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La liberté d’opinion en Allemagne est menacée

Auteur : Karl Müller | Editeur : Walt | Jeudi, 30 Mai 2019 - 22h43

Après 70 ans de Loi fondamentale allemande, des observations mènent à la conclusion que l’actuelle «lutte contre la droite» n’a généralement rien à voir avec une protection de la démocratie, ni avec sa capacité à repousser l’extrémisme politique, mais en fait ce phénomène vise plutôt la conservation d’un ordre mondial unipolaire.

Dimanche 12 mai, 20:15 heures, ZDF, prime time. Le téléfilm allemand désigné comme «comédie romantique» se veut aussi une contribution de droit public contre la «xénophobie». Parmi les personnages principaux, il y a une jeune femme très sympathique, empathique et humainement engagée, ainsi qu’une famille turque dont le père exploite un petit atelier de réparation automobile dont malheureusement les affaires marchent mal. Le jour où cet atelier est détruit par un incendie, certains habitants de la commune, et surtout les habitués d’un bistrot regroupés autour d’un conseiller communal «de droite» assez antipathique, ont tôt fait de soupçonner le père de famille turc d’avoir incendié lui-même son garage pour tenter une fraude à l’assurance. La famille, jusque-là plutôt bien intégrée dans son village bavarois, se sent de plus en plus isolée. Des inconnus ont barbouillé «Etrangers dehors!» sur la maison, et la fille, désespérée, va même commettre une tentative de suicide. Pourtant, à la fin tout s’arrange. Certes, les familles et les couples rencontrés ont tous des problèmes interpersonnels, qui ne sont pas tous résolus à la fin du film, mais la jeune femme évoquée plus haut organise une marche de protestation «contre les attaques de la droite» suivie par de nombreux villageois arborant des pancartes «contre la droite» et pour la «tolérance». Dans l’obscurité, ils créent même une sorte de guirlande lumineuse. Entre-temps, l’hypothèse de l’incendie volontaire a d’ailleurs été exclue.
Franchement, il n’y a rien à redire.

Fiction et réalité

Il est toutefois permis de douter que la réalité allemande depuis l’été 2015 soit ici représentée de façon vraie.
L’ancien président de l’Office fédéral de protection de la constitution, congédié par son employeur parce que ce dernier restait convaincu que des événements s’étant produits à Chemnitz, en Allemagne de l’Est, avaient été décrits de façon erronée, a déjà pris position officiellement à plusieurs reprises sur la «lutte contre la droite» en Allemagne, et encore dernièrement dans une interview accordée le 8 mai à la «Neue Zürcher Zeitung». Hans-Georg Maassen y déclare notamment:

«La politique en matière de migration, pratiquement inchangée depuis septembre 2015, présente selon moi de sérieux risques pour la sécurité et la cohésion de l’Etat. Il est nécessaire de procéder à des refoulements à la frontière. Nous devons refuser les personnes qui ne sont pas victimes de persécutions politiques, et nous devons renvoyer immédiatement les 240 000 étrangers tenus de quitter le pays, sans nous faire marcher sur les pieds par les Etats de provenance. Pour l’heure nous n’avons pas pris les dispositions permettant d’éviter une nouvelle grande vague de migrants».

«Du poison pour la démocratie»

Et Maassen de poursuivre: «Les personnes qui s’écartent du courant politico-médiatique dominant ont la vie dure. Elles se voient parfois stigmatisées comme de droite ou de droite populiste, ce qui les intimide et les décourage. J’ai entendu à plusieurs reprises des personnes préférant ne rien dire du tout, plutôt que d’être clouées au pilori. […] C’est du poison pour la démocratie, car certaines positions politiques n’ayant rien d’extrémiste sont ainsi rendues taboues et échappent au discours démocratique».

Avant d’ajouter: «Les politiciens font souvent preuve de plus de loyauté envers leur parti qu’envers le peuple. J’ai par exemple discuté avec des politiciens SPD sur la fameuse crise migratoire. Lors de notre discussion, ils ont concédé que la politique d’asile des années 2015 et 2016 avait été une grave erreur du gouvernement et une catastrophe pour l’Allemagne. Mais il était impensable de déclarer cela publiquement, car la SPD ne pouvait se positionner à nouveau de façon plus conservative que la CDU/CSU, tel que cela avait été le cas lors de l’Agenda 2010».

Mieux vaut te taire, si tu penses autrement!

La réaction de Hans-Georg Maassen face au téléfilm du ZDF ne nous est pas connue, mais ce film n’invite sûrement pas à s’exprimer publiquement de façon critique face à la politique migratoire du gouvernement fédéral depuis 2015. En réalité, ce film du ZDF n’est rien de plus qu’un exemple parmi tant d’autres de la manière utilisée pour créer une certaine ambiance en Allemagne, souvent assez subtilement, de façon indirecte et suggestive parfaitement maîtrisée, et toujours avec un axe central clairement défini, à savoir: rendre le message incontestable. Ce phénomène imprègne autant des manifestations publiques que le lieu de travail ou encore les loisirs. On pourrait aussi parler de propagande, ou mieux encore, d’un appel: mieux vaut se taire, si tu penses autrement!

Le pouvoir d’un complexe de médias et d’ONG …

Commençons par prendre au sérieux les mots d’un ancien président de l’Office fédéral de protection de la constitution. Un pays, où les citoyens et les politiciens, sans avoir de penchants extrémistes, ne peuvent plus dire franchement et librement ce qu’ils pensent, est un pays sans liberté d’opinion, et cela même si la Constitution garantit cette liberté et que les sanctions officielles par l’Etat sont encore l’exception. Les sanctions sont l’apanage d’un nouveau genre de «Volksgemeinschaft», une communauté populaire, ici sous la forme d’un complexe de médias et d’ONG.

