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Vendredi, 29 Mars 2024

La crise de la démocratie en Occident dans le miroir de la guerre contre le Venezuela

Auteur : Fernando Casado | Editeur : Walt | Mardi, 11 Juin 2019 - 00h09

Avec une social-démocratie en crise après 75 ans d’hégémonie bipartisane et la montée du populisme de droite représenté dans des partis et des politiciens que l’on pourrait qualifier de fascisme du XXe siècle (par opposition au prétendu socialisme du XXIe siècle), l’Occident fait face à des défis qui touchent même sa compréhension et sa conception de la démocratie (libérale représentative). Par conséquent, la démocratie ou la polyarchie, comme Robert Dahl a plus justement appelé notre système de gouvernement, est plus dévalorisée que jamais face aux transformations géopolitiques actuelles où le leadership de l’Occident est contesté pour la première fois depuis plus de 500 ans.

En ce moment, les tambours de la guerre et de l’intervention étrangère au Venezuela résonnent depuis un certain temps déjà. La rhétorique officielle a fait du gouvernement actuel un bouc émissaire qui doit être sacrifié afin de protéger les droits de l’homme et la liberté. L’Occident, avec les États-Unis en tête et avec l’appui de l’Union Européenne (à l’exception de l’Italie et de la Grèce) et d’importants pays d’Amérique Latine réunis autour du Groupe de Lima, a fait l’étalage d’une propagande internationale rarement vue auparavant et a consacré comme président légitime, sans aucun contrôle juridique ou électoral Juan Guaidó. Et comme les tentatives de se débarrasser du gouvernement de Nicolás Maduro se sont soldées par un fiasco à maintes reprises, pour chaque échec, l’option militaire est renforcée comme la seule alternative pour que l’Occident réalise son objectif au Venezuela.

En cas de menace de guerre au Venezuela, nous serions confrontés à un scénario sans précédent aux conséquences désastreuses pour la région et aux répercussions mondiales. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et la création des Nations Unies, il n’y a pas eu d’intervention armée en Amérique Latine dans un pays aussi grand que le Venezuela. En outre, bien que l’ingérence soit justifiée au motif qu’elle mettrait fin à la tyrannie, la vérité est que le Venezuela appartient à la même orbite que les pays occidentaux, pire encore pendant les décennies de dictatures de la seconde moitié du XXe siècle qui ont dévasté l’Amérique Latine, seuls le Costa Rica et le Venezuela sont restés dans le cadre de ce qui est considéré comme une démocratie libérale. Par conséquent, si l’Occident décide de faire la guerre au Venezuela, il ferait la guerre à l’un des siens, ce qui est très différent de l’invasion ou de la guerre avec des pays comme l’Irak, la Somalie, le Vietnam, la Corée du Nord, la Syrie, la Libye…

Mais que se passe-t-il dans les coulisses et que se décide-t-il réellement pour le destin du Venezuela ?

Certains facteurs que nous expliquerons ci-dessous indiquent que l’Occident (en particulier les États-Unis) a désespérément besoin d’une intervention armée pour mettre de l’ordre dans sa zone d’influence, mais en même temps pour accélérer le démantèlement des institutions et la démocratie libérale représentative telle qu’elle a été comprise jusqu’ici. Pour sortir de la crise définitive de la social-démocratie établie après la Seconde Guerre mondiale, il faut adapter la démocratie aux temps nouveaux, qui est devenue un système non viable et obsolète. Les droits, la participation et le bien-être sont impossibles et les tensions se sont traduites par une droitisation générale progressive de la politique parrainée par des groupes économiques qui se concentrent de plus en plus sur la financiarisation.

Un des nombreux exemples qui exposent la crise de la social-démocratie, nous l’avons vu en mai 2019 dans les résultats des élections au Parlement Européen, où pour la première fois le Parti Populaire Européen et les Socialistes Européens n’avaient même pas ensemble une majorité absolue et où la fragmentation de l’espace politique laissé par l’ancien bipartisme a déjà fait apparaître trois groupes d’extrême droite nationaliste. Ce même processus se reflète plus ou moins rapidement dans les parlements nationaux européens, dont l’extrême droite fait déjà partie du gouvernement, comme le Parti du Progrès en Norvège, la Ligue du Nord en Italie ou le Parti des Finlandais en Finlande. En dehors du contexte européen, on observe également une montée du populisme de droite avec Jair Bolsonaro au Brésil, Ivan Duque en Colombie et – bien sûr – Donald Trump aux États-Unis.

