peu, escroquerie en bande organisée, ne fait pas plaisir qu’aux seuls prévenus, mais également à tous ceux qui sont attachés à une Justice impartiale et respectueuse du droit. Est-ce le retour enfin à un fonctionnement normal de l’institution, ou bien un acte isolé qui sera sans lendemain, voyant se poursuivre une dérive souvent signalée dans ces colonnes ?

Nous verrons, mais en tout cas un certain nombre de leçons peuvent être tirées de ce qui vient de se passer. Tout d’abord et quoiqu’en disent les commentateurs habituels de la presse de délation, la décision judiciaire remet un peu de clarté dans une affaire qui avait été compliquée à dessein. Ensuite c’est une défaite cuisante pour les tenants d’une justice instrumentalisée par le pouvoir politique, notamment au travers des deux institutions créées à cet effet : le Parquet National Financier, et le Pôle d’instruction financier. Et enfin on présentera quelques observations concernant le considérable scandale dans lequel s’inscrit l’affaire Tapie qui n’en est n’est qu’une petite partie. C’est celui du Crédit Lyonnais qui n’a eu aucune conséquence pour ses responsables, et dont le règlement d’une facture monstrueuse a été mis à la charge du contribuable par une opération qui a permis à certains acteurs de continuer à se gaver sur le dos des citoyens.

Une affaire simple

L’affaire Tapie était au départ assez simple, c’était l’histoire d’une escroquerie. Durant les années fric, des dirigeants du Crédit Lyonnais ou de ses filiales se sont servis de l’histrion Bernard Tapie pour réaliser un certain nombre d’acrobaties qui les ont enrichis en même temps que le soi-disant homme d’affaires. Énergique bateleur de talent Bernard Tapie, avait bénéficié de la complaisance de certaines élites et en particulier de celle du parti socialiste. Cependant les méthodes de ruffian utilisées par l’aventurier ont fini par trouver leur limites professionnelles, financières, et judiciaires. C’est le moment qui fut choisi par les banquiers, pour réaliser une dernière opération juteuse. Ils avaient aidé Bernard Tapie à racheter Adidas, entreprise emblématique d’équipements sportifs. Le morceau étant trop gros pour ses compétences, il ne s’en était guère occupé et il fut convaincu par la banque que le moment était venu de la vendre. Celle-ci se fit confier une mission de conseil et d’ingénierie financière pour y procéder. Elle proposa un prix de vente acceptée par Bernard Tapie et pris en charge la recherche d’un acquéreur. Et c’est là qu’a commencé l’invraisemblable arnaque dont l’homme d’affaires a été la victime. Fut discrètement créée par la banque dans un paradis fiscal une société écran à laquelle le rachat d’Adidas fut proposé au prix conseillé à Tapie. Qui bien évidemment ignorait les liens de cette société avec sa propre banque conseil. Le problème c’est qu’en parallèle le Crédit Lyonnais s’était engagé secrètement avec un autre preneur pour un prix bien supérieur. Une fois Adidas rachetée à la société écran, celle-ci procéda à sa revente à l’acheteur final, encaissant évidemment la confortable plus-value ainsi dégagée qui vint s’ajouter aux honoraires de transaction qu’elle percevait déjà. En bon français cela s’appelle une escroquerie, et en Droit pénal du même nom aussi, réprimée par l’article 331–un du Code pénal. Tout ce petit monde aurait dû se retrouver sur les bancs d’une juridiction pénale avant de goûter à la paille humide des cachots. Rien de tel ne s’est produit, et lorsque Bernard Tapie, après avoir roulé tant de monde, s’est aperçu qu’il s’était fait joliment avoir, il en fut suffisamment contrarié, pour demander aux juridictions françaises de le restaurer dans ses droits. Et c’est là que réside un autre scandale qui n’a choqué personne. 20 ans plus tard, après moult rebondissements de procédure, si les juridictions avaient reconnu la mauvaise foi de la banque, Bernard Tapie qui avait entre-temps connu une déconfiture provoquée par la même banque (!) n’était toujours pas indemnisé ! Certes la justice doit prendre son temps mais à ces niveaux-là cela devient vertigineux.

L’homme d’affaires soucieux de gagner du temps, obtint le soutien de l’État dans la mise en place d’une procédure d’arbitrage avec le CDR dont le principe était légal et dont le tribunal correctionnel vient de dire qu’elle s’était déroulée normalement et en tout cas dans des conditions qui ne relevaient pas de la justice pénale. On peut considérer qu’était une faveur l’appui évoqué de Nicolas Sarkozy à l’organisation de cet arbitrage qui allait permettre à Bernard Tapie de ne pas subir la longueur scandaleuse de la procédure judiciaire. Mais ne change pas grand-chose dans la mesure où l’arbitrage mené dans les règles déboucha sur une décision de compromis équilibrée pour ce type d’affaire. Même en ce qui concerne le poste « préjudice moral » qui fit tant hurler. Mais c’est cette faveur qui fut à l’origine de ses ennuis postérieurs après l’arrivée au pouvoir de François Hollande. Celui-ci obsédé par un éventuel retour de Nicolas Sarkozy n’a pas hésité à mettre en place un dispositif judiciaire et médiatique lui permettant d’instrumentaliser sans vergogne la justice pour se débarrasser de celui qu’il considérait comme son pire ennemi.