Il est honteux pour le pays de constater que pour l’heure, il n’y a guère que des personnalités telles que l’ancien président de l’Office fédéral de protection de la constitution qui prennent officiellement position et défendent leur point de vue. Mais lui aussi se voit taxé de réactionnaire par tous ceux qui pensent qu’ils auront ainsi la partie facile.

Et pourtant, toute personne accordant de l’importance à la démocratie, devrait tirer la sonnette d’alarme.

… contre la liberté d’opinion

La Loi fondamentale allemande, en vigueur depuis maintenant 70 ans, décrit très précisément à l’article 5 ce que signifie la liberté d’opinion et quelles en sont les limites.

Article 5 de la Loi fondamentale pour la République fédérale d’Allemagne

(1) Chacun a le droit d’exprimer et de diffuser librement son opinion par la parole, par l’écrit et par l’image, et de s’informer sans entraves aux sources accessibles au public. La liberté de la presse et la liberté d’informer par la radio, la télévision et le cinéma sont garanties. Il n’y a pas de censure.

(2) Ces droits trouvent leurs limites dans les prescriptions des lois générales, dans les dispositions légales sur la protection de la jeunesse et dans le droit au respect de l’honneur personnel.

(3) L’art et la science, la recherche et l’enseignement sont libres. La liberté de l’enseignement ne dispense pas de la fidélité à la Constitution.

Il n’est nullepart indiqué que les opinions exprimées publiquement doivent être «politiquement correctes». Chaque citoyen est appelé à corriger des préjugés, parmi lesquels figurent bien entendu certains préjugés sur des étrangers vivant en Allemagne. Cela présuppose l’équivalence dans les rapports, et l’objectivité dans la confrontation.

S’exprimer, lorsque la démocratie est en danger

De la même manière, chaque citoyen est appelé à s’exprimer publiquement lorsque la démocratie est en danger et que certains acteurs – motivés par des intérêts particuliers ou par le goût du pouvoir – menacent d’autres personnes de l’exclusion sociale suite à leurs affirmations fallacieuses.

Comme tout autre pays, l’Allemagne ferait donc mieux de discuter et de surmonter les tâches réelles qui sont les siennes (obtenir la paix sans armes, mettre de l’ordre dans l’économie et les finances, résoudre les questions sociales, améliorer la culture politique, etc.)

Jouer franc jeu

Que se passerait-il si ceux qui misent sur la dissolution des Etats, sur la dépossession des libertés, de l’Etat de droit et de la démocratie, sur une UE encore plus puissante ou même sur une gouvernance globale, en bref si les partisans d’un retour à un ordre mondial unipolaire jouaient franc jeu, et arrêtaient enfin de taxer leurs opposants de réactionnaires, et de parler de «lutte contre la droite», alors qu’ils ont tout autre chose en tête? Les ennemis de la démocratie n’existent pas uniquement dans les groupes d’extrême gauche et d’extrême droite (cf. encadré), ni au sein de l’islam violent. Malheureusement, il y a aujourd’hui parmi les ennemis de la démocratie également certaines forces disposant déjà de beaucoup de pouvoir et d’influence, voulant s’octroyer le droit de décider toutes seules de la manière dont nous devrions vivre ensemble.

Le «consensus antitotalitaire» disparaît de plus en plus

Dans les années 1950, la Cour constitutionnelle fédérale allemande a formulé des critères clairs dans ses décisions sur l’interdiction du Parti communiste d’Allemagne (KPD) d’extrême gauche et du Parti socialiste du Reich (SRP) d’extrême droite. Elle a rappelé les bases de la Loi fondamentale et de l’ordre libéral démocratique et donc les détails définissant l’inconstitutionnalité d’un parti politique. En 1952, la Cour avait stipulé que «L’ordre constitutionnel libéral et démocratique dans le sens de l’art. 21 II LF est un ordre qui, en excluant tout despotisme et dictature, représente l’Etat de droit sur la base de l’autodétermination du peuple selon la volonté de la majorité respective et de la liberté et de l’égalité. Les principes fondamentaux de cet ordre comprennent au minimum: le respect des droits de l’homme tels qu’ils sont énoncés dans la Loi fondamentale, notamment le droit de toute personne à la vie et au libre développement, la souveraineté populaire, la séparation des pouvoirs, la responsabilité du gouvernement, la légalité de l’administration, l’indépendance des tribunaux, le principe du multipartisme et l’égalité des chances pour tous les partis politiques ayant droit à la formation constitutionnelle et à l’exercice de l’opposition. (BVerfGE 2, 1 [Leitsatz 2, 12s.])

Dans la lutte politico-polémique de nos jours, presque personne ne connaît encore ces critères stricts.
Dans une interview accordée à la «Neue Zürcher Zeitung» du 8 mai, Hans-Georg Maassen [ancien chef des services de renseignement intérieur, ndt.] a souligné que l’extrême gauche et, plus récemment, l’extrême droite en Allemagne obtiennent le soutien de milieux non extrémistes: «La gauche n’a jamais fait de distinction claire entre l’extrémisme de gauche et tout l’éventail de la gauche aux libéraux de gauche. Il y a toujours eu un pont entre la gauche et l’extrême gauche. Depuis la Seconde Guerre mondiale, il y a toujours eu une distinction claire entre l’extrémisme de droite et la droite. Cette séparation s’est de plus en plus évaporée au cours des dernières années. Comme pour l’extrémisme de gauche, il y a maintenant un pont entre les diverses droites et l’extrémisme de droite.» Le «consensus antitotalitaire» exprimé dans la Loi fondamentale de 1949 se réduit comme une peau de chagrin. Les dangers politiques de cette lente disparition des frontières sont grands.


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