Pour redevenir hégémonique, la nouvelle droite doit, d’une part, mettre un terme définitif à la social-démocratie, mais aussi empêcher la répétition de situations qui pourraient nuire au néolibéralisme, comme ce fut le cas dans la plupart des pays d’Amérique du Sud ces dernières années et comme ce fut le cas au Venezuela de la Révolution Bolivarienne des vingt dernières années. La valeur symbolique du Venezuela est élevée parce que c’est après le triomphe d’Hugo Chávez que d’autres gouvernements post-néolibéraux se sont développés dans toute la région comme une maladie du capitalisme. Se débarrasser une fois pour toutes du Venezuela et de sa Révolution serait un bon coup d’État qui aurait un effet exemplaire pour tout autre aspirant qui tente de tenir tête au libéralisme économique.

Au cours du XXe siècle, les processus révolutionnaires ne sont arrivés au pouvoir que grâce à l’utilisation des armes, nous avons l’exemple de la Révolution Cubaine et Sandiniste, des processus armés contre les dictatures sanglantes de Batista et Somoza. Mais dans la plupart des cas, les dictatures de droite ont triomphé, renversant des gouvernements démocratiques progressistes selon les intérêts des élites, comme ce fut le cas avec Arbenz au Guatemala ou Allende au Chili.

Plus tard, une fois la démocratie considérée comme le mécanisme de domination le plus adéquat et le moins coûteux, ce que Huntington baptisa la troisième vague de démocratisation commencera dans de nombreux pays du monde et en particulier en Amérique Latine, qui s’est consolidé après la chute de l’Union Soviétique dans la dernière décennie du siècle et que le discours de la gauche a appelé la décennie perdue. C’est avec l’entrée dans le nouveau millénaire qu’une série de gouvernements sont arrivés au pouvoir en Amérique Latine, utilisant le même système démocratique libéral pour établir des gouvernements post-néolibéraux, un processus régional dont le Venezuela était le fer de lance et qui a atteint son sommet en 2009, lorsque les gouvernements de gauche étaient clairement hégémoniques.

En conséquence, l’empire a perdu beaucoup de terrain dans sa cour arrière, tant sur le plan politique qu’économique. La réponse a été l’ancienne formule du coup d’Etat mais adaptée aux nouveaux scénarios politiques. Bien que des coups d’État classiques aient continué d’être utilisés comme dans le cas de Manuel Zelaya au Honduras, la légalisation apparaît comme un mécanisme pour persécuter les opposants politiques, et ainsi se sont enchaînés le coup d’État contre Dilma Rousseff, la prison pour Lula et les procédures judiciaires contre Cristina Fernández et Rafael Correa, pour n’en citer que quelques-uns.

La menace progressiste (qualifiée de castro-communiste et de chaviste pour semer la peur dans l’opinion publique) a été éliminée, ou du moins neutralisée, dans la plupart des pays de la région, et le Venezuela est toujours debout, malgré les difficultés et le siège. Ainsi, sous le slogan « qui veut noyer son chien l’accuse de la rage », les attaques contre le gouvernement de Nicolás Maduro sont redoublées. Bien que cette attaque ne soit pas nouvelle, le Venezuela est assiégé par l’Occident depuis le début de la Révolution Bolivarienne, il suffit de se rappeler le coup d’État manqué de 2002.

La nouvelle droite doit mettre fin à la Révolution Bolivarienne, qui est perçue comme le champ de bataille immédiat qui permet d’accélérer les changements structurels recherchés dans le système démocratique occidental. Et si le processus se fait par une guerre c’est mieux, car il est plus facile de justifier la restriction des droits en temps de guerre. Ces changements structurels seraient orientés dans la direction suivante :

La recomposition de l’hégémonie de la nouvelle droite doit démanteler les libertés et les droits pour que le système subsiste, face aux menaces, il doit lâcher du lest, c’est-à-dire être plus compétitif et flexible, et pour cela l’éventuel exercice du pouvoir par les gouvernements de gauche doit être empêché pour une période indéfinie.

La judiciarisation de la politique et la politisation de la justice sont des précédents qui peuvent établir des doctrines irréversibles. L’utilisation égoïste de la corruption et la persécution impunie de certains groupes politiques sapent les piliers de l’état de droit et annulent des acquis qui relevaient du sens commun.

L’Amérique Latine est un territoire contesté et, face au multilatéralisme de ces dernières années, l’impérialisme occidental menacé doit consolider son emprise, et s’il ne peut éliminer le reste de ses concurrents, il doit au moins minimiser drastiquement l’influence des autres dans sa région.

Pour paraphraser Naomi Klein, il faut un nouveau choc pour éliminer ou soumettre ceux qui remettent en cause la démocratie libérale et l’économie de marché, tout en introduisant les transformations nécessaires dans la structure démocratique pour que l’Occident continue à tenir l’hégémonie du marché libre. À cette fin, la destruction de la Révolution Bolivarienne par le sang et le feu est l’occasion parfaite.

Traduit par Réseau International


- Source : Rbelion (Venezuela)

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