La fin du « cabinet noir » ?

Nicolas Sarkozy relativement apprécié dans les couches populaires, a toujours suscité une haine étonnante dans les couches moyennes et supérieures. Les motifs de ce rejet sont de diverses natures, mais l’ancien président est encore aujourd’hui poursuivi par des haines et des rancunes tenaces. Dès son premier mandat, occupant emblématique du fameux « mur des cons » il a fait l’objet d’une détestation compulsive dans une grande partie de la magistrature, au sein de laquelle nombreux étaient ceux qui abdiquant toute impartialité et se comportant plutôt en militants rêvaient de lui faire la peau. La chasse judiciaire au Sarkozy avait commencé bien avant l’élection présidentielle de 2012, l’objectif étant de peser sur celle-ci, ce qui fut fait par exemple avec les débuts de l’affaire du « financement libyen » dont tout le monde s’accorde à constater aujourd’hui l’absence totale de consistance malgré une instruction exclusivement à charge de près de huit ans. J’ai été amené à de très nombreuses reprises, et souvent plaidant dans le vide, à dénoncer les conditions dans lesquelles les instructions étaient menées par les magistrats du Pôle d’instruction financier.

Après sa défaite, la chasse médiatico-judiciaire au Sarkozy fut officiellement ouverte et on vit se multiplier à tout propos des procédures dans lesquelles on faisait de visibles efforts pour installer l’ancien président devant le collimateur. Il y eut d’abord un certain désordre qui aboutit par exemple à la délocalisation du dossier Bettencourt à Bordeaux ou un magistrat instructeur multipliant les acrobaties n’eut de cesse que de mettre Nicolas Sarkozy et ses amis politiques en examen. L’évidence imposa le non-lieu, et la relaxe ensuite de Éric Woerth à l’audience, ce qui eut le don de beaucoup chagriner Edwy Plenel qui inventa pour la circonstance la licorne juridique « d’innocents coupables » ! C’est que Mediapart a toujours joué un rôle particulier dans toutes ces affaires. De très méchantes langues, ne reculant devant aucune calomnie, racontent que le site de Plenel entretiendrait des relations de services réciproques avec les secteurs chargés des enquêtes et des instructions. Évidemment, personne ne peut croire une chose pareille.

Profitant de l’affaire Cahuzac, pour flanquer le Pôle d’instruction financier pourtant déjà fort zélé dans la chasse au Sarkozy, François Hollande fit créer un Parquet National Financier (PNF) pour contrôler également les enquêtes préliminaires et les ouvertures d’information judiciaire. Mettant en place avec ce couple une sorte de juridiction d’exception à la disposition du pouvoir exécutif. On ne reviendra pas ici sur toutes les affaires qui de Sarkozy à Jean-Luc Mélenchon, en passant par François Fillon, le Marine Le Pen, Gérard Collomb et Bernard Tapie ont montré les libertés rocambolesques que l’on pouvait prendre avec les principes qui régissent le procès pénal sans que cela chagrine beaucoup la Cour de cassation. On se contentera de rappeler l’aveu candide d’Éliane Houlette patronne du PNF alors sur le départ, aux journalistes de Marianne : « Je n’ai jamais subi aucune pression ». Pardi, pourquoi en aurait-il fallu ?

Nicolas Sarkozy a cette particularité d’avoir fait évoluer le droit français moins comme chef de l’exécutif que comme justiciable objet d’un acharnement constant. Toutes les initiatives acrobatiques des juges d’instruction et en particulier celles de Serge Tournaire qui a également épinglé François Fillon à son tableau de chasse, ont été validé par la chambre d’instruction de la cour de Paris puis par la Cour de cassation. C’est ainsi qu’ont disparus dans les faits le secret professionnel des avocats, le principe d’interprétation restrictive de la loi pénale, la règle non bis in idem, et autres principes essentiels.

François Hollande quant à lui, comme l’avait parfaitement démontré le livre « Bienvenu place Beauvau », a mis en place un système visant à instrumentaliser justice et police contre les opposants. « Le retour aux affaires de ces chiraquiens nourrit bien évidemment le soupçon sarkozyste de l’existence d’un cabinet noir. Il n’est pas possible d’en apporter la preuve formelle. Comme il n’est pas possible de prouver le contraire ! Mais l’addition d’indices trouble de témoignages étonnants interroge. » Ce livre qui décrit beaucoup d’autres choses et en particulier le déclenchement de l’affaire Tapie à la demande du pouvoir socialiste est très intéressant, même si paru au moment du rodéo judiciaire contre François Fillon, ses auteurs journalistes au Canard enchaîné en ont prestement renié les termes.

On a donc demandé au PNF et au pôle d’instruction financier de s’occuper du cas de Bernard Tapie. Toute la procédure pénale qui vient de s’effondrer devant le tribunal correctionnel de Paris a été conduite par ces deux instances dans le but de faire accroire que l’arbitrage et la procédure qui l’accompagnait n’était qu’une opération d’escroquerie en bande organisée. Bernard Tapie et ses « complices » ont eu droit au grand jeu que permet cette qualification ainsi qu’un lynchage médiatique en grand organisé grâce comme d’habitude aux violations sélectives du secret de l’instruction. Le caractère public de l’audience et le talent tranquille de Hervé Temime ont permis de voir ce qu’en valait l’aune.

Le problème c’est qu’en parallèle le même pouvoir politique s’est arrangé pour mettre en cause l’arbitrage sur le plan civil. Et c’est ainsi que celui-ci, avec une célérité nouvelle, se retrouva annulé par la cour d’appel de Paris et Bernard Tapie condamné à rembourser les sommes perçues à la suite de la sentence arbitrale. Ce qui permet aux ignorants de venir dire aujourd’hui que s’il a été relaxé au plan pénal, Bernard Tapie ne l’a pas été au plan civil ! Le fait est que l’on se retrouve avec deux décisions contradictoires dans l’ordre juridique national. Et il y a deux raisons cela, la première étant la suppression stupide du principe : « le criminel tient le civil en état », soi-disant pour accélérer les procédures et qui débouche sur des situations insolubles. La deuxième est que toute la motivation des décisions civiles repose sur l’existence d’une fraude soi-disant établie par la procédure pénale, hypothèse dont on vient de constater qu’elle ne tenait pas debout. Tout le monde était tellement persuadé que le tribunal correctionnel marcherait dans la combine, que l’on ne s’est pas gêné pour s’appuyer sur les bouts de ficelle du dossier d’instruction. C’est d’ailleurs cette conviction qui explique l’invraisemblable pantalonnade de la condamnation de Christine Lagarde à une dispense de peine devant la cour de justice de la république. Elle a été reconnue coupable de négligence pour n’avoir pas empêché un détournement de fonds publics par l’un de ses subordonnés. Or le tribunal correctionnel de Paris vient justement de dire qu’il n’y avait pas eu de détournement ! Mais vous comprenez, à l’époque il fallait lui ravaler la façade puisque sa nomination à la tête du FMI était prévue, et comme la condamnation de Tapie était inéluctable…

Je répète ce que je disais à l’époque chapeau les artistes !

La catastrophe Tapie signe-t-elle la fin du système Hollande que Emmanuel Macron a récupéré à son profit pour combattre son opposition et protéger ses amis ? Il est probable que ce dernier n’entend pas se passer d’un outil aussi pratique. Après le départ du PNF de sa patronne emblème de ce système et du juge d’instruction spécialisée dans la chasse au Sarkozy du pôle d’instruction financier, il semble bien qu’on souhaite manifestement tourner cette page là mais conserver l’outil en lui ravalant un peu la façade. Ce qui expliquerait la position de Nicole Belloubet sur l’opportunité d’éviter l’appel dans l’affaire Tapie, une nouvelle audience et un nouveau ridicule qui ne pourrait que l’affaiblir.

La catastrophe du Crédit Lyonnais : à quand la vérité ?

Plus le temps passe, plus se dissipe le souvenir de l’invraisemblable faillite des élites françaises avec la catastrophe du Crédit Lyonnais. Rappelons que des hauts fonctionnaires intouchables issus de l’inspection des finances, par avidité, vanité, incompétence et malhonnêteté ont conduit à l’abîme un des fleurons de la banque française. Et que naturellement c’est le contribuable français qui a dû éponger les conséquences et assumer des pertes de près de 150 milliards d’euros sans qu’aucun des responsables, les Haberer, les Trichet, les Peyrelevade et tant d’autres n’aient eut à sérieusement rendre des comptes. Souvenons-nous aussi de la création du le Consortium de réalisation (CDR) pour y loger les actifs les moins rentables du Crédit Lyonnais et éponger ses dettes en les cédant. Tous ceux qui connaissent dossier savent, que le CDR a bradé ces actifs, permettant à d’autres de faire des affaires et de se gaver. L’ascension et la chute de Bernard Tapie avec l’acmée que fut cette escroquerie organisée par les dirigeants de la banque, doit être réinsérée dans ce contexte-là.

Comme dans l’affaire Alstom, il faudra quand même un jour arriver à faire les comptes.


- Source : Vu du Droit

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